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| HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. | |
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Auteur | Message |
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Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Mar 3 Juin - 8:37 | |
| 16 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
Quelque échauffourée, peut-être même une rixe entre Européens et indigènes, mais pas plus. Une révolution ? C'était bien prétentieux ! Nous voulûmes renvoyer notre domestique au dehors pour recueillir quelques nouvelles plus précises, pendant que nous entamions un poulet aux champignons d'aspect fort engageant. Il s'y refusa catégoriquement, disant que son costume algérien le désignait, au milieu de la foule, comme domestique d'Européen et qu'il risquait sa vie. Nous plaisantâmes sa pusillanimité et décidâmes de nous occuper d'abord des choses sérieuses, c'est-à-dire de notre déjeuner, remettant à plus tard le soin de nous renseigner exactement sur cet événement. Notre domestique insista cependant encore sur la gravité de la situation, et nous allions l'admonester sévèrement, lorsque retentirent de bruyantes clameurs montant de la rue. — Il se passe décidément quelque chose, dit Meynot; si nous allions voir ? Notre salle à manger, qui donnait sur la cour intérieure, n'ayant pas de vue sur la rue, nous montons à l'étage supérieur pour nous mettre à la lucarne de la chambre de Pérot. 17 LES MASSACRES Tous nos domestiques, au nombre de sept, qui ont déjà barricadé les deux portes d'entrée, nous suivent. Nous voyons aussitôt la rue encombrée par un grand nombre de Marocains parlant très haut et gesticulant très fort. De nombreux askris des tabors marocains descendent la rue en courant, se dirigeant vers Moulay-Idriss. Chose curieuse, la vue de ces soldats nous rassure tout d'abord. Ils sont en effet en armes, le fusil à la main, les cartouchières garnies passées à la ceinture. — Tout va bien, pensons-nous, il a probablement dû se passer un incident quelconque dans le bas de la ville et voici ces bons soldats marocains qui vont rétablir l'ordre. Nos domestiques cependant, qui se trouvent à une autre lucarne, attirent notre attention sur une scène qui se passe au-dessous d'eux. C'est le propriétaire d'une écurie , dans laquelle se trouvent les chevaux d'un Français, qui est brutalement sommé d'en remettre les clefs pour que l'on puisse s'emparer des bêtes. Et comme il refuse, il est brutalement frappé et emmené hors de notre vue. Nous montons alors sur la maison, pour avoir une vue d'ensemble plus complète. Sur toutes les terrasses de la ville, des têtes de femmes commencent à se montrer et des you-you à se faire entendre. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Mar 3 Juin - 8:42 | |
| Document hors-texte L'artillerie de campagne précédée d'un "caïd er-r'ha" et de cavaliers du "guich". Cliché l'Illustration, 21/03/1903.
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| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Mar 3 Juin - 8:49 | |
| 18 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
L'animation devient de plus en plus vive dans la rue, et les soldats qui dévalent au pas de course, leur arme toujours à la main, sont à chaque instant plus nombreux. Que se passe-t-il ? Le bruit se répand alors que les soldats que nous voyons courir sont des askris révoltés, qui ont tué leurs officiers et vont se réfugier à Moulay-Idriss. Un marabout voisin nous fait dire, à ce moment, de ne pas rester un instant de plus sur la terrasse, afin de ne pas attirer sur nous la fureur de la foule. Nous retournons alors dans la chambre de Pérot et envoyons notre cuisinier au dehors, dans le but d'avoir quelques renseignements précis sur les événements, qui semblent prendre une tournure assez grave. Notre cuisinier est un vieux Marocain, vêtu selon la coutume du pays, qui n'attirera pas l'attention sur lui. Pendant ce temps, nous prenons nos dispositions de combat et faisons rapidement l'inventaire de nos armes et munitions. Hélas, nous ne disposons que de deux revolvers et d'une soixantaine de cartouches. Pérot a son browning et moi mon Webley... c'est tout. Meynot, qui venait pour la première fois au Maroc, avait demandé avant de partir de Tanger au capitaine Pettelat, officier d'ordonnance de M. Regnault, s'il avait besoin de se munir d'une arme pour aller à Fez. 19 LES MASSACRES Ce fut par un joyeux éclat de rire que le capitaine Pettelat répondit à cette demande : — Une arme pour aller à Fez avec l'Ambassade? Et pourquoi faire, grand Dieu ! Voulait-il donc jouer au Tartarin ? Pourvu qu'il ait son habit et une paire de souliers vernis, c'était tout ce qu'il fallait ! Donc Meynot n'avait pas d'armes, nos domestiques non plus. Après avoir fait barricader aussi solidement que possible la double porte d'entrée, nous décidons de nous tenir dans la chambre de Pérot, située au deuxième étage. De la véranda intérieure on peut commander la porte donnant accès dans la cour, au cas où cette porte serait forcée. Pérot et moi ne devons faire usage de nos armes qu'à la dernière extrémité, en raison de la pénurie de nos munitions. Meynot, toutes les cartouches installées devant lui, doit garnir nos chargeurs pour remplacer immédiatement ceux que nous aurons épuisés. Ces dispositions prises, nous retournons à nos postes d'observation, c'est-à-dire à nos deux pc-lucarnes. II est alors 2 heures et demie. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Mar 3 Juin - 8:57 | |
| 20 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
Les cris augmentent de toutes parts, et des détonations d'armes à feu commencent à se faire entendre. Toutes les boutiques se ferment précipitamment, et, indice beaucoup plus grave, les you-you des femmes se font plus nombreux et plus aigus. Le you-you de la femme arabe que nous sommes habitués à entendre dans les fêtes mauresques, soit qu'elles se donnent dans une salle de spectacle de Montmartre ou dans leur cadre réel, n'est pas seulement un cri de joie et d'allégresse destiné à célébrer un événement heureux, naissance, mariage ou fête. Il est aussi un cri de mort : le cri accompagnant, chez les Peaux-Rouges, la danse du scalp, pendant que la victime pantelante se tord dans les convulsions de la mort; le cri du corbeau planant au-dessus de la charogne dont il va se repaître..., et c'est encore un cri d'allégresse, mais combien sinistre et lugubre !.... Nous apercevons notre cuisinier, qui est parti depuis une demi-heure, aux prises avec de nombreux Marocains, qui menacent de lui faire un mauvais parti. L'un d'eux le saisit à la gorge et lève sur lui un long poignard. Pérot ajuste soigneusement le Marocain avec son browning, prêt à l'abattre s'il fait un geste de plus. Malgré le danger que présente pour nous une telle intervention, qui serait le signal immédiat de l'attaque de notre maison, nous ne pouvons consentir à laisser égorger sous nos yeux notre fidèle serviteur. 21 LES MASSACRES Ce dernier réussit enfin à se dégager, et, quelques instants après, nous lui ouvrons les portes de notre demeure. — Ce sont les askris qui se sont révoltés, nous dit-il ; la population civile se joint à eux. Huit Français ont déjà été tués. Devant moi, à une cinquantaine de mètres d'ici, un officier français ayant une veste rouge (1) passait à cheval. La foule s'amassa autour de lui, l'invectivant, le couvrant de crachats, arrêtant son cheval par la bride. Un soldat lui arracha son képi. Comme l'officier tirait son revolver pour se défendre, un boucher se précipita hors de sa boutique et lui ouvrit le crâne d'un coup de hache.... Je me suis enfui pour ne pas en voir davantage. Des détonations, maintenant, retentissent de toutes parts. On tire des coups de revolver d'une terrasse toute proche de la nôtre. On entend des bruits de portes que l'on défonce. Les you-you redoublent d'intensité. Les Marocains commencent à s'amasser devant notre maison. On frappe à notre porte. — N'ouvrez pas ! crions-nous aux domestiques que nous avons laissés dans la cour pour maintenir les portes jusqu'au dernier moment. _____ (1) Le capitaine Cuny probablement. | |
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| | | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Mar 3 Juin - 9:07 | |
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Barricadez aussi solidement que vous pourrez. Les coups se poursuivent plus violents. Nos domestiques parlementent. Dans le brouhaha général, leurs paroles ne montent pas jusqu'à nous, mais nous les voyons enlever les barricades et s'apprêter à ouvrir la porte. Serions-nous trahis ? Nous descendons précipitamment, le revolver au poing; mais nous nous trouvons en présence d'un respectable musulman tenant à la main une carabine Mauser reluisante, la poitrine barrée de l'épaule droite à la hanche gauche par une cartouchière dont toutes les alvéoles sont garnies. Nos domestiques nous expliquent que cet important personnage est un de nos voisins, chérif d'Ouezzane, qui, ayant conscience de l'immense danger que nous courons, est venu se mettre à notre disposition. Gracieusement, il nous offre soit de défendre notre maison avec ses hommes, soit d'aller nous réfugier chez lui, où nous n'aurons rien à craindre. Nous remercions vivement ce brave Marocain, que nous sûmes plus tard s'appeler Si Ahmed-Driss, oncle du grand chérif d'Ouezzane, Si Mohammed-el-Ouazzani, dit Bou-Znafa, chérif lui-même. 23 LES MASSACRES Si Ahmed-ben-Driss nous dit être venu à notre secours, de la part du grand chérif, dès qu'il a eu connaissance du péril qui nous menace. Il réitère l'offre qu'il vient de nous faire, se mettant entièrement à notre disposition. Comme toutes nos affaires se trouvent dispersées dans cette maison où nous habitons depuis un mois, et craignant que tout ne soit mis au pillage après notre départ, nous préférons rester, quitte à avoir à nous défendre si les assaillants deviennent plus pressants, mais en acceptant l'offre généreuse du chérif d'être gardés par ses hommes en armes. Aussitôt, une douzaine de ses gens, armés comme lui de carabines à répétition, se placent en faction devant notre porte, mettant en joue tous ceux qui font mine d'approcher et tirant même quelques coups de fusil pour dégager les abords de notre demeure. Vers 3 heures, toujours par l'intermédiaire de notre courageux cuisinier, nous faisons parvenir un mot à l'Ambassade de France pour indiquer la situation dans laquelle nous nous trouvons. Notre émissaire nous rapporte la réponse suivante d'un élève interprète de l'Ambassade : Messieurs, J'ai l'honneur de vous faire savoir que le ministre de France a reçu votre mot et me prie de vous dire de ne pas sortir de chez vous, avant qu'on aille vous chercher avec une escorte. En attendant, fermez vos portes. Amicalement. A. PÉRÉTIER.
Dernière édition par Paul Casimir le Mar 3 Juin - 9:10, édité 1 fois | |
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| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Mar 3 Juin - 9:16 | |
| 24 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
Nous n'avons donc qu'à attendre. C'est ce que nous faisons, en allant reprendre nos postes d'observation, pour chercher à nous rendre compte de la situation extérieure. L'émeute va grandissant et des groupes de plus en plus nombreux de civils et de soldats révoltés, tous en armes, continuent à descendre la rue conduisant à Moulay-Idriss. Tout à coup, un remous plus intense se produit dans la foule. Des Marocains hurlent et gesticulent autour de l'un d'eux, portant au bout d'un bâton une masse sanglante, informe.... Un frisson d'horreur nous glace les moelles ; nous venons de reconnaître une tête humaine..., une tête d'officier français, sans doute! Bientôt d'autres trophées affreux passent sous nos yeux, ce sont des amas de chairs sanglantes, souillées de boue, informes, toujours portées au bout de bâtons ou de baïonnettes.... Un groupe d'une dizaine de Marocains se dispute un paquet d'entrailles toutes chaudes, les coupant avec les dents en morceaux de deux à trois mètres pour se les enrouler autour du cou en poussant des hurlements de joie. 25 LES MASSACRES Nous ne pouvons rester plus longtemps derrière nos lucarnes. Nos revolvers nous brûlent les mains.... Ah ! si nous avions avec nous une dizaine de légionnaires seulement, avec des munitions, quel beau régal nous pourrions nous offrir ! Mais il ne faut pas, de nos fenêtres, songer à tirer un seul coup de feu sans nous exposer immédiatement au siège irrésistible de plusieurs centaines d'assaillants ! Les heures se passent ainsi dans l'angoisse et l'appréhension. Je rédige hâtivement quelques notes pour les faire parvenir à mon journal. Une quatrième fois, le cuisinier s'offre pour les porter aux bureaux de la télégraphie sans fil. Mais il revient quelques instants après, disant que mes télégrammes ont été refusés. Seules, les dépêches officielles peuvent passer. M. Regnault tient sans doute à être l'unique à renseigner exactement le Gouvernement sur les événements de la journée ! Vers 5 heures, nous entendons, pour la première fois, la voix bien connue de nos canons de 75. Isolés dans notre petite maison transformée en forteresse, nous en sommes réduits aux conjectures. Si l'artillerie intervient, pensons-nous, c'est que l'affaire a dû être vraiment sérieuse. | |
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| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Mer 4 Juin - 8:46 | |
| 26 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
Et cependant nous n'avons pas encore perçu les détonations caractéristiques des fusils modèle 1886. Nos troupes de Dar-Debibagh, campées à 4 kilomètres de la ville, n'auraient-elles pas pu approcher ? Comment se fait-il, depuis quatre heures que dure l'émeute, que nous n'ayons pas encore vu un seul homme de troupes françaises dans les rues ? Toutes ces questions se croisent dans notre esprit angoissé. Comment tout cela va-t-il se terminer ?... Notre cuisinier, seul agent d'information que nous ayons, nous apprend que le Mellah (1) est livré au pillage et que de nombreux juifs ont été massacrés. L'émeute, partie de Fez-Djedid, se propage de proche en proche jusqu'au bas de la ville. Pourquoi, pensons-nous aussitôt, toutes les portes de quartiers, qui cloisonnent la ville en un nombre infini de compartiments étanches, n'ont-elles pas été fermées ? Nous ne tarderons pas à apprendre que si cette mesure élémentaire, qui vient immédiatement à l'esprit de toute personne connaissant les dispositions de la ville de Fez, n'a pas été prise, cela ne tient point aux ordres donnés, dès le début, par les autorités militaires, mais à la trahison du pacha de Fez-Bali, le jeune Hadj-Hammad-el- Mokri, fils du grand-vizir El-Mokri, ministre de S. M. Chérifîenne. 27 LES MASSACRES Nous recevons à ce moment la visite du grand chérif, Si Mohammed-el-Ouazzani lui-même, qui a été envoyé par M. Gaillard, consul de France à Fez, pour essayer de nous protéger avant l'arrivée des troupes françaises, parties de Dar-Debibagh au secours de la ville. Il nous confirme les assurances de sécurité que nous a déjà données spontanément Si Ahmed-ben-Driss. Nous continuons à ignorer exactement ce qui se passe, ainsi que les causes et l'étendue de l'émeute. Il est déjà 5 heures et personne n'est encore venu à notre secours. Avec une impatience que l'on excusera aujourd'hui, nous adressons, vers 5 heures et demie, un nouveau mot à l'Ambassade de France pour rappeler notre situation et signaler notre dangereux isolement. Nous recevons une seconde réponse d'un fonctionnaire de l'Ambassade, nous disant « qu'en l'absence du ministre » (sic) il nous fait savoir que, « dès que des soldats seront disponibles, on viendra nous chercher pour nous conduire soit à l'Ambassade, soit à l'hôpital militaire, où a été organisé le centre de la résistance ». _____ (1) Quartier juif. | |
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| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Mer 4 Juin - 9:24 | |
| 28 LES JOURNEES SANGLANTES DE FEZ
La nuit commence à tomber et le bruit de l'émeute semble s'apaiser progressivement. Seuls, les you-you stridents des femmes continuent à vriller le silence. Elles aperçoivent sans doute encore quelques Français cherchant à se dissimuler à la faveur de l'ombre, dans les ruelles obscures, et leurs cris exaspérants d'allégresse et de mort les poursuivent jusque dans leur dernière retraite pour les signaler et les livrer à la fureur des hommes, ivres de sang et de carnage.... Il est 9 heures du soir. Déjà, nous avons pris nos dispositions pour passer la nuit dans notre maison, deux d'entre nous devant monter ensemble la garde, à tour de rôle, lorsque des bruits de pas nombreux retentissent dans la rue. L'huis de notre porte est violemment heurté. Avec toutes les précautions voulues, après d'assez longs pourparlers, la porte est ouverte. C'est une compagnie du 4ème tirailleurs algériens, sous le commandement du capitaine Bourdonneau, qui vient pour nous délivrer. Après un moment d'effusion, où les questions précipitées se heurtent aux réponses écourtées, le capitaine Bourdonneau monte avec moi dans la salle à manger, pendant que mes deux camarades vont achever leurs préparatifs de départ. 29 LES MASSACRES Les tirailleurs sont restés dans la rue, sombre et silencieuse maintenant. Sur la table subsistent quelques reliefs de notre hâtif souper. J'offre au capitaine Bourdonneau, qui paraît exténué, dont les traits sont tirés et la figure, ainsi que les vêtements, couverts de boue, de se restaurer sommairement. Il se laisse tomber sur un siège, mais refuse de prendre quoi que ce soit. — Je n'ai rien mangé depuis hier soir, dit-il, ayant été appelé ce matin à la tête de ma compagnie au moment où j'allais me mettre à table. Mais tous mes hommes sont comme moi, et vous comprendrez, dans ces conditions, que leur chef doit être le premier à partager leurs privations. Je ne puis donc rien accepter. — Pas même un biscuit... un verre de bordeaux ? — Pas même. Je connaissais depuis trop longtemps l'admirable esprit d'abnégation des officiers de la trempe des Bourdonneau pour songer seulement à insister. Je le laissai seul un moment pour aller chercher dans ma chambre mes vêtements de sortie. | |
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| | | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Jeu 5 Juin - 9:12 | |
| 30 LES JOURNEES SANGLANTES DE FEZ
— Partons vite, me dit-il brusquement, ma mission n'est pas encore terminée.... Et puis ! ma femme et ma pauvre fillette de 12 ans, que soint-elles devenues ? Elles habitaient à Fez-Djedid, au centre même de l'émeute.... Ont-elles pu se sauver? Que leur est-il arrivé? Sont-elles seulement encore en vie?.,. Allons! êtes-vous prêts? partons ! Le malheureux capitaine Bourdonneau, qui devait être frappé le lendemain même à la tête de sa compagnie de deux balles en pleine poitrine, rendit le dernier soupir à l'hôpital sans avoir eu la suprême consolation de savoir que sa femme et sa fille avaient été sauvées.... Sous une pluie fine et pénétrante, dans la boue molle et glissante, la compagnie se met en route vers le Consulat de France, où une résistance hâtive a pu être organisée. 31 LES MASSACRES Les rues, naguère si bruyantes, sont maintenant complètement désertes et silencieuses. Toutes les boutiques sont closes et des débris de toutes sortes, provenant du pillage du Mellah, jonchent le sol. La compagnie Bourdonneau vient de la, poste française, où elle a pu délivrer M. Bluc, receveur, Nous passons devant la maison du capitaine Maréchal et du maréchal des logis Guéraz, que l'on doit également recueillir. Hélas ! ceux-là ne nous répondront plus !... Lugubrement, la petite troupe poursuit sa route, éclairée par quelques falots à bougies qui semblent rendre plus obscures encore toutes les encoignures des rues étroites et tortueuses que leur faible clarté ne parvient pas à fouiller. Durant le parcours, nous cherchons à nous renseigner. Les informations sont encore imprécises. On cite les noms d'une quinzaine d'officiers et d'autant de civils qui auraient été massacrés...; toute la ville, sauf le quartier du Consulat, qui aurait pu être repris par un bataillon de tirailleurs arrivé en toute hâte de Dar-Debibagh, serait aux mains des émeutiers.... Le Mellah serait pillé et un grand nombre de juifs tués.... Les tribus des environs marcheraient sur Fez.... | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Jeu 5 Juin - 9:22 | |
| 32 LES JOURNEES SANGLANTES DE FEZ
des renforts seraient demandés d'urgence.... Tous les Européens doivent être égorgés le lendemain.... Toutes ces nouvelles se croisent, échangées à voix basse, sans que l'on se rende compte encore exactement des causes de la révolte et de l'étendue des massacres. Nous avons hâte d'arriver auprès du général Brulard pour obtenir des renseignements précis. En débouchant, vers 11 heures du soir, près de l'hôpital militaire, où le général Brulard a établi son quartier général, qu'il ne quittera pas, jour et nuit, pendant plus d'une semaine, nous avons une vision d'épouvante : là, devant nous, entassés sur des mulets, sinistrement éclairés par des falots balancés à bout de bras, projetant sui les murs de grandes ombres macabres qui dansent dans la nuit, passent, à nous toucher, des cadavres affreux, décapités, mutilés, laissant échapper leurs intestins qui traînent à terre, entièrement nus, souillés de boue et de sang.... On les dirige sur l'hôpital, où déjà ont été apportés d'autres débris humains. En nous voyant, le général Brulard ne cache pas les appréhensions que nous lui avions causées. Nous sachant isolés dans le quartier le plus dangereux de la ville, il avait vivement craint que nous ne fussions massacrés. 33 LES MASSACRES Enfin, nous étions sauvés, mais combien d'autres, hélas ! étaient tombés ... et devaient tomber encore ! Des coups de fusil isolés continuaient à retentir, aux abords mêmes de l'hôpital; à chaque instant, un officier ou un envoyé quelconque venait apporter des nouvelles ou prendre ses ordres. Admirablement maître de lui, toujours calme, précis dans ses instructions, il contribuait par son sang-froid à maintenir l'ordre autour de lui et à inspirer la confiance. Se portant au centre même de la défense, il avait établi son quartier général dans le « bureau des entrées » de l'hôpital : une petite salle de deux mètres cinquante de largeur sur quatre de longueur environ, meublée d'une table, de bancs et de quelques chaises en bois. Il se tenait là en permanence, avec le colonel Mangin, le commandant Brémont, l'interprète Régnier et son inséparable officier d'ordonnance, le lieutenant Vergés. Devant le bureau du général se trouvait un officier de belle allure, la barbe grisonnante, fumant paisiblement sa pipe. Souvent, le général Brulard venait s'entretenir avec lui. Quel était donc cet officier, que nous n'avions pas encore vu, mais que nous devions si bien apprendre à connaître plus tard ? | |
| | | Paul CASIMIR
| | | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Jeu 5 Juin - 19:53 | |
| 34 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
Il était impossible de distinguer son grade, ni même de reconnaître son arme. Il était vêtu d'un pantalon kaki pris dans des jambières et d'un paletot de cuir noir ; comme coiffure, il portait une chéchia de spahi. C'est ce qui nous le fit prendre, dès le début, pour un officier de cavalerie, dont il avait la ligne souple et élégante. Quelques instants plus tard, nous nous présentâmes : - Hubert-Jacques, du Matin. - Commandant Philipot, du 4ème tirailleurs algériens. En quelques mots, il nous indiqua comment, campé avec son bataillon à Dar-Debibagh, à 4 kilomètres de Fez, il avait reçu l'ordre de marcher en toute hâte au secours des Européens assiégés dans la capitale. Cette marche sur Fez du bataillon Philipot, entrant dans une ville livrée à 100.000 émeutiers, est un des faits de guerre les plus beaux dont puissent s'enorgueillir nos annales militaires, pourtant si fertiles en actes d'héroïsme. Nous décrirons par le détail toutes les péripéties de cette marche dans la seconde partie de ce livre. On vint nous chercher, un instant après, pour nous conduire au Consulat de France, où nous devions provisoirement nous réfugier. 35 LES MASSACRES Mr. Gaillard se tient dans son cabinet de travail, en commnication constante avec l'Ambassade. Pendant près d'une heure, nous causons des terribles événements de la journée et des conséquences qu'ils peuvent avoir si les tribus des environs viennent attaquer la ville avant que les renforts, demandés d'urgence, aient le temps d'arriver. M. Gaillard ne nous cache pas que les nouvelles sont mauvaises de partout, que le mouvement qui vient d'éclater a des racines profondes et qu'il s'était souvent employé déjà à signaler la mauvaise impression produite chez les musulmans par l'annonce du départ du Sultan, qui devait quitter Fez sans esprit de retour, et aussi par la signature du traité de protectorat. Mais il est déjà plus de minuit. On ne sait ce que nous réserve la journée du lendemain, et il semble prudent d'aller prendre un peu de repos pendant que la ville semble calme. Plusieurs chambres du Consulat sont transformées en dortoirs, où une dizaine de Français, déjà, se sont réfugiés. Nous nous étendons sur un tapis et ne tardons pas à nous endormir .... Tels sont les impressions personnelles que nous avons éprouvées et les faits auxquels il nous a été permis d'assister pendant cette tragique journée du 17 avril, tandis que nous restions assiégés dans notre maison de midi à 9 heures du soir. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Jeu 5 Juin - 19:59 | |
| 36 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ
Mais que s'était-il passé ?... De l'enquête minutieuse à laquelle nous nous sommes livré, des renseignements précis que nous avons puisés à toutes les sources, des documents que nous avons eus en mains, nous avons pu reconstituer toutes les phases du drame, telles que nous allons les présenter ici. Comment la révolte éclata.
Le 17 avril, à midi, le Sultan, qui venait de déjeuner, se trouvait, en compagnie du grand-vizir El-Mokri, dans le petit pavillon du Méchouar, où il avait, la veille, reçu ses invités après le grand déjeuner d'adieux offert à l'Ambassade. Dans la pièce du dessus — celle où l'on prit le thé — se trouvaient M. le docteur Murât et sa femme, qui, ne devant pas accompagner le Sultan pendant son voyage à Rabat, venaient prendre congé de lui avant son départ, fixé au lendemain 18. Vers midi et quart, le Sultan entendit une vague rumeur paraissant provenir de la grande cour du Méchouar. 37 LES MASSACRES Il crut que ce bruit était occasionné par des chevaux échappés et il monta à l'étage supérieur pour mieux voir, du balcon de la véranda, ce qui pouvait se passer. Il aperçut alors une bande d'askris, criant et gesticulant, en marche sur son pavillon, dont il donna immédiatement l'ordre de fermer toutes les portes. Le Sultan, interpellant les soldats du haut de son balcon, leur demanda ce qu'ils voulaient. — Tu es notre sultan, répondirent-ils, et nous venons à toi pour nous plaindre des officiers français, qui nous traitent trop durement, qui veulent nous faire porter le sac comme à des bêtes de somme et réduire notre solde. — Eh bien ! dit le Sultan, allez porter vos doléances au grand-vizir, qui me les exposera ensuite pour que je puisse les examiner. Allez ! Les askris se retirèrent alors en assez bon ordre vers la bénika (1) d'El-Mokri, qui les reçut immédiatement. Après cet incident, le Sultan, assez ému, passant par une petite porté dérobée, quitta son pavillon pour aller s'abriter dans l'intérieur du palais. Une seconde bande d'askris en armes fit, un instant après, irruption dans la cour du Méchouar et pénétra dans le palais, demandant impérieusement à voir le Sultan. _____ (1) Bureau de travail et de réception. | |
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| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Ven 6 Juin - 6:35 | |
| 38 LES JOURNEES SANGLANTES DE FEZ
Moulay-Hafid se refusa d'abord à les recevoir, mais, devant la violente insistance des soldats et cédant aux conseils de son entourage, il consentit à ce que trois soldats, préalablement désarmés, fussent amenés devant lui. Les trois délégués, très excités, exposèrent au Sultan les mêmes doléances que les premiers soldats. Moulay-Hafid répondit encore : — Je vais examiner vos griefs; en attendant, retirez-vous et allez prier dans la mosquée de Sidi-Abdallah (1). A peine ces trois soldats étaient-ils partis qu'une troisième bande d'askris, paraissant encore plus excités que les précédents, se précipitait en vociférant dans une des cours intérieures du palais, demandant violemment à voir le Sultan. Après un moment d'hésitation, Moulay-Hafid consentit encore à recevoir trois nouveaux délégués, toujours désarmés. C'est en termes brutaux, qui impressionnèrent vivement le Sultan, qu'ils exposèrent, une fois de plus, leurs revendications. _____ (1) Cette mosquée, qui se trouve dans le quartier de Fez-Djedid, est toute proche du palais. 39 LES MASSACRES
- Nous voulons, ajoutèrent-ils, que tu interviennes de suite en notre faveur. Tu es toujours notre seul maître et nous sommes tes fidèles soldais; mais tu vas nous abandonner et quitter Fez pour ne plus revenir.... - Non, répond le Sultan décontenancé, je vais seulement à Rabat. - C'est faux, poursuivent insolemment les Askris, nous savons que tu dois quitter le Maroc et aller dans le pays des Roumis. S'il est exact que tu n'ailles qu'à Rabat, pourquoi ne t'accompagnons-nous pas ? Tu es notre sultan, nous ne voulons pas t'abandonner et nous ne voulons pas que tu quittes notre pays. Moulay-Hafid, fortement ému, répondit d'une voix tremblante : - Oui, je sais que vous êtes mes fidèles soldats et que je puis compter sur vous. Oui, vous m'accompagnerez tous jusqu'à Rabat, mais allez de suite m'attendre à N'zala-Ferradji (1), où je vous rejoindrai ensuite. Et, pour vous prouver ma confiance, je vous charge de veiller à la garde de ma famille, qui s'y trouve déjà campée. - Nous voulons bien y aller, poursuivent avec obstination les révoltés, mais il faut que tu nous donnes de suite des cartouches. _____ (1) Première étape à 5 ou 6 kilomètres de Fez que devait atteindre le Sultan en quittant la capitale. | |
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| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Ven 6 Juin - 6:55 | |
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- Mais vous en avez déjà, essaya d'objecter Moulay-Hafid, de plus en plus désemparé. - Non! nous n'en avons pas assez; il faut que tu mettes tous tes magasins de réserves de munitions à notre disposition, pour que nous puissions y puiser comme il nous conviendra. Comme Hafid, ne sachant plus quelle contenance tenir, essayait encore de discuter sur l'inutilité d'un trop grand nombre de cartouches, les trois askris partirent en poussant des imprécations. Ils se joignirent à leurs camarades, qui les attendaient dans la cour, et se dirigèrent vers les magasins de munitions, dont ils essayèrent de forcer les portes. Ils en furent empêchés par les soldats de la garde nègre, qui leur barrèrent le passage. Une bagarre allait éclater lorsque retentirent les premiers coups de feu, tirés à la caserne des Cherarda par les deux premières bandes d'askris qui, après avoir quitté le palais, étaient retournés dans leurs quartiers pour se révolter contre les instructeurs français. Aussitôt la troisième bande quitta le Palais à son tour pour se joindre aux émeutiers, et la révolte fut déchaînée. Tels sont les faits qui se produisirent au début de l'émeute, et les causes apparentes de la sédition. Mais il nous faudra remonter bien plus haut et fouiller bien plus profondément pour en retrouver les causes réelles.41 LES MASSACRES La première partie de cet ouvrage étant uniquement consacrée à la relation des faits, nous allons entreprendre le lugubre récit de ces trois journées d'horreur. Et tout d'abord, il est à remarquer que, seuls, les Français ont eu à subir les violences des Marocains. Parmi toutes les victimes, il n'en est pas une qui ne soit française, ou au service de la France. Mais il y a mieux. Un fait caractéristique montrera quel était le souci des révoltés de ne massacrer que des Français et de ne piller que des demeures françaises. Les émeutiers ayant, dans la journée du 17, complètement dévalisé une maison européenne et ayant appris, par la suite, que cette maison était celle de la poste anglaise, ils s'empressèrent de tout rapporter et de tout remettre en ordre, pour ne laisser aucune trace de leur passage. Une grande pendule à balancier, dont les Marocains sont très amateurs, qui avait été emportée hors de la ville, fut même remise en place, intacte! Les demeures privées de tous les officiers et sous-officiers français, ainsi que celles des agents français, avaient été soigneusement repérées. Elles eurent toutes à subir des assauts. | |
| | | Paul CASIMIR
| | | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Ven 6 Juin - 7:06 | |
| 42 LES JOURNÉES SANGLANTES DE FEZ Par contre, aucun consulat, aucun établissement étranger ne fut inquiété. L'exemple de la poste anglaise est typique à cet égard. Les victimes.
Les premières victimes furent certainement M. Bringau, ingénieur particulier du Sultan, correspondant du Matin à Fez, et Mme Bringau, ainsi que le lieutenant Renaud et M. Benjio, commerçant, leurs hôtes. Bringau habitait, à une centaine de mètres à peine du Palais, une petite maison formant rez-de-chaussée, composée de quatre pièces disposées autour d'une cour intérieure. Les trois premières bandes d'askris révoltés que nous avons vus aller manifester au Palais sont forcément passés devant sa maison, et c'est au retour qu'ils l'ont assaillie. M. et Mme Bringau et leur invité, le lieutenant Renaud, venaient de se mettre à table, lorsqu'ils entendirent passer les premiers émeutiers se rendant au Palais. Des cris et des menaces commençaient à monter de la rue. Un peu inquiet, Bringau se leva de table et, laissant sa femme à la garde du lieutenant Renaud, se dirigea vers le Palais, en compagnie de son interprète Abdallah, pour se renseigner sur les causes de cette manifestation. - 43 LES MASSACRES Arrivé sans encombre au Palais, — pendant le temps qui s'écoula entre le passage de la première et de la seconde bande d'askris, — il assista à la scène du balcon et rencontra M. Benjio avec lequel il se mit à causer. — Va rassurer ma femme, dit-il à son interprète, et dis-lui que je vais retourner dans un instant; il n'y a rien de bien grave. Il faut dire que Bringau et sa vaillante jeune femme n'en étaient plus à s'émouvoir aux premiers symptômes d'une manifestation d'askris. Ils avaient vécu à Fez, dans cette même maison, toutes les heures tragiques du siège de 1911, et « en avaient vu bien d'autres », avec un courage et un sang-froid qui ne se démentirent pas un seul instant. Jour par jour, heure par heure, sous les balles mêmes des assaillants qui venaient frapper autour de lui, Bringau nota pour les lecteurs du Matin toutes les péripéties de ce siège de trois mois. Plusieurs fois, sa femme et lui avaient cru leur dernière heure arrivée, lorsque le flot des assaillants venait battre les murs mêmes du palais, qui n'était défendu alors que par ces askris. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Sam 7 Juin - 8:33 | |
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Et eux qu'il voyait aujourd'hui exprimant au sultan leur mécontentement contre leurs officiers, il les avait connus à des heures graves, se groupant autour de leurs chefs pour leur faire un rempart de leurs corps. L'interprète partit donc pour aller rassurer Mme Bringau. Il ne put accomplir sa mission, car il se heurta à la troisième bande d'askris devant laquelle, déclara-t-il ensuite, il dut fuir pour ne pas être massacré, en sa qualité d'Algérien au service d'un Français. Bringau et Benjio virent arriver le troisième groupe de soldats révoltés, se précipitant en armes vers les cours intérieures du Palais. — II n'y a rien de bien grave, répéta Bringau. Laissons-les se « débrouiller » entre eux, et allons tranquillement continuer notre repas. Venez avec moi, Benjio, nous serons plus en sûreté chez nous. Malheureusement trop blasé sur le spectacle des manifestations bruyantes, Bringau avait cru que le danger se trouvait au Palais, et il pensait être beaucoup plus en sécurité chez lui ! Le contraire se produisit . Les personnes qui restèrent au Palais, comme M. et Mme Murât, Mlle la Doctoresse Broïdo, furent sauvées, tandis que celles qui demeurèrent chez elles furent presque toutes massacrées. 45 LES MASSACRES Bringau et Benjio quittèrent donc le Palais pour retourner auprès de Mme Bringau et du lieutenant Benaud. Que se passa-t-il alors? Des domestiques qui se trouvaient chez eux, une femme juive fut tuée, et un marocain raconta que les émeutiers, ayant envahi la maison, tirèrent plusieurs coups de fusil qui abattirent d'abord Bringau, puis le lieutenant Renaud, puis Benjio. Mme Bringau, seule survivante à ce moment, aurait été sollicitée de fuir sur les terrasses par le domestique qui lui offrait une djellabah pour se déguiser. Elle aurait courageusement répondu : — Non ! mon mari vient d'être tué; je reste à ses côtés. Au même moment elle aurait été abattue à son tour par un coup de feu. L'examen des corps, très soigneusement fait par le docteur Fournial, médecin-chef de l'hôpital militaire Auvert, dément cette version. Le corps du lieutenant Renaud ne portait qu'une seule blessure faite, à la tempe droite, par une balle de browning de 6 m/m 5, le geste caractéristique du suicide. Les corps de M. et Mme Bringau étaient criblés de coups de poignards et de baïonnettes ; | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Sam 7 Juin - 8:36 | |
| Document hors-texte
Une rue de Fès-Djedid.
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| | | Paul CASIMIR
| Sujet: HUBERT-JACQUES : Les journées sanglantes de fez, avril 1912. Sam 7 Juin - 8:44 | |
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celui de Benjio portait la trace de balles de fusil du modèle 74. Le domestique qui avait fourni les premiers renseignements reconnus faux fut mis à la chaîne et emprisonné pendant un mois. On acquit alors la certitude qu'il avait inventé de toutes pièces la scène du crime, car il avait fui dès les premiers coups de feu, et n'osait pas avouer avoir abandonné ses maîtres au moment du danger. Il fut relâché. Ce premier massacre accompli et la maison pillée de fond en comble, les émeutiers se divisèrent en plusieurs groupes, immédiatement grossis par de nouveaux askris et par toute la lie de la population, pour se répandre en ville, au mellah et à la casbah des Cherarda. C'est sur ce dernier endroit surtout que se porte, au point de vue politique, le principal intérêt de la journée. Aussi traiterons-nous cette question dans la troisième partie de ce livre, où nous rechercherons les responsabilités. Nous avons été obligé d'adopter cette méthode de classement pour ne pas apporter de confusion dans l'exposé de faits qui, au même moment, se sont déroulés sur un grand nombre de théâtres,, plus ou moins éloignés les uns des autres. A l'hôtel de France, tenu par Mme Imberdis, et situé au centre de la ville dans le quartier du Tala, plusieurs officiers, sous-officiers et civils venaient de se mettre à table, lorsque leur parvinrent les premières nouvelles de l'émeute. 47 LES MASSACRES Aussitôt, les officiers et sous-officiers se levèrent pour se rendre en toute hâte à la Kechla (1) tandis que les civils se préparaient à organiser la résistance. Les capitaines Cuny et de Lesparda furent assaillis dans la rue, près de la porte de Bou-Djeloud, et tués par la population et les soldats mutinés. Les capitaines de Lavenne et Rouchette furent assassinés dans les mêmes conditions près de Bou-Djeloud. Le capitaine Maréchal fut abattu à coups de sabre par son ordonnance et son domestique, sur sa terrasse, alors que les émeutiers envahissaient sa maison. Il fut ensuite achevé par les soldats et la populace, auxquels on lança son corps du haut de la terrasse. L'officier d'administration Marigny, ainsi que le sous-intendant Lory, du grade de lieutenant-colonel, furent surpris dans leurs maisons et massacrés. L'un d'eux voulut fuir par les terrasses, mais il fut pris par les femmes qui le martyrisèrent et le brûlèrent à petit feu, membre par membre, depuis une heure de l'après-midi jusqu'à sept heures du soir. _____ (1) La Kechla était située dans la casbah des Cherarda. C'est à que se trouvaient les casernes des tabors chérifiens. | |
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