| | HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. | |
| | |
Auteur | Message |
---|
Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Dim 22 Juin - 9:13 | |
| 180 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
Cette colonne comprenait six compagnies, un escadron et demi de spahis, une section de 75, deux sections de 65 et une section d'ambulance mobile. Le départ eut lieu à 10 heures du matin de Dar-Debibagh. La colonne laissait son artillerie de 75 aux Mérénides, sous la protection d'un peloton de la légion et poursuivait sa marche vers l'est. Dès 2 heures, les hauteurs du Zalag se couvraient de très nombreux cavaliers et piétons, en marche sur la ville. La colonne se repliait vers le pont de l'oued Fez et son artillerie ayant exécuté quelques feux sur les groupes dévalant du Zalag, elle rentrait le soir à Dar-Debibagh. Les assaillants, qui continuaient leur progression, étaient accueillis par les feux des canons du bordj Nord, par ceux de l'artillerie Duhalde, postée à Bab-Fetouh et par la section de 75 des Mérénides. L'ennemi continuait toutefois à s'avancer et tombait sous le feu intensif de l'infanterie et des sections de mitrailleuses, garnissant les remparts de la ville. L'objectif de l'ennemi était, ainsi du reste qu'il l'avait annoncé, le quartier des Consulats et celui où les Européens étaient réfugiés. 181 RÉCITS MILITAIRES Le nombre des assaillants allait sans cesse en grossissant et on les voyait arriver, tels des fourmis, de toutes les directions. Devant l'imminence du danger, le général Moinier faisait venir de Dar-Debibagh le 6° bataillon du 4° tirailleurs, commandant Fellert, et une section de 65 de montagne, pour constituer une réserve générale. II faisait également renforcer les secteurs de Bab-Ghissa et de Bab-Fetouh. Pour faciliter l'action du commandement, toutes les troupes de Fez-Bali furent placées sous les ordres du colonel Gouraud. Depuis 4 heures de l'après-midi, la situation allait s'aggravant. Le commandant Duhalde rendait compte déjà que la muraille avait été franchie à l'est de Tamdert et que l'ennemi s'était avancé jusqu'aux limites dès jardins. La section d'artillerie de montagne du lieutenant Piquendar, serrée de près, avait dû faire usage de ses mousquetons et avait dû être dégagée à la baïonnette par un peloton de la 2° compagnie du 4° bataillon colonial du lieutenant Braconnier. Le peloton de légionnaires étant insuffisant pour soutenir la section de 75 postée sur le tombeau des Mérénides, cette position fut évacuée. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Dim 22 Juin - 9:21 | |
| 182 LES JOURNEES SANGLANTES DE FEZ Elle était aussitôt occupée par l'ennemi qui tira sur la casbah des Cherarda. A 6 heures l'attaque devient générale et la fusillade crépite dans toutes les directions. De nouveaux renforts sont appelés de Dar-De-bibagh. Trois compagnies du bataillon Rivière du 2° bataillon sénégalais arrivent encore à 8 h. 30 et renforcent la réserve générale et les réserves de quartier déjà fortement entamées. Le moment est vraiment angoissant. Dix-neuf compagnies se trouvent préposées à la garde de la ville, tandis que sept compagnies restent à Dar-Debibagh, prêtes à former une colonne mobile pouvant se porter, par l'extérieur, sur le point le plus menacé. Vers 7 heures, le feu redouble d'intensité et la fusillade devient plus nourrie. Nos obus mettent le feu à des meules de paille situées à quelques kilomètres des remparts. L'incendie ne tarde pas à se propager, jetant ses lueurs sinistres à l'est de la ville. On s'attend à une nuit tragique. Les journalistes représentant le Matin, l' Havas et la Vigie Marocaine reçoivent l'ordre d'avoir à évacuer la maison qu'ils occupent en position avancée, dans une zone dangereuse. Les balles commençaient déjà à venir en frapper les murs. 183 RECITS MILITAIRES C'est la quatrième fois qu'il nous faut déménager depuis le 17 avril ! On regrette vivement l'absence de l'honorable citoyen Cochon dont l'intervention serait des plus utiles, car plusieurs autres maisons doivent également être évacuées et leurs locataires ne savent où se réfugier. Nous nous décidons, quant à nous, à aller passer la nuit avec le brave commandant Philipot, major de la garnison, qui a établi son quartier général au Dar-el-Hamoumi sur « la dernière terrasse où l'on tire », nous apprêtant à enregistrer de fortes émotions. Tout à coup, vers 8 heures, la fusillade ralentit et ne tarde pas à cesser complètement.... On redouble partout d'attention, car on s'attend à un stratagème de l'ennemi. Mais les heures se succèdent dans une attentive veillée des armes, sans que le silence, pesant et gros de menace, soit troublé. Ce sera pour le lever du jour, pense-t-on. Mais déjà l'aube blanchit les montagnes de Taza, sans que les Marocains aient donné de nouveau signe de vie. Le soleil ne tarde pas à briller, faisant miroiter au loin les eaux limoneuses du Sebou, dans le même calme et le même silence.... Les jumelles fouillent avidement la campagne dans toutes les directions. Il faut bien se rendre à l'évidence, si inattendue soit-elle : les Marocains avaient complètement disparu et les trois groupes d'assaillants rassemblés à Bab-Ghissa, à Bab-Sidi-bou-Jida et à Bab-Fetouh, avaient peu à peu abandonné le terrain..... | |
| | | Paul CASIMIR
| | | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Dim 22 Juin - 9:40 | |
| 184 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ On apprit par la suite que le bel élan des assaillants s'était brisé devant le « chaleureux » accueil qu'ils avaient reçu. Leurs pertes étaient beaucoup plus considérables que nous ne pouvions même le supposer, au milieu de l'obscurité. Le feu de notre artillerie avait également contribué à leur causer des pertes tellement élevées qu'ils renonçaient purement et simplement à poursuivre l'assaut qu'ils s'apprêtaient à donner avec tant de vigueur. Sur la foi des histoires qui leur avaient été racontées, de nombreux Marocains croyaient n'avoir qu'à se présenter les mains dans leur... burnous pour entrer dans Fez, piller la ville et s'amuser à promener au bout de piques les quelques têtes de Français qui pouvaient encore rester. Aussi leur surprise fut-elle grande, lorsqu'ils se virent reçus d'une façon aussi vigoureuse. Il y eut un premier flottement à la suite duquel plusieurs contingents de tribus ayant rebroussé chemin, tous les autres les suivirent. Et ils furent heureux de profiter de l'obscurité pour pouvoir mettre le plus de kilomètres possible entre eux et une ville si bien gardée ! 185 RECITS MILITAIRES Nos pertes, par contre, étaient relativement faibles. Nous n'avions que 5 tués et 14 blessés dont les lieutenants Perrault et Braconnier, de l'infanterie coloniale. Les pertes de l'ennemi purent être évaluées à 1.000 tués environ. Dès la première heure, le 29 au matin, un détachement de sortie, constitué dans la nuit et comprenant sept compagnies, un escadron de spahis, une section de 75, une section de 65 et une section de mitrailleuses, sous le commandement du colonel Gouraud, se portait au Nord de Fez et constatait que les abords de la ville étaient complètement évacués. Le combat du 1er juin.
Pendant les journées des 29 et 30 mai, les troupes goûtèrent un repos bien mérité. Il fallait, en effet, accorder quelque répit à ces hommes surmenés par quatre jours et quatre nuits de combats et d'alertes, de luttes corps à corps, et laisser également " souffler " les renforts arrivés la veille à marches forcées. Pendant ce temps, le général Moinier préparait une colonne de cinq bataillons, six sections d'artillerie et deux escadrons, pourvue de tous ses organes, pour la mettre sous les ordres du colonel Gouraud chargé de prendre l'offensive et d'aller disperser un gros rassemblement signalé à Hadjra-el-Koïla, à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Fez. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Dim 22 Juin - 9:48 | |
| 186 LES JOURNEES SANGLANTES DE FEZ Cette colonne comprenait : Le bataillon Fellert et sa section de mitrailleuses ; Le bataillon Dresch ; Le bataillon mixte Duhalde, formé de deux compagnies coloniales et deux compagnies sénégalaises avec leur section de mitrailleuses ; Le bataillon mixte Rivière, formé d'une compagnie coloniale et trois compagnies sénégalaises avec leur section de mitrailleuses ; Le bataillon mixte Giralt, formé de trois compagnies du 2° étranger et d'une compagnie du 1er tirailleurs ; Toute la cavalerie, sauf 4 pelotons, renforcée de 3 pelotons de chérifiens reconstitués ; Une batterie de 75, lieutenant Lagarde ; Une section de 76, lieutenant Bonhenry ; Deux sections de 65, capitaine Bauchet ; Une section de 75 de montagne, lieutenant Oddou ; Un détachement du génie, lieutenant Blondet ; Les ambulances Duchêne et Marullaz. 187 RÉCITS MILITAIRES
La cavalerie était placée sous les ordres du commandant Durand et l'artillerie sous les ordres du commandant Le Rond. Le lieutenant-colonel Mazillier était adjoint au colonel Gouraud, ainsi que le commandant Daugan, chef d'état-major du général Moinier, le capitaine Rieder, officier d'ordonnance du général Lyautey, les capitaines Le Glay, Pabst, Gou-beau, Pettelat et Amiel et le lieutenant Renaud du Service topographique. La colonne emportait pour trois jours de vivres. A 4 heures du matin le colonel Gouraud indiquait comme point de ralliement la porte de Bab-Fetouh, l'artillerie devant sortir par Bab-Sidi-bou Jida. Mais, en raison de l'étroitesse de cette porte et sa disposition « en tiroirs » l'artillerie fut obligée de dételer et de séparer les pièces des avant-trains. Les pièces, poussées à bras et tirées à la prolonge, purent enfin sortir. Pendant cette opération le colonel Gouraud faisait couvrir sa gauche par le bataillon Rivière, avec sa section de mitrailleuses, un peloton de spahis et un peloton de cavalerie chérifienne. Vers 5 heures, la colonne était rassemblée et le dispositif suivant était pris : | |
| | | Paul CASIMIR
| | | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Dim 22 Juin - 10:01 | |
| 188 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ L'avant-garde, sous les ordres du commandant Duhalde, comprenait : un peloton chérifien, quatre pelotons de spahis, le bataillon Duhalde et sa section de mitrailleuses, une batterie de 75 et un détachement du génie. A 800 mètres en arrière, le gros de la colonne, sous les ordres du commandant Giralt, comprenait : Le bataillon Giralt ; Une batterie de 65 ; Une section de 75 de montagne ; Le bataillon Dresch ; Le convoi de munitions ; Les ambulances. A 400 mètres, l'arrière-garde, sous les ordres du commandant Fellert, comprenait : Une compagnie du bataillon Fellert ; Une section de 75 ; Trois compagnies du bataillon Fellert ; Un peloton de spahis ; Un peloton de cavalerie chérifienne. Après avoir traversé le pont de l'oued Bou-Keratch, à quelques centaines de mètres de la ville, la colonne se dirige vers le pont du Sebou, à l'est. Le soleil se lève radieux et fait prévoir une superbe journée, malgré quelques nuages qui flottent sur les cimes du Zalag, à l'ouest. 189 RÉCITS MILITAIRES A peine est-on sorti de la ville que l'on est pris à la gorge par l'odeur épouvantable qui se dégage des nombreux cadavres marocains abandonnés dans les jardins. La cavalerie prend rapidement la tête de la colonne, pendant que le reste des troupes avance péniblement dans des défilés difficiles, véritables sentiers de chèvres. Aussitôt que la nature du terrain le permet, la colonne prend la formation indiquée plus haut. Vers 5 h. 45 un engagement se produit avec la cavalerie chérifienne qui se porte sur la gauche pour dégager l'axe de marche de l'infanterie. Le bataillon d'avant-garde se déploie, mettant les 9° et 14° compagnies sénégalaises en première ligne, les deux compagnies coloniales restant en deuxième ligne. A 6 heures la première ligne d'infanterie essuie le feu des Marocains occupant les crêtes du Zalag. La première section de 75 ouvre le feu pour protéger le mouvement de l'infanterie. A 6 h. 10 le colonel Giralt reçoit l'ordre de prolonger la gauche du bataillon Duhalde pour le relier au groupe Rivière, mais en n'engageant qu'une compagnie. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Dim 22 Juin - 10:07 | |
| 190 LES JOURNEES SANGLANTES DE FEZ
A 6 h. 20 le lieutenant-colonel Mazillier reçoit l'ordre de prendre le commandement de la première ligne qui aura à se maintenir sur place pour attendre que l'artillerie montée ait pu rejoindre la colonne. Les Marocains, encouragés par cet arrêt, occupent les lignes de crêtes à 600 mètres, de plus en plus nombreux, et ouvrent un feu assez vif, pendant que quelques groupes dessinent un mouvement tournant vers la droite. Sous le feu maintenant violent et bien ajusté de l'ennemi, notre cavalerie éprouve des pertes; le sergent anglais Redman est tué, le capitaine Devanlay et le lieutenant Chevrier blessés, ainsi que plusieurs cavaliers. L'infanterie arrive à leur hauteur et dégage la cavalerie qui passe en seconde ligne. L'ennemi, tout en se repliant, se renforce et prend position sur une deuxième crête. Le groupe Rivière se porte sur deux mamelons à 1.500 mètres du chemin suivi par la colonne principale, où il se maintiendra jusqu'à ce que l'arrière-garde soit arrivée à sa hauteur. L'ennemi, toujours sur la gauche, profitant du terrain, approche à moins de 1.000 mètres. Il est vigoureusement canonné par la batterie de 65 du capitaine Bauché, battu par le feu des mitrailleuses de la section Barré et de deux compagnies et demie d'infanterie du bataillon Rivière déployées à gauche. 191 RECITS MILITAIRES
Les Marocains subissent de grosses pertes tandis que nos troupes, bien défilées, sont indemnes. Découragé, l'ennemi bat en retraite vers les crêtes, emportant de nombreux morts et blessés, poursuivi par le feu de la section de 75 de montagne du lieutenant Oddou. La gauche est maintenant dégagée et le groupe du commandant Rivière rentre, à 8 h. 30, en première ligne. A 7 h. 50, l'artillerie de 75 de campagne ayant enfin pu rejoindre la colonne, malgré les difficultés du terrain, le mouvement général en avant est repris. Le colonel Gouraud fouille de sa jumelle tout le terrain, depuis le pont du Sebou à droite, jusqu'aux cimes embrumées du Zalag, d'où descend un vent glacial, cherchant le gros de la harka ennemie. Un millier d'hommes environ se trouvent en face de nous. Ce n'est pas encore la harka de 15.000 combattants que signalait le Service des renseignements ! A 8 heures, on aperçoit enfin, arrivant par la vallée du Sebou, plusieurs groupes d'un millier de cavaliers chacun. C'est la harka. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Dim 22 Juin - 10:12 | |
| Document hors-texte
LA REPRESSION DE L'EMEUTE DES FEZ. - Pillards enchainés et gardés à vue par des tirailleurs.
i | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Dim 22 Juin - 10:20 | |
| 192 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
Elle est encore à 4 ou 5 kilomètres, venant dans notre direction. Les Marocains se divisant par petits paquets de 300 à 400 hommes continuent à avancer en ordre, sans hâte et sans cris, comme sûrs d'eux-mêmes. Ils peuvent être 15.000. Au fur et à mesure qu'ils approchent, nous comprenons qu'ils ont adopté une espèce de formation par tribus, par fractions et par douars. Des étendards aux couleurs vives les précèdent, ainsi que de nombreux fantassins. Notre colonne est arrêtée. Plus la harka s'avance, plus nous remarquons son importance. Cette marche tranquille est grandiose, dans l'immense décor du fleuve qui serpente à nos pieds au centre du cirque de montagnes qui nous environnent en formant au sud la vaste cuvette qu'est la vallée du Sebou, cette harka qui progresse en ordre et en silence a quelque chose d'impressionnant qui fait songer aux hordes sauvages d'Attila et de Tamerlan, détruisant tout sur leur passage. Nous ne pouvons nous empêcher de comparer les proportions minuscules de nos cinq bataillons, déployés en face de ce flot compact de combattants qui paraît devoir tout balayer devant lui, tant il avance avec une parfaite assurance. La minute est tragique et nous croyons voir passer un frisson sur nos lignes. 193 RÉCITS MILITAIRES C'est comme un fléchissement moral qui se traduit dans les attitudes. Tous les regards, en effet, se tournent à ce moment vers le colonel Couraud. Campé sur un piton, sa haute silhouette se détachant, droite sur le ciel, il est presque seul, auprès de son petit fanion rouge qui claque joyeusement au vent. De tous les côtés à la fois il vient d'envoyer des ordres qui vont animer ses différentes unités. Ventre à terre les officiers d'état-major et les estafettes partent dans des directions différentes, galopant à toute allure, au milieu de blocs énormes, pour faire prendre le dispositif de combat. Le chef vient de lancer à tous ses éléments l'ordre qui, en coordonnant leurs efforts, va briser le flot montant de la harka. Et l'on se rend compte que cet ordre a produit un puissant effet moral sur les troupes qui, allègrement, reprennent leur marche en avant, pendant que la harka, à peine à 2.000 -mètres, commence à pousser ses cris de guerre et à s'ébranler à une allure plus vive. De toutes les pentes dégringolent de nouveaux combattants qui viennent se joindre à elle. La section de 75 du lieutenant Lagarde, renforcée par la section Ninoreille, ouvre le feu sur un premier groupe d'un millier de cavaliers qui remonte la rive droite du Sebou. La section Bonhenry vient s'établir à gauche des deux premières. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Lun 23 Juin - 10:12 | |
| 194 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
Les premiers coups tirés à 2.000 mètres sont admirablement pointés. Les shrapnels tombent en plein dans les rangs ennemis, au milieu de groupes compacts où ils causent de terribles ravages. C'est d'abord de la stupéfaction. Mais, sous le feu violent et très efficace de nos trois sections d'artillerie, l'ennemi s'arrête, tournoie, se disloque et ne tarde pas à s'enfuir dans une galopade générale. Les uns vont occuper les rives cultivées du Sebou, où ils se dissimulent derrière des arbustes; d'autres se réfugient sur le sommet de la montagne; d'autres encore retournent simplement en arrière, dans une course éperdue, allant semer l'alarme dans le campement d'Hadjra-el-Koïla où les femmes et les provisions étaient restées. Mais la plus grande partie a compris que le mieux était de se rapprocher de nous, à l'abri d'un repli de terrain assez accentué. De notre côté, la marche en avant se poursuit, par bonds successifs, de crête en crête, l'artillerie préparant et appuyant l'infanterie qui progresse par échelons. Deux lignes de crêtes sont ainsi successivement enlevées. Les cavaliers ennemis avancent également, laissant dans les cultures les fantassins qui gênent leur marche. 195 RÉCITS MILITAIRES Un groupe de 500 cavaliers marocains, qui s'est replié derrière un mamelon, essaye de se déployer pour arrêter la marche de la 9° compagnie sénégalaise, renforcée par la compagnie coloniale Hugot. Il est dispersé par l'artillerie. Vers 9 heures la première ligne découvre une grande crête allongée, s'étendant du Sebou au Zalag. Protégée par l'artillerie, cette ligne se porte à l'attaque de la crête, garnie de Marocains, pendant que les unités de la deuxième ligne viennent prendre leur place et que l'arrière-garde serre sur la colonne. Les groupes Giralt au centre et Rivière à gauche - ayant «chacun deux compagnies déployées et deux autres en soutien, derrière les intervalles — marchent droit devant eux, pendant que le groupe Duhalde déborde, par sa droite appuyée au Sebou, le mouvement de terrain. Le déploiement de nos troupes a près de 4 kilomètres. Sous le feu de notre artillerie et de notre infanterie, la crête est conquise; mais, dans ce mouvement, un groupe nombreux de Marocains, embusqués dans un chemin creux courant le long du fleuve, ouvre le feu à moins de 200 mètres sur la 14° compagnie sénégalaise du capitaine Battesti, qui allait aborder la crête. | |
| | | Paul CASIMIR
| | | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Lun 23 Juin - 11:31 | |
| 196 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
Le lieutenant Mas, dont le peloton formant la droite est très près de l'ennemi, est obligé de charger à la baïonnette. Les Marocains cèdent mais nous éprouvons des pertes sensibles. Le lieutenant Mas, mortellement frappé d'une balle dans l'abdomen, tombe glorieusement. Trois tirailleurs, qui se précipitent pour le couvrir de leurs corps, tombent également. A ce moment l'engagement devient général et la fusillade fait rage, du Sebou au Zalag. Le lieutenant Guérin, de la compagnie de la légion montée, a le bassin traversé et refuse qu'on l'enlève, le lieutenant Claude est blessé à la jambe. Un légionnaire, un colonial, deux sénégalais, deux tirailleurs sont tués presque au même moment. Un sergent, douze sénégalais, un légionnaire, un colonial, trois tirailleurs tombent grièvement blessés, en l'espace de quelques minutes. Mais notre feu redouble d'intensité et l'ennemi cède enfin. Le commandant Fellert serre sur la première ligne, en même temps que la cavalerie et la compagnie montée de la légion sont rapprochées sur la route. A 10 heures la grande crête est occupée et l'on aperçoit à 4.000 mètres environ plusieurs villages et le camp des Marocains occupant un vaste emplacement, à cheval sur les deux rives du Sebou. 197 RÉCITS MILITAIRES L'ennemi tente un dernier effort ; mais on sent que c'est le choc final. Un chérif à cheval essaye encore de rallier, autour de son étendard blanc, les derniers groupes indécis. Cette réserve est aussitôt criblée d'obus ; et les survivants s'enfuient définitivement dans la direction du fleuve. Tous les combattants se sont maintenant rués dans leur camp où grouille une foule dense de cavaliers et de fantassins, cherchant à emporter les objets les plus précieux. Une batterie de 65 et trois sections de 75 ouvrent sur eux un feu terrible, couvrant de gerbes de projectiles les deux rives du fleuve. C'est dans le camp, déjà évacué par les femmes, un affolement indescriptible. Les guerriers, lançant leurs derniers coups de feu sur notre cavalerie qui arrive pour incendier les tentes, tournoient et s'enfuient dans toutes les directions, encore poursuivis par nos obus jusqu'à l'extrême limite de portée de nos canons. Ordre est donné à notre artillerie de se porter, au galop, encore en avant, pour poursuivre son feu. Elle occupe alors un mamelon avancé, sous la protection d'une compagnie de légion montée qui se porte elle-même en avant, au galop, avec la cavalerie. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Lun 23 Juin - 11:39 | |
| 198 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
Mais le 75 pend du temps à traverser un ravin profond qui l'arrête quelques instants. Tandis qu'on aménage un passage, l'artillerie de montagne arrive, le dépasse, et peut prendre position pour continuer le feu. Enfin la cavalerie et la compagnie montée, suivies de près par les premiers éléments de la colonne, continuent leur rapide mouvement en avant et pénètrent dans le camp, qu'ils fouillent complètement. A 11 H. 30, le gros de la colonne s'arrête à la hauteur des campements ennemis, où elle s'établit en halte gardée. Nos troupes ont même l'agréable surprise de trouver de nombreux plats de couscous tout préparés, des méchouis cuits à point et de grandes bouillottes de thé fumant, que les Marocains comptaient déguster après leur victoire. Elles se les offrirent avec satisfaction ! Il ne restait bientôt plus de cet immense camp, comprenant plusieurs centaines de vastes tentes, des abris de branchages et même plusieurs villages dans lesquels les Marocains grouillaient par milliers, que des ruines fumantes. L'incendie ne tardait pas à gagner les récoltes et la plaine ne formait plus qu'un immense brasier. 199 RÉCITS MILITAIRES Jusqu'à 2 heures de l'après-midi la cavalerie poursuit les fuyards et déblaye complètement le terrain. A 2 h. 30 la colonne reprend sa marche vers l'ouest dans la direction du Djebel-Lamtar, où des rassemblements sont encore signalés. Mais le résultat de la bataille du matin est déjà connu, et le pays est complètement abandonné. Dans la soirée nos troupes bivouaquent près de Sidi-Chafëi. Un détachement, soutenu par une batterie de montagne, est dirigé sur Fez pour ramener les morts et les blessés. Le lendemain la colonne Gouraud rentrait dans Fez, après avoir détruit sur son passage tous les villages et campements ennemis qui nous étaient hostiles. A 3 heures les troupes victorieuses qu'étaient allés attendre à la porte de Bab-Ghissa le général Lyautey, le général Moinier, le général Brulard et quelques notabilités chérifiennes, défilaient dans les principales rues de Fez, produisant sur la population, enfin terrifiée, une profonde impression. Les pertes éprouvées par les Marocains peuvent être évaluées à un millier de tués. Nous avions, de notre côté, 11 tués, dont le lieutenant Mas et 28 blessés dont le capitaine Devanlay et le lieutenant Chevrier du 1er spahis, le lieutenant Guérin du 2° étranger et le lieutenant Claude du 4° tirailleurs. | |
| | | Paul CASIMIR
| | | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Lun 23 Juin - 11:54 | |
| 200 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ Cette superbe bataille, qui valait au colonel Gouraud les étoiles de général, eut un retentissement énorme dans toutes les tribus qui nous croyaient dans l'impossibilité de sortir de la ville. Elle contribua à ramener un moment de calme qui permit au général Lyautey de commencer l'organisation du pays et termina la phase des événements provoqués par l'émeute du 17 avril. Au cours du combat, livré le 1er juin par les troupes du colonel Gouraud, on trouva dans la tente du chérif commandant la harka d'Hadjra-el-Koïla plusieurs lettres intéressantes et, notamment, une sorte d'ordre de mobilisation des plus curieux, dont voici la traduction : Louange à Dieu seul !
Exposé de la réglementation qui doit être suivie pour la répartition de méhallas bénies, pour la mise en déroute de l'ennemi, s'il plaît à Dieu.
Avec la puissance de Dieu et sa force, toutes les tribus rentreront dans Fez.
Les tribus des Beni-Ouaraïn, des Ait-Tcherouchen, des Beni-Sadden, des Cherarda, des Oulad-el-Hadj et leurs voisins les Beni-Ouaraïn, entreront par la force de Dar-Debibagh au bastion qui avoisine Bab Fetouh.
Les tribus Riata, Tsoul, Branès et Oulad-Riah, se porteront au bastion désigné vers la porte de Sidi-bou-Jida.
201 RÉCITS MILITAIRES Les Oulad-Amrane, les Haourra, les Snadja et autres de la région, entreront de Sidi-bou-Jida à Bab-Ghissa.
Les tribus Amenou et Ametou, les Chorfas, les Oulad-Sidi-Khramlah, et avec eux les Beni-Zerouel, rentreront de Bab-Ghissa à Bab-Marouk.
Les tribus Cherarga, Oulad-Djema, Lemta, les Riffains, les Hayaïnas , les Aslas et les Beni-Ouriagel, rentreront de Bab-Marouk à Dar-Debibagh.
Avec le détail que nous venons d'indiquer, le feu sera ouvert sur la totalité des murs de la ville. Quant aux cavaliers, ils sortiront de la Smala vers Dar-Debibagh, vers le Saïs, vers Dar-Mehares et se répandront dans le pays que nous venons de dire.
Que l'assistance de Dieu soit avec la totalité des Berbères campés autour de Fez, qu'ils aient confiance en Dieu et leur entrée dans la ville, par le côté qui leur est désigné, par un trou ou par l'autre.
Ils viendront vers les portes, tueront tous les ennemis qui s'y trouveront et les remplaceront par des Musulmans, avec la puissance de Dieu et sa force.
Que chaque tribu reste à l'endroit où elle sera entrée. Il se peut que l'ennemi prenne la fuite comme il l'a déjà fait. Et si vous faites rassembler les Musulmans comme nous venons de le dire, depuis les premières paroles jusqu'aux dernières, nous aurons la victoire, s'il plaît à Dieu.
Qu'il fasse durer notre autorité et qu'il magnifie les destinés du chérif Sidi Mohammed-el-Hadjami, qui s'est occupé de cette guerre sainte.
Comme on le voit, cet ordre d'attaque était parfaitement conçu et il montre bien que toutes les tribus désignées devaient simultanément attaquer Fez dans toutes les directions. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Lun 23 Juin - 12:03 | |
| 202 LES JOURNEES SANGLANTES DE FEZ
Il justifie également l'impression ressentie pendant le combat du 1er juin, relaté plus haut, que l'ennemi avançait en ordre, en plusieurs colonnes, groupé par tribus et par fractions. Cette organisation, bien que rudimentaire, permettait aux assaillants de donner leur maximum de force au moment de l'attaque. ________ TROISIÈME PARTIE
Les causes réelles de l'émeute de Fez.
Les responsabilités.
_____
Une étrange enquête.
Une erreur fondamentale a été commise par le Gouvernement et le Parlement dans la recherche sommaire des causes déterminantes des événements du 17 avril. C'est M. Regnault qui l'a volontairement provoquée en s'obstinant à créer une équivoque sur les causes vraies de la révolte. Pour masquer un instant sa responsabilité si terriblement engagée, il s'est acharné à vouloir confondre les causes apparentes de la révolution, c'est-à-dire le soulèvement des Askris, avec les causes réelles et profondes qu'il devait cependant connaître mieux que personne, à moins d'admettre — ce qui est d'ailleurs parfaitement possible — qu'il n'ait absolument rien compris aux événements qui se passaient autour de lui. Quelques parlementaires avisés, parmi lesquels M. Barthou, président de la commission des affaires extérieures et des protectorats, et M. Maurice Long, le distingué rapporteur du traité de protectorat, avaient cependant pressenti la vérité, mais sans pouvoir s'y appesantir. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Lun 23 Juin - 12:10 | |
| Document hors-texte
A FEZ, devant la tombe des Français victimes de la sédition du 17 Avril pendant la cérémonie funèbre du 6 Mai.
A gauche, l'autel improvisé: devant la fosse, au centre du groupe on reconnait M. Regnault, ayant à sa gauche le Général Moinier, à sa droite Hadj Mohammed El-Mokri et le général BRULARD.
Photographie du Capitaine CHEVALIER. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Lun 23 Juin - 12:22 | |
| 204 LES JOURNEES SANGLANTES DE FEZ
M. Barthou disait en effet (1) : En ce qui concerne la constitution de l'ordinaire (des askris), cette mesure effectivement a été prise. Il est certain qu'elle a constitué une erreur procédant des intentions les meilleures. Mais dire que cette erreur a été une faute, et surtout que cette faute a déterminé l'émeute de Fez, serait aller trop loin et donner à un fait particulier des conséquence trop générales et excessives.
Cet avis autorisé est également celui de M. Maurice Long, rapporteur du traité de protectorat, qui s'écrie : « Très bien ». Mais M. Barthou continue et précise : Ce qu'il faut dire, c'est que des faits particuliers ont coïncidé avec une situation générale qui n'était pas bonne, et qu'ils se sont produits dans une atmosphère de malaise — pour ne pas employer une autre expression.
Ce qui peut nous étonner, c'est que les autorités chargées de représenter la France au Maroc (voir M. Regnault) n'aient pas eu le sentiment de ce malaise, qu'elles ne se soient pas rendu compte des difficultés que le départ du Sultan allait produire, et qui naissaient déjà de l'annonce du protectorat.
_____ (1) Journal officiel du Ier juillet 1912, p. 1852. 205 LES CAUSES REELLES DE L EMEUTE Il y avait des précautions à prendre (après la signature du traité de protectorat). Il est regrettable, il faut le dire, qu'elles n'aient pas été prises, qu'on n'ait pas fait au Maroc ce qu'on n'avait pas manqué de faire en Tunisie. Cela est d'autant plus fâcheux que des hommes, qui habitaient le Maroc depuis longtemps, ne s'étaient pas mépris sur la situation.
Et M, Barthou cite un article de M. le docteur Weisgerber, du Temps, comme il citera plus loin un article de M. Hubert-Jacques, du Matin. Mais M. Barthou, comme M. Maurice Long, est obligé de se borner à laisser entrevoir la vérité, sans avoir la possibilité de pouvoir pousser plus loin la recherche des responsabilités. Nous n'avons pas, dit-il en effet, à examiner l'origine des troubles de Fez. La commission des Affaires extérieures n'avait pas reçu ce mandat de la Chambre. Elle n'a pas voulu l'exécuter (1).
Il paraît que le général Lyautey avait été chargé de faire une enquête. C'est, du moins, ce que nous apprend M. Barthou quand il dit : En attendant les résultats de l'enquête complète que le nouveau résident général devra poursuivre (2)...
_______ (1) Journal officiel du 1er juillet 1912, page 1852. (2) id., 28 juin 1912, page 1839. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Lun 23 Juin - 12:33 | |
| 206 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
Et c'est ce que confirme plus tard M. le Président du Conseil, ajoutant : Comme je l'ai dit à la commission des Affaires extérieures, je n'ai pas encore, sur l'origine de ces troubles, l'appréciation personnelle et motivée de M. le général Lyautey. La Chambre comprend qu'il a eu, depuis son arrivée au Maroc, d'autres soins urgents, et qu'il n'a pas pu se livrer à une enquête rétrospective.
A-t-on jamais entendu parler des résultats d'une enquête dont le général Lyautey aurait été chargé ? Forcer, d'ailleurs, le nouveau résident général à enquêter sur les faits qui avaient précédé son arrivée était le mettre dans une très fausse situation en l'obligeant : ou bien à jeter un voile sur la vérité, ou bien à critiquer avec force ceux qui l'avaient précédé. Or, le général Lyautey était trop gentleman pour jouer ce rôle. Dès son arrivée à Fez, il a, tout au contraire, le souci constant d'ignorer tout ce qui a été fait avant lui. " Une muraille, répétait-il souvent, se dresse derrière moi, et je ne veux, à aucun prix, savoir ce qui s'est passé de l'autre côté du mur ". II trouvait une situation qu'il jugeait épouvantable, cherchant simplement le meilleur moyen d'en sortir. 207 LES CAUSES RÉELLES DE L'ÉMEUTE C'est ainsi que, quelques jours après son arrivée, le général Brulard lui ayant demandé d'adresser un ordre du jour de félicitations aux troupes pour leur attitude admirable pendant les journées tragiques, il lui répondit, bien que le cœur lui en saignât certainement : « Non, mon cher ami, c'est impossible, car j'ai dit que je voulais tout ignorer de ce qui s'est passé avant mon arrivée, aussi bien ce qu'il y a de beau et de grand, comme votre conduite et celle de vos superbes troupes, que ce qu'il y a eu de mal. Si je félicitais, il faudrait aussi que je blâme ... Je ne puis donc faire ce que vous me demandez. » Et cependant, malgré tout son souci de ne pas prononcer une parole de nature à faire connaître son impression sur la politique suivie avant son arrivée, il ne pouvait s'empêcher de laisser échapper cette exclamation, qui venait sur ses lèvres presque comme un leit-motiv : « Ah ! si j'étais arrivé seulement trois mois plus tôt ! » Cette phrase en laissait beaucoup entendre. Et nous la livrons à ceux qui attendent peut-être encore l'enquête du général Lyautey. Elle vaut plus qu'un long rapport. Mais ceux qui avaient chargé si maladroitement le résident général d'une « enquête rétrospective » auraient pu trouver dans son attitude si digne et si élevée une leçon de haute convenance, à moins que, le sachant incapable d'accomplir une telle besogne, ils n'aient imaginé là une manière assez habile d'enterrer les responsabilités, ce qui a réussi — jusqu'à ce jour. | |
| | | Paul CASIMIR
| | | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Lun 23 Juin - 16:48 | |
| 208 LES JOURNEES SANGLANTES DE FEZ Moulay Hafid.
Des raisons multiples, d'importance inégale, ont déterminé l'explosion de révolte du 17 avril. Pour les comprendre, et ne pas s'en tenir à la seule rébellion des Askris, comme le voudrait M. Regnault pour les besoins de sa défense personnelle, il faut revenir en arrière. Il faut notamment connaître l'état d'âme du sultan Moulay-Hafîd et les sentiments de la population quelque temps avant l'arrivée à Fez de l'Ambassade. Depuis longtemps, Moulay-Hafid voulait abdiquer, II était intransigeant sur ce point, et M. Gaillard, notre consul à Fez, dut insister longuement auprès de lui pour l'amener à modifier momentanément cette détermination. Voici ce que disait Moulay-Hafid pour montrer que sa décision était irrévocable : 209 LES CAUSES RÉELLES DE L 'EMEUTE
— Je ne suis pas et je ne peux pas être un sultan de protectorat. Ce serait contraire à tout mon passé, à mon besoin de liberté et d'indépendance. Je ne puis oublier, et tout mon peuple se le rappelle, que si je suis actuellement sultan, c'est précisément parce que je me suis posé à Marrakech en défenseur de mon pays contre toute intrusion étrangère. Je ne puis, sans forfaire à ma conscience, accepter et solliciter moi-même un joug contre lequel je me suis élevé dans une attitude qui m'a valu le trône. Je ne veux pas tromper la confiance que mon peuple a mise en moi. D'autre part, j'ai toujours été habitué à agir à ma guise, à faire tout ce qui me convenait, à dépenser sans compter l'argent qu'il me plaisait de prodiguer, à aller où bon me semblait sans avoir de comptes à rendre à personne. Mon père et tous les sultans du Maroc ont été habitués à cette autorité et à cette indépendance absolues. Je ne puis me résoudre à accepter un contrôle qui limiterait ma volonté et soumettrait mes actes à sa sanction. Non! vraiment, ce n'est pas possible, je ne suis pas l'homme qu'il faut pour jouer !e rôle de sultan de protectorat. Il est inutile d'insister, ma décision est irrévocable. Il ajoutait d'ailleurs que son abdication n'avait rien qui puisse gêner la France, puisque le Gouvernement français s'était engagé à ne pas s'opposer à cette abdication et à lui permettre même de désigner son successeur (1). _____ (1) On sait que cette affirmation était exacte, et que, depuis le 17 octobre de d'année précédente, M. de Selves, alors ministre des Affaires étrangères, avait pris l'engagement de consentir à l'abdication de Moulay-Hafîd et à la désignation par celui-ci de son successeur. M. de Selves avait d'ailleurs pris cette décision sans se rendre compte de sa gravité et sans que le Conseil des ministres fût appelé à en délibérer. Bien plus, ni M. Maurice Long, rapporteur de la commission de la Chambre, ni M. Barthou, président, ni M. Poincaré, rapporteur de la commission sénatoriale, n'avaient eu connaissance de cet engagement.
| |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Lun 23 Juin - 16:55 | |
| 210 LES JOURNEES SANGLANTES DE FES
Il avait l'intention de désigner un de ses fils, âgé de 5 ans. Ainsi l'Ambassade, dont l'arrivée était prochaine, se serait trouvée en présence d'un enfant de 5 ans pour signer un traité de protectorat ! Devant cette perspective, M. Gaillard insista encore très vivement. — Le voyage de l'Ambassade est annoncé, lui dit-il ; vous ne pouvez pas abdiquer au moment où le ministre de France va venir ! Il est impossible qu'il ne trouve pas un sultan pour le recevoir. Attendez au moins l'arrivée de M, Regnault et vous verrez ce que vous ferez ensuite. Moulay-Hafîd finit par se rendre à ces raisons, ajoutant qu'il ferait tout ce qui dépendrait de lui pour que le ministre de France reçût l'accueil le plus cordial. C'est dans ces conditions que l'Ambassade arriva à Fez. 211 LES CAUSES REELLES DE L'EMEUTE
Naturellement, les intentions de Moulay-Hafid avaient transpiré dans le palais et de là dans la ville, où elles furent diversement interprétées et déformées. Le bruit ne tarda pas à courir que le Sultan voulait abdiquer pour ne pas livrer son pays aux infidèles. On savait qu'il devait quitter la capitale pour se rendre à Rabat, puis à Paris, et l'on disait couramment qu'il était prisonnier des Français. Moulay-Hafid eut le tort certain, après avoir lui-même lancé tous ces bruits, de les laisser courir dans le public. Cette interprétation inexacte, qui le posait en victime impuissante à s'opposer à une calamité nationale, ne pouvait que flatter sa popularité aux yeux du bas peuple. Là était le danger, et Hafid commit incontestablement la très grosse faute de ne pas s'en rendre compte. La personnalité même de Moulay-Hafid est des plus complexes, et vouloir la définir en une seule formule nous paraît très difficile. C'est réellement un caractère; mais, chez lui, l'intelligence se confond avec l'habileté, la volonté avec l'entêtement et la franchise avec le désir de paraître sincère. Souvent il a tenu la diplomatie en échec par ses arguments inattendus et non dénués d'à-propos, en les présentant avec un sens de la logique vraiment remarquable. | |
| | | Paul CASIMIR
| | | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Lun 23 Juin - 17:16 | |
| 212 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
Et, très certainement, si Hafid avait eu, pour défendre ses conceptions, une armée et une marine puissantes, il eût passé pour le premier diplomate de l'Europe (1). Il est certain que si sa résistance dut céder devant la menace, c'est que cette menace était effective. Qu'il eût été, à ce moment, en mesure de parler d'épée aiguisée et de poudre sèche, nul doute que ses arguments eussent prévalu, non pas seulement parce qu'ils auraient été appuyés par la force, mais simplement parce qu'ils étaient logiques. Toutefois, la préoccupation dominante de Moulay-Hafid a toujours été de sauvegarder sa personne et ses intérêts particuliers. Cette préoccupation, qui a toujours été le principal mobile de tous ses actes et de toute sa politique, contribue à le rendre beaucoup moins intéressant. _________ (1) II suffît de relire le Livre Jaune de 1910, des pages 122 à 131, pour voir avec quelle élégante désinvolture il se joua des demandes de M. Regnault et de M. Merry del Val, alors ministre d'Espagne à Tanger. De toutes les demandes que formula ce dernier, au nom de l'Espagne, Moulay-Hafid n'accéda qu'à une seule : la concession d'un terrain pour y établir un cimetière espagnol, ajoutant aimablement qu'il serait heureux que l'Espagne puisse l'utiliser le plus largement possible. L'ironie était grossière, mais elle montre bien la tournure d'esprit de Moulay-Hafid.
213 LES CAUSES RÉELLES DE L'ÉMEUTE A plusieurs reprises, nous eûmes l'occasion d'avoir de très longs entretiens avec lui, après les événements de Fez. Il nous a toujours donné l'impression d'un accusé présentant sa défense avec une très grande habileté et avec une ingéniosité telle qu'il n'y aurait pas eu, à notre avis, un seul jury de France pour le condamner, au cas — irréalisable — où il aurait été déféré à la Justice française. Quand nous le vîmes, quelques jours seulement après les tragiques événements du 17, son regard ne brillait plus de la petite flamme de malice et de ruse qui sont une des caractéristiques de son visage mobile. En acteur admirable, il a su se composer une physionomie triste et une attitude abattue, qui pouvaient d'ailleurs être des plus sincères. Il parle avec volubilité et donne l'impression qu'il se livre en entier, sans réflexion, sans réticences. Ses premières paroles sont pour dire, les larmes dans la voix, combien il déplore les événements qui viennent de se produire, et les termes lui manquent pour exprimer toute son horreur. Il a, du reste, fait connaître publiquement ses sentiments de réprobation dans une lettre chérifienne lue par son grand vizir à la population de Fez et aux Askris. | |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. | |
| |
| | | | HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |