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Mémoire de la présence Française au Maroc à l'époque du Protectorat
 
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 LE MAROC ET SES VILLES D'ART, TANGER, FES ET MEKNES

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Paul CASIMIR





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FÈS

la naissance de cette ville, « la plus distinguée des villes du Maghreb ». Or, tandis qu'il en traçait les fondements, Idris avait rencontré un vieux solitaire chrétien, qui paraissait bien avoir cent cinquante ans, et qui passait sa vie en prières dans un ermitage situé non loin de là. Il avait dit à l'émir: « Que viens-tu faire en ces montagnes? »
— " Je viens, répondit Idris, élever une ville où je demeurerai et où demeu­reront mes enfants après moi, une ville où le Dieu très haut sera adoré, où son livre sera lu, où l'on suivra ses lois et sa religion. "
Et le vieux chrétien lui avait révélé qu'il avait existé ici une ville nommée Sef, détruite il y avait dix-huit cents ans, qu'un homme, de la famille du prophète, la relèverait, et que cet homme se nommait Idris. « Loué soit Dieu ! je suis cet Idris », s'écria l'iman  alors il commença de creuser les fondations.

Ainsi, il traça, le 3 février 808, les murs de l'enceinte de l'adoua el Andalous; un an après, Idris entreprit ceux de l'adoua el Qaraouiyin. Il élève une mosquée, découvre des puits et des sources, bâtit sa propre maison, édifie une Kiissaria, donne à son peuple des demeures, fait plan­ter des arbres à fruits. Idris s'empare d'un méchant nègre qui terrifiait le pays. Il ouvre la première porte de la cité, Bab Ifrikiya.

Page de légende, dont nous ne rapportons pas les détails topographiques que M. Henri Gaillard a savamment commentés; tissu de mensonges pleins de sens, qui mettent du moins la ville sous le double patronage du prophète et du chrétien, et la caractérisent si bien sur la terre des Berbères. Quant au nom de Fès, que son fondateur lui avait donné, suivant la même légende il lui viendrait de la pioche d'or ( fas ) que les maçons et les artisans lui auraient offerte pour qu'il en creusât les fondements. Mais les noms des deux adoua ne furent donnés qu'après l'arrivée à Fès d'un certain nombre de familles de Kairouan et de l'Andalousie. L'étymologie du nom de Fès est inconnue. Du moins, sommes-nous certains qu'à l'origine, la ville est déjà de sang mêlé, que deux civilisations, la musul­mane et la chrétienne, témoins de sa naissance, continueront de veiller sur son développement.

LES   DYNASTIES   BERBÈRES

Aux Idrisites succédèrent, au X° siècle, les Zenata Berbères poussés par le flot de l'invasion hilalienne qui devait faire du Maroc une terre nue; ils se fixent dans les plaines du Saïs. Et d'autres bandes faméliques sorties du Sahara, les hommes voilés Almoravides, partent de Marrakech,


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Une échappée vers Fès el Bali.
Cliché Beaux-arts.


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FES

sous la conduite d'un grand chef, Yousof ben Tachefyn, et soumettent toute la région de Fès. Et d'autres Berbères, les Almohades, descendus de l'Atlas, les chassent de Fès et les supplantent (milieu du XII° siècle). Le monde berbère s'étend alors de Marrakech à Séville.

El Bekri, qui écrivit en 1067 et vécut auprès des Omeyades à la cour du roi de Séville, épicurien qui aimait le jus de la treille, les lettres et la poésie, grand voyageur, a parcouru Fès en ce temps-là. Il a vu les deux adoua entourées de murailles et séparées par une rivière rapide qui faisait tourner les moulins. L'une était le quartier des gens de Kairouan, l'autre celui des Andalous. Dans le premier de ces quartiers, chaque habitant avait, devant sa porte, un jardin rempli d'arbres fruitiers coupé par des rigoles. Toutes les maisons étaient traversées par un courant d'eau. Les deux villes renfermaient plus de trois cents moulins et une vingtaine de bains. El Bekri a fait cette remarque précieuse que les juifs étaient plus nombreux à Fès que dans aucune autre ville du Maghreb. Les Magrébins disaient proverbialement : « Fès est une ville sans hommes. » El Bekri a mentionné un certain nombre de portes, le « tertre aux fèves » où se livraient bataille les gens des deux adoua, le faubourg des malades et des lépreux, la source jaillissante où il y avait une belle mosquée. Dans le quartier des Andalous, les hommes étaient réputés plus braves et les femmes plus belles que dans le quartier opposé; mais les hommes étaient plus beaux dans l'autre. Dans le quartier de Kairouan, El Bekri a vu la mosquée de trois nefs fondée par Idris, fils d'Idris, avec la grande cour où l'on remarquait des oliviers et d'autres arbres. On comptait dans ce quar­tier vingt bains, de nombreux jardins et des ruisseaux. Les citrons y attei­gnaient une grosseur extraordinaire. El Bekri a rapporté ces vers :

« Quar­tier de Kairouan, endroit qui m'est si cher,
puissent tes coteaux garder toujours leur fraîcheur et leur beauté !
Puisse Dieu ne jamais t'enlever le manteau de ses faveurs,
à toi, noble pays qui repousse le crime et le mensonge ! »

Le géographe Edrisi a décrit Fès au milieu du XII° siècle. Il a distin­gué, lui aussi, les deux villes séparées par une rivière dont les eaux fai­saient tourner un grand nombre de moulins qui permettaient d'obtenir de la farine à très bas prix. Dans la ville méridionale, el Andalous, l'eau était rare. Dans el Qaraouiyin, elle circulait abondamment dans les rues et les habitants s'en servaient pour nettoyer leur ville durant la nuit, en sorte que, tous les matins, les rues et les places étaient parfaitement propres. Des fontaines coulaient dans toutes les maisons. Chacune des deux villes avait son iman et sa mosquée ; les habitants des deux quartiers



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27  
L'HISTOIRE  DE  FÈS

étaient en rixes perpétuelles. Fès comptait déjà beaucoup de mai­sons, de palais, de métiers; ses habitants se montraient industrieux; leur architecture et les objets de leur façon avaient un air de noblesse. Les vivres y étaient abondants, le blé à meilleur marché que partout ailleurs. On y voyait, de toutes parts, des fontaines surmontées de coupoles, des réservoirs d'eau voûtés, ornés de sculpture et d'autres belles choses. L'eau jaillissait abondamment de plusieurs sources: tout y apparaissait

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L'oued Fès à l'intérieur de Fès el Bali.
Cliché Commandant Larribe, d'après Bertrand, éd. Paris.

verdoyant et frais ; les jardins et les vergers étaient bien cultivés, les habitants fiers et indépendants.

Les Almohades ont laissé quelques traces à Fès. Abou Yousof fit reconstruire les murs détruits par son grand-père Abd el Moumen, en 1045.
D'après le rapport de l'inspecteur de la ville, sous le règne de Nasser l'Almohade, Fès était déjà la cité la plus florissante du Maghreb. Il a dénombré 785 mosquées ou qoubbas; 121 endroits d'ablutions; 93 bains publics; 472 moulins situés autour et à l'intérieur des murs d'enceinte; 89.236 maisons; 467 fondouks; 9082 boutiques; 2 kaissarias; 3064 fabriques; 117 lavoirs; 86 tanneries; 113 teintureries; 12 ateliers de cuivre;  136 fours à pain; 1970 autres fours. Dans les premières années


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FÈS

du XIII° siècle, il y avait encore à Fès 400 fabriques de papier. L'oued Kebir était seulement visible. Tous les autres ruisseaux étaient recou­verts par des constructions. Le bas de l'oued était occupé par les teintu­riers, par les marchands de viandes cuites et les fabricants de beignets; au-dessus de leurs installations, on tissait des haïks.

La dynastie des guerriers et des organisateurs Almohades devait dis­paraître au début du XIII° siècle, conquise parla vie facile et les mœurs des

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Une partie de l'oued Fès à Bab ed Dekkaken.
Cliché Commandant Larribe, d'après Bertrand, éd. Paris.


vaincus; les faméliques du désert ou de la montagne, qui descendront éternellement vers la plaine et la mer, s'abattirent sur le pays et les com­battirent comme des hérétiques. Telle est l'origine des Béni Merin, Zénètes Berbères. Ils quittent, en 1213, les terrains pauvres de leurs parcours, entre Figuig et la Moulouya, marchent sur Taza, entrent en vainqueurs à Fès, détruisant tout sur leur passage. Et ces guerriers seront à leur tour victimes de leur propre civilisation, qui atteignit un développement supérieur, au moment où l'auteur du Rawd el-qirtas écrivait à Fès.

Il nous faut connaître cette civilisation dont Fès sortit renouvelée. Car les princes qui reposent sous les grandes qoubbas de la colline, ont


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L'HISTOIRE DE FÈS

fait élever les monuments que nous venons admirer aujourd'hui. C'est à leurs mausolées, des ruines frustes et imposantes que Léon l'Africain a vues encore décorées d'inscriptions, de fort beaux ornements de pierre et de marbre, enrichies de vives couleurs, qu'il faut rendre tout d'abord visite quand on vient pour la première fois à Fès; c'est de là qu'il faut contempler le panorama des deux villes. Fès Djedid, la cité blonde et

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Vestiges des tombeaux des Mérinides.
Cliché Beaux-Arts.

blanche, d'où émergent tant de qoubbas de turquoise, de hauts murs, de créneaux, tant de jardins d'où jaillissent de souples peupliers; Fès Bali, cité grise, couleur de la brique crue, où les pluies ont laissé sur les terrasses et les façades de tant de maisons comme des moisissures, de longues coulées grises, où le soleil a patiné et éteint l'éclat des tuiles vertes, les revêtements des minarets. Car les vrais émaux qui sertissent le grand bijou qu'est Fès, ce sont les brillants, les vivants vergers remplis du chant des oiseaux et du bruit des eaux, ce sont les beaux arbres à fruits étreignant


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FES


les grands cimetières qui viennent à leur tour presser doucement la ville grise, brûlante et langoureuse, dont les trésors et les raffinements ont toujours été l'objet de bien des convoitises, et que l'armée des créneaux et des murailles doit protéger, comme toutes les belles choses de ce monde qui inspirent le désir. Et nous pouvons maintenant nous retourner vers l'émir Abd el Aziz, mort en 1391 ; Aboul Abbas, mort en 1393 ; son fils Abd el Aziz, mort en 1396, et aussi vers cet Abdallah ben Abou Saïd, égorgé à Fès, qui reposent sous les tombeaux. Car dans la ville brû­lante, les Béni Merin ont transporté l'art de l'Espagne, renouvelé la civi­lisation des Omeyades, entre le XIV° et le début du XVI° siècle. Et Fès a pu être appelée, à juste titre, la ville des Mérinides.

Cette famille des Mérinides est considérée par l'auteur du Rawd el-qirtas comme la première et la plus noble de la tribu des Zenata. De mœurs douces, valeureux guerriers, profondément religieux, charitables pour les docteurs et les saints, les Béni Merin vivaient sur les terres du Zab africain. Comme des nomades, ne connaissant ni argent, ni monnaie, ni agriculture, ni négoce, ils chassaient, faisaient le commerce des chameaux et des nègres. Ils pénétrèrent dans le Maghreb pour faire paître et abreuver leurs troupeaux, quand les Almohades commençaient à subir leurs désastres en Andalousie et que, détachés de leurs affaires, ils s'adonnaient, dit-on, au vin, à la luxure et à la mollesse. Les Béni Merin combattirent leurs armées et pénétrèrent dans le pays comme une nuée de sauterelles. Les populations fuyaient devant eux et gagnaient les montagnes. Ainsi les Béni Merin massacrèrent l'armée almohade aux environs de Tazouta. L'émir Mohammed Abd el Hakk, dont le père avait fait la campagne d'Alarcos, assoit la dynastie: généreux, très austère, cet infatigable soldat périt en combattant. Ces pillards Béni Merin remettent de l'ordre dans le Maghreb, chassent de partout les gar­nisons almohades, rétablissent la sécurité des pistes.

L'un des plus grands sultans de cette dynastie est Abou Yousof, guerrier et très pieux, qui écrivit de sa main de belles pages, étudia les livres de morale et d'histoire. On le trouve, en 1260, devant Salé dont les Espagnols s'étaient emparés par surprise et il les chassa au bout de quinze jours.
C'est au temps d'Abou Yousof, contemporain de Saint Louis, que le Très Haut répandit sa bénédiction sur le Maghreb et qu'il combla son peuple de bienfaits. Alors ses habitants jouirent d'une prospérité et d'une abondance inconnues jusqu'alors. A Fès, et dans les autres villes, la farine, le blé et l'orge étaient à bon marché; les fèves et les légumes


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L'HISTOIRE  DE  FÈS

à bas prix. Et tout cela, ajoute le pieux chroniqueur, à cause de la béné­diction de l'émir, de son habile gouvernement, de son admirable conduite et de ses bonnes intentions.
Les derniers Almohades sont dispersés en 1260 ; Abou Yousof descend

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Mosquée el Attarin. Détails de la porte sur la cour.
Cliché  Beaux-Arts.


vers Marrakech, campe au Gueliz et « fit briller sa magnifique armée ». El Mostadhl s'enferme dans son propre palais que les Arabes du voi­sinage viennent démolir, ainsi que les murailles. Abou Yousof entre en triomphe dans Fès ; il attaque Tlemcen, détruit Oujda. Il conduit des expéditions victorieuses en Andalousie depuis 1274. En 1275, de retour au Maghreb, l'émir décide la construction de la nouvelle Fès (Fas el Djedid) dont il trace à cheval l'enceinte sous un astre propice : « car


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FÈS

jamais ni un étendard, ni une armée n'y sont rentrés vaincus ». L'émir donne l'ordre de construire la Qacba de Meknès et sa mosquée. En 1277, pour la deuxième fois, il passe en Andalousie, conduit l'expédition de Cordoue; la flotte musulmane remporte une victoire devant Algésiras. Pour la quatrième fois, l'émir passe en Andalousie, en 1285. Les prêtres et les religieux chrétiens vont à sa cour devant Séville et lui demandent la paix. Il meurt, en 1285, dans sa ville neuve, le palais d'Algésiras (son corps fut enterré dans une chapelle de Chella). L'Islam entier prit le deuil : ainsi l'émir s'en alla retrouver Dieu chéri, conduit par Gabriel et les anges.

Abou Yacoub el Nasser, son fils, n'est pas qu'un guerrier. On le voit faire des présents aux docteurs, aux saints, aux pauvres; il corrige les abus, supprime la taxe des maisons, les droits de marché, assure la sécurité des routes et poursuit la débauche. Beau et absolu, cet émir a sa cour, ses poètes, ses médecins. Il dirige des opérations contre les Arabes. Il accueille une députation de chrétiens Génois qui lui offrent un arbre en or sur lequel étaient des oiseaux mécaniques qui chantaient. A Fès, en 1292, il reçoit le coran des Omeyades qui provenait de Cordoue; des présents de l'Egypte, de la Syrie, du roi d'Ifrikia. Après le grand siège de Tlemcen, il fait construire un nouveau Tlemcen (la Mansourah): une ville entière avec de vastes bains, des hospices, des écoles, une grande mosquée. Abou Yacoub est assassiné, en 1307, dans son palais de Tlemcen Djedid et son corps est porté à Chella.

C'est sous le règne, de Sulaiman, mort en 1310, que l'on voit les pro­priétés enchérir beaucoup; on ne pouvait plus bâtir une maison à moins de 1.000 dinars d'or. On faisait alors un grand commerce de bêtes de somme, d'étoffes et de bijouterie : et « c'est à cette époque que l'on com­mença à faire usage de carreaux vernis, du marbre et des sculptures dans les maisons », dira l'auteur du Rawd el-qirtas. Détail bien intéressant, on le voit, pour l'histoire architecturale de Fès. L'iman Abou Saïd lui succéda en 1325.

La ville nouvelle de Fès est alors le siège du gouvernement et la demeure des rois mérinides. Abou Saïd n'est plus un guerrier. Il organise les affaires du pays, diminue les impôts, répand des aumônes. La prospé­rité s'accroît : « Partout l'abondance, la sécurité, la joie, fêtes conti­nuelles de chaque jour et chaque nuit, tels sont les fruits du khalifat de l'émir des musulmans, de la bénédiction et de sa justice éclatante. Roi de l'époque, il gouverne les riches et les pauvres, les puissants et les faibles ; il protège l'opprimé et ouvre sa porte aux malheureux. Tant de justice et


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33
L'HISTOIRE DE FÈS

d'impartialité n'étaient pas connues avant lui. Que Dieu prolonge ses jours et fortifie son gouvernement ! »

FÈS AU TEMPS DES MÉRINIDES


Fès a été la capitale, la ville chérie des Béni Merin, les Almoravides et les Almohades lui ayant toujours préféré Marrakech, plus proche des populations dont ils sortaient.

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Murs d'enceinte de Bou Djeloud et l'oued Fès.
Cliché Ratel.


Les premières années du XIII° siècle (de 1221 à 1231 surtout) avaient été pour Fès des années de malheur. Les Béni Merin relevèrent le pays de ses ruines. En 1326, l'auteur du Rawd el-qirtas dira justement que les Béni Merin vénèrent Fès. « Fès réunit en elle eau douce, air salutaire, moissons abondantes, excellents grains, beaux fruits, vastes labours, ferti­lité merveilleuse, bois épais et proches, parterres couverts de fleurs, immenses jardins potagers, souqs réguliers, attenant les uns aux autres et traversés par des rues très droites, fontaines pures, ruisseaux intaris­sables qui coulent à flots pressés sous des arbres touffus aux branches entrelacées et qui vont ensuite arroser les jardins dont la ville est entourée... La rivière, qui partage la ville en deux parties, donne naissance, dans son


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34
FES

intérieur, à mille ruisseaux qui portent leurs eaux dans les lavoirs, les maisons et les bains, arrosent les rues, les places, les jardins, les parterres, font tourner les moulins et emportent avec eux toutes les immondices. »
En ce temps-là le bois de chêne et le charbon des forêts voisines étaient accumulés chaque matin aux portes de la ville. Aux gens qui sortaient du Figuig, des plateaux et des plaines de la Moulouya, cette eau de Fès, fraîche en été et chaude en hiver, qui nous semble à nous quelque chose de si suspect, était un enchantement divin que les poètes de l'époque ne cessaient de célébrer :

" O Fès, toutes les beautés de la terre sont réunies en toi ! De quelle bénédiction, de quels biens, ne sont pas comblés ceux qui t'habitent ? Est-ce ta fraîcheur que je respire, ou est-ce la santé de mon âme ? Tes eaux sont-elles du miel blanc ou de l'argent ? Qui peindra ses ruisseaux qui s'entrelacent sous terre et vont porter leurs eaux dans les lieux d'assemblée, sur les places et sur les chemins ! » (Abou el Fadhl).

Exactement comme nos vieux annalistes disaient le Paris de ce temps un paradis, Fès semblait un paradis terrestre, dont le fleuve serpentait à travers les gossampins et les cyprès. Les chroniqueurs célèbrent à l'envi cette eau, douce, légère, parfumée, qui guérissait les malades, rendait amoureux, blanchissait le linge sans qu'il fût besoin d'employer le savon; on en tirait des pierres précieuses, on y péchait des poissons excellents, des écrevisses, et quoi encore ! A proximité de la ville, au milieu des épis, on trouvait des mines de sel ; de la montagne on descendait chaque jour le bois de cèdre (l'incorruptible bois parfumé que nous allons retrouver dans les linteaux sculptés des médersas). Non loin, dans le Sebou, on péchait l'alose et le mulet qui, chaque matin, étaient apportés très frais sur les marchés; des thermes, des eaux chaudes naturelles, sont proches. Et, comme Paris au XIV° siècle, Fès était la cité de la science, le centre où se réunissaient en grand nombre les sages, les docteurs, les légistes, les littérateurs, les médecins et autres savants. " Elle fut de tout temps le siège de la sagesse, de la science, des études nouvelles et de la langue arabe, et elle contient à elle seule plus de con­naissances que le Maghreb entier. "

Au XIV° siècle, les maisons de Fès avaient trois et jusqu'à quatre étages; elles étaient bâties de pierre dure et de bon mortier. Leurs charpentes étaient de cèdre, le meilleur bois de la terre, que les vers n'attaquent pas et qui, disait-on, se conservait mille ans, à moins que l'eau ne l'atteignît. Chaque adoua avait sa mosquée, son armée, une cour. Les gens d'el Andalous étaient forts, adonnés aux travaux de la terre et des champs. Ceux d'el Qaraouiyin, haut placés, instruits, aimaient le luxe et le faste


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L'HISTOIRE DE FÈS

chez eux, sur leurs vêtements, à leur table, et ils ne se livraient guère qu'aux, arts et au négoce. Les femmes d'el Andalous étaient les plus jolies. Fès abondait en fleurs et en fruits. L'adoua d'el Qaraouiyn, où l'eau était délicieuse, produisait les plus succulentes grenades du Maghreb, des figues, des raisins, des pèches, des citrons, des coings et les autres fruits de l'automne. L'adoua el Andalous donnait par contre de beaux fruits d'été, pêches, mûres, pommes de Tripoli à peau fine et dorée, douces et

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Fès Bali.
Cliché Beaux-Arts.


parfumées. Et l'auteur de l'éloge de Fès attestait avoir vu couper la mois­son quarante jours après les semailles. 8.000 familles de Cordoue habi­taient el Andalous ; 3.000 familles, originaires de Kairouan, s'étaient fixées primitivement dans l'adoua dite plus tard de Qaraouiyin. Cette splendeur de Fès dura jusque dans la première moitié du XVI° siècle.

Léon l'Africain, qui abjura l'islamisme entre les mains de Léon X (Hasan, fils de Mohammed, d'une famille de Grenade, qui se qualifiait lui-même de Fasi, ayant été élevé à Fès où il avait élu domicile), a fait, vers 1507, une description de la ville qu'il faudrait citer en entier, car elle est encore le guide le meilleur que nous possédions de Fès. Léon Mohammed abjura ; mais jamais il ne renia la noble cité. Léon la décrit,


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FÈS
quartier par quartier, si belle dans son enceinte de hautes murailles, dans le grand site de ses collines; il énumère mosquées, hôpitaux, hôtelleries, maisons aux curieuses latrines de marbre où l'ordure est entraînée par un filet d'eau dans le fleuve; il décrit leurs chambres planchéiées, peintes de riches couleurs, d'or et d'azur, leur atrium à l'antique aux pavages
diaprés, leurs terrasses où l'on dort l'été sous des ais de bois, leurs por­tiques zelligés ou de marbre, leurs citernes, leurs fontaines de majoliques, leurs miradors où les femmes venaient faire leurs travaux à l'aiguille et d'où l'on découvrait tout le pourpris de la cité. Il dénombre les mosquées tendues de nattes avec leurs tours d'où l'on annonce les heures; il décrit l'Université, les collèges (médersas où Léon avait étudié), l'hôpital des fous tel qu'il est encore aujourd'hui, les hôtelleries de trois étages dont la plus spacieuse contenait cent vingt chambres avec leurs latrines et dont Hasan n'avait vu l'équivalent qu'au Collège des Espagnols à Bologne et au Palais du Cardinal Saint-Georges à Rome. Il donne une esquisse des danseurs efféminés, tout glabres, si mols et délicats qu'ils s'habillent en femmes, comme elles filant la quenouille et imitant leur parler; il décrit les moulins, les corporations d'artisans, les souqs, la kaissaria.

Car Léon l'Africain a tout vu, tout inventorié, décrit tout ce que, miraculeu­sement, nous retrouvons aujourd'hui. En 1533, un ambassadeur de Fran­çois 1er a prononcé un mot tout à fait important à propos des Fasi : « Ils sont Castillanisés. »
A des gens de cette sorte, il ne s'agit pas de pré­senter de la pacotille. C'est un fait que dans un état des présents à offrir de la part du roi à la cour de Fès sont mentionnés des paniers d'argent, de grands miroirs, des étuis dorés pour des peignes, des chaperons d'oiseaux enrichis de perles, des chandeliers, des pièces d'étoffes, des cadrans d'ivoire, des montres dorées, de petites horloges sonnant les heures, et aussi les bons petits couteaux de Paris.


_________________


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Le Sultan des tolba sous son parasol.
Cliché Commandant Larribe, d'après Bertrand, éd. Paris.


CHAPITRE II


L'UNIVERSITÉ DE FÈS ET LES MÉDERSAS

Jean de Jandun a décrit l'Université de Paris dans les premières années du XIV° siècle. " La sagesse se nourrit, dit-il, de l'étude des lettres, qui, ainsi qu'un fleuve sorti d'un lieu de délices, arrose et féconde, grâce au Saint-Esprit, non seulement le royaume dont nous parlons, mais encore le Paradis de l'Église générale, dont cette cité, mère et maîtresse des cités, est connue pour avoir été le berceau, parce que l'ensemble des études y a toujours été en honneur. "
II semble qu'on lise l'éloge qu'un écrivain arabe eût écrit de Fès et de la fontaine de la Oaraouiyine.

Jean de Jandun nous dit encore : " Dans la très paisible rue de Sorbonne, comme aussi dans nombre de maisons religieuses, on peut admirer des pères vénérables, des seigneurs, et, pour ainsi dire, des satrapes célestes et divins, parvenus heureusement au faîte de la perfection


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FÈS
humaine, autant que peut le faire l'intelligence unie à la grandeur, qui élucident solennellement les textes sacrés de l'ancien et du nouveau Testament par des exercices fréquents de lecture et de discussion, et qui, par leurs éloquentes prédications, souvent renouvelées, s'efforcent d'enra­ciner dans les cœurs les vérités salutaires de la loi divine, qu'ils réalisent en eux-mêmes par leurs saintes œuvres. "... Ces « satrapes célestes », vous les reconnaîtrez dans les graves professeurs (uléma), dont quarante enseignent encore à el- Qaraouiyin, les autres remplissant des fonctions religieuses ou judiciaires.

Car de même que chez nous l'enseignement supérieur est sorti des écoles capitulaires, en particulier des écoles de Notre-Dame de Paris, à Fès l'enseignement supérieur est sorti de la mosquée cathédrale d'el Qaraouiyin, qui devint le siège de l'université musulmane. Nous parlerons de la mosquée à propos de la ville sainte de Fès.

Autour de la mosquée étaient groupés les collèges pour abriter les étudiants (tolba) en théologie et en droit, enseignement tiré d'ailleurs du commentaire d'un livre unique, le coran. Aujourd'hui encore ils sont au nombre de 500 dont 300 étrangers à la ville. Vieux étudiants, comme ceux de chez nous au moyen âge, pauvres gens qui vivent souvent d'aumônes, végètent parfois pendant quinze et vingt ans, autant que dure un cours tout à fait désintéressé. Car ia méthode scolastique est un cercle. De la définition d'un mot, on passe au commentaire qui touche à l'histoire, à la poésie, à la grammaire; et tout est dit à propos de tout ce qui concerne la logique, la métaphysique, la jurisprudence. Les leçons sont données sur les nattes de la mosquée, comme chez nous elles étaient faites dans les chambres semées de bottes de paille (le nom de la rue du Fouarre rappelle encore cet usage). Parmi ces étudiants, on distingue ceux qui demeurent chez eux, en ville, et ceux qui sont logés dans les chambres des médersas, la plupart du temps étrangers ou pauvres. Ils touchent, sur le revenu des habous, du pain; quelques provisions leur sont envoyées par leurs parents; parfois ils mendient, comme c'était le cas chez nous jadis, sans que la moindre honte retombe sur eux. « Qui est-là ? —- Etu­diant. —- Négresse, donne un plat » : tel est le dialogue qu'on entend souvent à Fès. Et, comme chez nous autrefois, les étudiants forment une sorte de fraternité d'origine, avec ses usages, ses fêtes qui, avec leurs con­cours, rappellent un peu les cours d'amour. La principale, à l'occasion de la naissance de Mahomet, fait penser à la fois à la foire du Lendit et à l'ancienne fête de la Saint-Charlemagne; elle consiste dans l'élection, sui­vant un formalisme réel, d'un sultan des tolba, sultan d'un jour qui met


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L'UNIVERSITÉ DE FÈS ET LES MEDERSAS

son makhzen aux enchères. Le produit est employé à des réjouissances culinaires sur les bords de l'oued; et il arrive que le vrai sultan vient rendre hommage, solennellement, à l'émir d'un jour ".
Ces pauvres étudiants demeurent les hôtes des délicats et délabrés palais

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Entrée de la salle principale de la Médersa Mesbahya.
Cliché Beaux-Arts.
que sont les médersas. Ces collèges sont le sourire de Fès, la parure de l'art du temps des Mérinides, et leur ensemble suffirait à classer cette parmi les villes d'art d'un exceptionnel intérêt.

La plus ancienne médersa officielle fut fondée à Fès par le premier sultan de la dynastie des Béni Merin sur les indications d'un cadi qui avait fait ses études en Orient. Répandant les doctrines approuvées par l'Église et l'État, au point qu'elle sert parfois de cour de justice, la médersa


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FES
prépare aux fonctions publiques, religieuses ou judiciaires; elle devait exercer une influence considérable sur les masses ignorantes des Berbères. Une médersa est toujours proche d'une mosquée. Mais elle a aussi sa salle de prières, qui est comme la chapelle de l'établissement, et qui sert de salle de cours ou de répétition. De plus en plus ces médersas devaient

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Médersa Bou Ananiya. Chaire à prêcher.
Cliché J. de La Nèzière.


prendre l'aspect de la mosquée, avec leur minaret. Une fontaine à ablu­tions est toujours dans le patio. Les chambres des étudiants règnent dans les étages supérieurs.

Les médersas mérinides sont au nombre de six. La plus ancienne date de 1258-1286; la plus récente de 1357. Toutes présentent le plus grand intérêt, non seulement par leur date certaine et leur épigraphie, mais surtout par leur art délicat, leurs panneaux de zelliges ou de plâtre gratté, leur décor de bois sculpté. Mais elles ont beaucoup souffert du


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41
L'UNIVERSITÉ DE FÈS ET LES MÉDERSAS


temps, de l'abandon, et leur restauration est une fort délicate entreprise. La médersa es Seffarin (des dinandiers) fondée par Yacoub ben Abd el Haqq dans la seconde moitié du XIII° siècle est l'aïeule. Elle est carac­térisée par l'absence de carreaux de faïence, un décor épigraphique

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Médersa Sahridj.
Cliché Beaux-Arts.


andalou, des bandes étroites de bois ornées de caractères coufiques sty­lisés. Les revêtements de plâtre ciselé ont presque complètement disparu, sauf dans la salle de prières où l'on admirera une coupole de bois d'un travail remarquable. Elle n'a pas de tables de habous et ne porte pas le nom de son fondateur.

La médersa de Fès el Djedid ou du Dar el Makhzen a été fondée en 1320 par l'émir Abou Saïd, en dehors de la face méridionale de la grande cour du vieux méchouar. Son étude archéologique est intéressante, puisque


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FES
l'auteur du Rawd el-qirtas la considérait comme construite d'une façon parfaite, et que Léon l'Africain, au début du XVI° siècle, a nommé Fés el Djedid « l'école des architectes ». C'est aujourd'hui la plus déla­brée des médersas. Son plan est celui d'un atrium. Des deux côtés de la cour règnent deux galeries couvertes: les chambres des étudiants ouvraient sur les galeries qui ne comportent pas d'étage. Un bassin en briques carré recevait l'eau d'une vasque extérieure. La salle de prières comprend deux nefs parallèles séparées par une travée centrale soutenue par deux colonnes d'onyx violacé et deux demi-colonnes de marbre blanc engagées dans le mur. Le minaret est très postérieur et remonte seulement à Moulay Hasan. L'inscription de fondation a été rédigée après la mort de l'émir et donne la liste des habous. Sa construction fut achevée l'an 1321.

La médersa Sahridj, ou du bassin, la plus pure, la plus patinée des médersas, présente beaucoup d'analogies avec la précédente et est peut-être l'œuvre du même architecte. Elle est un peu moins ruinée, bien qu'elle ait perdu la plupart de ses plâtres grattés. Son plan est simple, mais intéressant, comportant dans le patio un vaste bassin oblong recueillant l'eau qui coule d'une petite fontaine basse jaillissant d'une coquille. Les jambages de bois de la porte de la mosquée sont beaux. Les restes, très délicats, de cette menue médersa, méritent une attention particulière; et elle rappelle aussi un grand souvenir historique. Cette médersa a été fondée en effet par Abou Hasan, alors qu'il n'était pas encore sultan (1321-1323). C'était un prince lettré, qui avait écrit de sa main plusieurs corans dont l'un fut envoyé à la Mecque. Protecteur des savants, il se montrait généreux envers les étudiants, cherchant en somme à se con­cilier les classes dirigeantes. On y lit l'inscription : « Abul Hasan a offert à Allah très Haut, dans ce geste de piété, ses pensées secrètes et publiques ». L'auteur contemporain du Rawd el-qirtas s'exprime ainsi à son sujet :
« Elle fut construite d'une façon parfaite, très belle et excel­lemment finie. L'émir fit élever auprès d'elle une fontaine, une hôtellerie pour le logement des étudiants... Il dépensa pour les travaux des sommes considérables dépassant 100.000 dinars ».

L'inscription de fondation men­tionne la médersa principale, la petite médersa, la maison des hôtes. On remarquera la porte principale de cèdre à placage de bronze découpé; dans l'atrium, les piliers rectangulaires où s'appuient sur des corbeaux deux beaux linteaux de bois sculpté; un décor ancien avec ses inscriptions coufiques et cursives ; surtout l'utilisation des carreaux de faïence émail­lée, non seulement dans le pavage, mais dans le revêtement des murs.


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L'UNIVERSITÉ DE FÈS ET LES MÈDERSAS
C'est là une nouveauté, la caractéristique en somme de l'art des Mérinides suivant le Rawd el-qirtas.

La médersa el Attarin, ou des épiciers, ainsi nommée parce que sa porte s'ouvre en face de leur souq, a été construite en 1323, sous le règne

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Médersa el Attarin. Mihrab et lustre.
Cliché Beaux-Arts.


d'Abou Saïd, près de la Qaraouiyine. Le sultan assista à la pose de la première pierre en présence des gens de la loi. Au jugement des Maro­cains, dont l'opinion est reflétée par l'auteur du Kitab el-istiqsa, elle est « un des plus beaux monuments de la dynastie mérinide et aucun roi auparavant n'en avait bâti de semblable ». On y pénètre par une belle porte recouverte de cuivre à marteau ciselé. Un peu plus vaste que les précédentes, cette médersa nous charme et nous retient, non seulement


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44
FES
par son précieux décor de plâtre ciselé, ses beaux revêtements de faïence polychrome, ses inscriptions, la délicatesse du travail de ses bois, mais surtout par je ne sais quelles heureuses proportions, une grâce charmante. Entre les médersas de Fès, menue et ciselée comme un coffret, elle vaut

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Médersa Bou Ananiya. Angle de la cour et minaret.
Cliché Beaux-Arts.


par la délicatesse précieuse de sa composition décorative. Une antique vasque de marbre, au milieu de la cour pavée de carreaux de faïence émaillée, comme usée par le frottement de tant de mains de fidèles, fournit, dit-on, une eau excellente. On y remarquera les zelliges qui sont d'une technique particulière, la salle de prières, fort riche, que décore


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45  
L'UNIVERSITÉ DE FÈS  ET LES MÉDERSAS

un lustre de bronze à inscription datant de la fondation. La médersa contient une trentaine de chambres que les étudiants des Djelaba, de Larache, de Tanger et du Rharb fréquentent.

La médersa Mesbahiya, dans le prolongement de la Qaraouiyine, fut fondée sous Aboul Hasan par un fqih, Abou Meçbah (d'où son nom) qui y

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Médersa Bou Ananiya. Canal devant la mosquée pour les ablutions.
 
Cliché Beaux-Arts.


donna le premier enseignement (1347). Elle a malheureusement beaucoup souffert du temps, mais renferme d'admirables morceaux qu'il ne sera pas facile de reprendre. C'est l'une des grandes médersas de Fès, car elle comprend un rez-de-chaussée et trois étages. 140 tolbas, originaires du Haouz, de Marrakech, des Doukkala, peuvent y vivre : elle contient 60 chambres et reçoit chaque jour 100 pains habous.

On y remarquera la grande et vénérable dalle de marbre blanc,


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FÈS

encastrée dans le sol, qui fut débarquée au port de Larache ; le beau patio, dont le sol est pavé de marbre, avec son bassin oblong rapporté d'Almena

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Plan de la Médersa de Bou Ananiya, dressé par M. Pauty.

au XIV° siècle et qui est creusé dans un seul bloc de marbre; le charmant motif de la porte de la salle de prières dont il ne reste plus qu'une colonne de marbre.

La médersa Bou Ananiya, située au Souq el Attarin, est la dernière


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47
L'UNIVERSITÉ  DE   FÈS   ET LES   MÉDERSAS

élevée par les Mérinides, et c'est aussi la plus belle. Elle tire son nom de l'émir Abou Inan (1351-13551 qui donna l'ordre de l'édifier et lui imposa même son nom, ce qui était contraire à la tradition. Mais le désir d'éclipser un père qu'il avait combattu, et qui avait fondé à Fès une

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Médersa Bon Ananiya. Porte centrale de la façade.

Cliché Beaux-Arts



médersa, n'est peut-être pas étranger à la proportion et à la majesté qui caractérisent cet édifice. Cette médersa est à la fois un collège et une grande mosquée, avec un haut et robuste minaret enrichi d'émaux, une chaire à prêcher comme celle de la Qaraouiyine. Ibn Batouta, le grand voyageur, qui l'a vue dans sa nouveauté, nous l'a dit : « Elle n'a pas sa pareille dans tout le monde habité, pour la grandeur, la beauté, la magnificence,


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FES

la quantité d'eau et l'avantage de son emplacement; je n'ai vu aucun collège qui lui ressemble, ni en Syrie, ni en Egypte, ni dans l'Irak, ni dans le Khorassan ». La date est donnée par une inscription en majolique :
« Cette médersa bénie et magnifique, appelée el Bou Ananiya, a été bâtie dans un but de piété pure, et pour mériter la satisfaction divine. Destinée à l'enseignement de la science et à la lecture du coran, elle a été honorée de la prière obligatoire du vendredi et pourvue des avantages les plus complets et les plus précieux... Le seul but de son fondateur a été de plaire à son Dieu et de faire revivre la science... »

Dans les premières années du XVI° siècle, Léon l'Africain en a donné une description intéressante. Il parle de sa « merveilleuse grandeur et beauté », de sa belle fontaine de marbre, du « petit fleuve » qui la tra­verse, canalisé dans le marbre, des « trois loges » d'une industrie admirable et qui étaient alors peintes, de sa « menuiserie très excellente et bien ordonnée », des portiques " en mode de jalousie par lesquels ceux qui sont dedans peuvent voir dehors sans être aperçus ". Il a signalé les majoliques qui la revêtent « de la hauteur d'un homme et plus », les vers consacrés à sa fondation et à la louange d'Abou Inan. Ses portes étaient de cuivre et celles des chambres de bois « bien entaillé ». Il a décrit la chaire à neuf marches d'ivoire et d'ébène, « chose certes non moins plaisante et somptueuse que digne d'admiration ». Léon a rapporté enfin l'anecdote relative à l'émir qui, le collège terminé, se fit présenter le livre des comptes. Mais il n'en avait feuilleté qu'une petite partie qu'il constatait que la dépense s'élevait déjà à 40.000 ducats. Sans le regarder davantage, le sultan le jeta dans le petit fleuve qui traverse la médersa, alléguant ces deux vers d'un auteur arabe :

Ce qui est beau n'est cher, tant grande en soit la somme,
Ni trop se peut payer chose qui plaît à l'homme...
Ce qui caractérise la Bou Ananiya, c'est en effet un sentiment de perfection et d'harmonie sans prix puisqu'il se manifeste si rarement sur la terre. Il est partout inscrit ici, dans le plan d'abord de la médersa qui est un chef-d'œuvre, dans les justes rapports du patio, du bassin de la mosquée, des qoubbas, de l'escalier, des latrines, tout cela mesuré et indiqué de la façon la plus rationnelle. Les élévations, les coupes sont conçues dans le même sentiment réel de l'importance et de la valeur des choses.

On pénètre dans la médersa, la plus architecturale de toutes celles de Fès, par trois portes dont deux sont côte à côte sur la Talaa.


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