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Mémoire de la présence Française au Maroc à l'époque du Protectorat
 
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 LE MAROC ET SES VILLES D'ART, TANGER, FES ET MEKNES

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Paul CASIMIR





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Porte des Chorfa.
Cliché Beaux-Arts.


MEKNÈS

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II faudrait aborder Meknès de très loin; voir, pendant des heures, la ville qu'il semble qu'on n'atteindra pas, suivant la remarque de tant de voyageurs anciens; ne pénétrer que progressivement, comme l'a fait Pierre Loti, dans l'aire de ses murailles qui donnent une telle idée de sa puissance.

« Mékinez !... Mékinez paraît au bout de la plaine désolée... Mais si loin encore ! On comprend qu'on ne l'aperçoit que grâce aux lignes unies du terrain et à la très grande pureté de l'air. C'est une petite bande noi­râtre, les murailles sans doute, au-dessus de laquelle se hérissent à peine visibles, minces comme des fils, les tours des mosquées. Longtemps nous marchons encore, jusqu'à un point où la vue nous est masquée de vieux murs croulants, qui semblent enfermer d'immenses parcs. C'est


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MEKNÈS

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Meknès. Vue dessinée en 1720 pour la relation du Commodore Stewart.

la banlieue. Par une brèche, nous fran­chissons ces enceintes; alors nous sommes dans une région d'oliviers, plantés régulièrement en quinconces, sur un de ces sols d'herbe très fine et de mousse, comme on n'en rencontre que dans les lieux depuis longtemps tranquilles, non  foulés  par   les hommes; ces oliviers, du reste,  sont à bout de sève, montants, couverts d'une espèce de moisissure, de maladie de vieillesse, qui rend leur feuillage tout noir, comme s'il était enfumé. Et les enceintes se succèdent, toujours en ruines, enfermant ces mêmes fantômes d'arbres alignés en tous sens à perte de vue. On dirait des séries de parcs abandonnés depuis des siècles, des promenades pour des morts. Au sortir de ces murs et de ces oliviers, tout à coup Mékinez reparaît, très rap­prochée, très près de nous, et d'aspect immense, couronnant de sa grande ombre une suite de collines derrière lesquelles le soleil se couche. Nous ne sommes plus séparés  de la ville que par  un ravin de verdure,  fouillis de
peupliers, de mûriers, d'orangers, d'arbres quelconques à l'abandon, qui ont tous leurs teintes fraîches d'avril.

Très haut, sur le ciel jauni, se pro­filent les lignes des remparts super­posés, les innombrables terrasses, les minarets, les tours des mosquées, les formidables casbahs crénelées, et, au-dessus de plusieurs enceintes de for­teresses, le toit en faïence verte du palais du sultan. C'est encore plus imposant que Fez et plus solennel. Mais ce n'est qu'un grand fantôme de ville, un amas de ruines et de décombres... ».


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MEKNÈS

Affaiblies certes, mais vives encore, ces impressions s'imposent à qui aborde Meknès, même par le chemin de fer. La traversée de ses murailles, un immense paysage que domine un palais tout gris et rui­neux, avec ses terrasses superposées, des fortins dorés cuits par le soleil, une suite de murailles grises, leurs tours, leurs portes, l'armée immo­bile et innombrable des créneaux qu'il semble que l'on passe en revue, des ouvrages plus importants qui étaient d'anciennes batteries aux embra­sures béantes, tout cela accable et forme un ensemble majestueux. Invo­lontairement, notre esprit évoque les aspects les plus caractéristiques de la Campagne de Rome.

Meknès est une ville d'art, très ancienne ; mais elle est surtout la cité où se révèlent la puissance de l'empire marocain au XVII° siècle, le génie sombre et simple d'un très grand sultan, Moulay Ismaïl. Elle nous apparaît presque intacte, comme la vit encore le père Busnot en 1704 : « En approchant, cette ville me parut quelque chose de considérable, tant par son étendue et le nombre de ses maisons diversifiées, par l'élé­vation de plusieurs mosquées que par l'agréable variété de ses jardi­nages, d'où s'élevait une infinité d'arbres fruitiers de toutes espèces; nous voyions sur la gauche l'Alcassave ou Palais du Roi, qui paraissait terminer magnifiquement la ville vers le Nord. La grandeur de son enceinte, l'élévation de quantité de pavillons couverts de tuiles vernis­sées avec les pointes de deux ou trois mosquées, nous en donnaient une idée tout autre que celle qui nous est demeurée depuis que nous l'avons vue de près... ».

Telle nous la montre la grande vue dessinée en 1720 pour la relation du commodore anglais Stewart.

Lourde et grave, triomphale, Meknès demeure toujours le cadre incom­parable des grandes cérémonies musulmanes, comme l'arrivée du sultan au mois de septembre 1916.


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Quartier des potiers.
Cliché Beaux-Arts.


CHAPITRE PREMIER


HISTOIRE DE MEKNÈS


Suivant les chroniqueurs, elle tire son nom de Mecnas le Berbère, personnage qui vint s'établir dans le Maghreb avec sa famille et qui mit en état de culture divers terrains qu'il distribua entre ses fils. Mais ce Mecnas est plutôt le symbole de la grande tribu Zenète qui fonda à la fois Meknassa Taza, c'est-à-dire Taza, et Meknassa es Zitoun, qui est Meknès aux oliviers.

Ce qu'était la ville au milieu du XII° siècle, nous le savons par le géo­graphe Edrisi qui l'a visitée. La cité construite par les Berbères avant l'Islam avait disparu, détruite par les Almohades qui s'en étaient emparés après un siège de sept ans. Ils avaient édifié une ville nouvelle, sur un terrain élevé, qui prit le nom de Tagrart, c'est-à-dire le campement.

« C'est une belle ville, à l'est de laquelle coule une petite rivière qui fait


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103
HISTOIRE DE MEKNÈS



tourner les moulins des habitants; tout autour, on voit les jardins et les champs cultivés; le sol y est très fertile, les sources de bien-être diverses. ». Et d'autres petites villes florissantes et populeuses avec des bazars, des fabriques, des bains, lui formaient comme une ceinture bril­lante. L'une d'elles. Al Caçr, était le château de l'émir des Almoravides. Le territoire de Meknès était déjà, par excellence, la terre du blé, de la vigne, des oliviers et des arbres à fruits, le pays des marchés florissants où se rendaient les Berbères avec leurs grands manteaux et leurs larges chapeaux. On voit que les paysans de la campagne demeurent tout à fait semblables à ceux que vit Edrisi. Quelques ruines subsistent seu­lement de cette ancienne civilisation. Mais l'aspect des gens et du paysage n'a pas dû se modifier. On les retrouvera sur les bords pitto­resques du bou Fekrane.

Les Mérinides s'établirent difficilement à Meknès, au milieu du XIII° siècle; ils y bâtirent la Qaçba (Abou Yousof). Dans un but politique, ils y fondèrent des mosquées, une médersa, une zaouïa, des caravansé­rails, des ponts. Cette cité était, au XIV° siècle, la résidence des vizirs, tandis que Fès était celle des émirs.

Un très beau monument de cette époque demeure: la médersa Bou Ananiya, située au Souq el Attarin, avec une remarquable porte de bronze et une belle coupole qui en domine l'entrée. Elle a été commencée par le cadi Ibn Ali el Amri, sous le règne d'Abou el-Hasan, en Tan 1318, terminée par son fils Abou el-Inan, dont elle porte le nom. Elle est charmante, cette antique et petite médersa, ouvrant sur ces souqs cou­verts, qui ne sont parfois que treilles de vignes aux pieds monstrueux. Ici l'on reconnaît le sourire, un peu grave peut-être, de l'art des médersas Mérinides, qui sont, comme on l'a dit, de petits collèges d'étu­diants, et dont l'épanouissement se vit à Fès, au temps des princes lettrés que furent les Béni Merin. On y admirera la coupole à jour, reposant sur culs de four; dans la cour, la jolie vasque en coquille, les zelliges d'un vert persan, la délicate frise en dentelles de plâtres grattés dont une partie est trop refaite, et surtout les beaux motifs de bois sculpté qui sont une des gloires de l'École de Meknès. De la cour, on donnera un coup d'œil au minaret vert pâli de la Djama el Kebir ; on remarquera surtout les belles portes garnies de plaques de bronze en étoiles, pareilles à celles de Cordoue et de Fès. Deux autres médersas, celles des Filala et des Adouls, se trouvent au cœur de la ville, près des souqs.

Léon l'Africain a visité Meknès dans les premières années du XVI° siècle. Il la tenait pour bien peuplée, et il admira surtout sa campagne


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104
MEKNÈS

et ses jardins. Il appréciait leurs fruits: coings savoureux et odo­rants, admirables grenades, pommes de Damas, figues, raisins et olives. Meknès était alors une belle cité, bien fermée et très forte, avec de belles rues aérées et plaisantes; une eau abondante et délicieuse était distribuée par un conduit aux temples, aux forteresses, aux collèges, aux étuves. Un important marché s'y tenait, très achalandé en bétail, en beurre et en laine. Le revenu du territoire était estimé au tiers de la valeur du royaume de Fès; le pourtour de la ville, à trois milles. Mais une guerre entre le roi de Fès et les gens de Meknès l'avait déjà désolée : le vain­queur avait emmené à Fès son cousin prisonnier. Les gens de Meknès étaient tenus, par Léon l'Africain, pour braves, mais un peu gros d'esprit; tous se montraient fort simples, marchands ou nobles ; et le Fasi remar­quera que le « plus apparent citoyen de la ville ne se dédaignera de char­ger une beste de semence pour T'envoyer aux champs ».

Les gens de Meknès détestaient les gens de Fès. Et Léon a noté encore que la ville n'était pas plaisante l'hiver, avec ses eaux et ses fanges. Tout cela est encore vrai. Un captif, à la fin du XVII° siècle, a relevé des traits ana­logues : " L'air y est fort tempéré et beaucoup plus sain qu'à Fès... " ; il a admiré la vue « fort agréable » de la ville, " à peu près de la gran­deur de Chartres ", et déclaré que ses habitants étaient fort paisibles.
Meknès est demeurée la ville bourgeoise, provinciale dirions-nous, vivant un peu de son industrie et beaucoup des fruits de son terroir.

Le Kitab el-istiqsa a rapporté ces vers d'un habitant de Meknès:
« Si Fès peut s'enorgueillir de ce qu'elle renferme, et de la beauté de son aspect,
Meknès et sa ceinture la valent bien; car elle possède les deux choses les meilleures: son air et son eau. »

C'est le sultan Moulay Ismaïl qui devait, au XVII° siècle, tirer la ville de sa torpeur, lui donner quelque chose de la terrible grandeur qui nous impressionne tant aujourd'hui.
C'est en 1673, après sa proclamation, que Moulay Ismaïl vint se fixer à Meknès; il y affirma aussitôt son génie de despote constructeur, qu'il avait déjà laissé deviner à Fès où, dans sa jeunesse, il avait habité le plus beau palais de la ville. Le pays de Meknès, couvert d'oliviers, lui plut. Il résolut d'y établir son gouvernement et sa suite. Il se logea d'abord dans la qaçba des Almohades (Ez-Zayyani). Ses ouvrages de Fès étant terminés, comme il n'y avait à Meknès que de vieux bâtiments, le sultan fit venir ses captifs et ses chrétiens pour en construire de nouveaux.


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Vue générale de Meknès.
Cliché Beaux-Arts.


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106
MEKNES

(Suivant Ez-Zayyani, les prisons de Moulay Ismaïl ont contenu 25.000 chrétiens et environ 30.000 criminels) L'un d'eux était le sieur Mouette : « A notre arrivée, un noir d'une hauteur épouvantable, et d'une voix aussi terrible que l'aboy du Cerbère, vint nous recevoir à la porte du château; il tenait en mains un bâton d'une grosseur et d'une longueur proportionnées à sa taille, et nous reçut par une saluée de coups, dont aucun de la troupe ne se trouve exempt. Ensuite il nous mena dans les magasins choisir des pics d'un poids extraordinaire. Et nous en ayant donné chacun un, il nous conduisit sur les vieux murs pour les démolir.
Ce fut notre premier travail, qui continuait depuis l'aube du jour jusqu'à la nuit toute noire. Et si on l'interrompait, on en recevait incontinent le salaire... ».

Ainsi furent commencés les travaux de Moulay Ismaïl par le système des corvées, avec emploi de chrétiens. Ils se poursuivirent durant tout le long règne de ce sultan, au fur et à mesure des besoins, sans plan d'ensemble, et, il faut le dire aussi, sans un grand souci de la finesse du détail.

Meknès est à l'image de Moulay Ismaïl.

C'était un curieux homme que le sultan Moulay Ismaïl, une pure figure de croyant marocain, de grand guerrier aussi, qui dompta tout le Maghreb, de la plaine à la montagne, et dont l'empire s'étendit jusqu'aux plaines du Soudan, jusqu'à Biskra, englobant le territoire de Tlemcen. Nous le connaissons bien, non seulement par les compilations des chroni­queurs marocains, mais aussi par le témoignage d'Européens qui l'ont vu à leur grand dam, le Père Dominique Busnot qui vint à Meknès en 1704 pour traiter le rachat des captifs (il devait écrire l'histoire de Moulay Ismaïl en 1714); par l'un de ces derniers, le sieur Mouette, qui travailla ici même aux monuments élevés par le sultan, et fit paraître, en 1683, une relation de sa captivité.

Voici le récit de l'entrevue de Moulay Ismaïl et du Père Busnot, logé au Mellah, où demeuraient le R. P. Supérieur des Récollets avec deux de ses religieux :
« Enfin le vingt-un, Germain Cavelier, esclave, natif de Honfleur, nous vint dire de la part de Benache (Ben Aissa), que ce jour-là nous aurions audience dès que le Roi serait sorti de la gème ou mosquée. Benache, l'Andalous, et Rodani Gaillard, renégat français qui préside aux magasins de guerre, vinrent nous prendre sur les deux à trois heures après-midi. Nous marchâmes deux à deux et douze esclaves portaient nos présents ; nous nous rendîmes sur l'esplanade de l'Alcassave, où le roi était déjà arrivé. Il était assis à plate terre, les jambes nues et croisées,


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107
HISTOIRE DE MEKNÈS

avec des babouches jaunes à ses pieds; ses habits et son turban étaient blancs ; il se couvrait le menton de sa burnous ; il n'avait pour tous gardes que vingt ou trente noirs armés de sabres et de grands fusils; il en vint encore environ cent au milieu de l'audience, mais ils furent aussitôt ren­voyés; derrière lui étaient deux petits noirs, l'un desquels tenait un parassol sur sa tête. A la porte du Palais ou Sérail paraissait un cheval attelé à une chaise à rideaux rouges ; et un peu plus loin plu­sieurs chevaux de selle. Son talbe (taleb) était devant lui en face, assis sur ses talons avec son livre sous un bras, et à ses cotés sept ou huit
alcayds, pieds nuds et sans turban. Environ à vingt pas du roi nous fîmes trois profondes révérences en approchant toujours, et nous arrêtâmes à dix pas, Benache et l'Andalous s'arrêtant tout court debout et pieds nus. Il n'y avait que nous autres de chaussés? et nous étions dans nos habits de religion.
« Le roi parla le premier, commençant par le salut ordinaire, nous disant que nous étions les bien venus, et qu'il était bien aise de nous voir; il loua le zèle et la charité qui nous faisaient chercher nos frères si loin, et s'étendit ensuite sur les louanges du roi, disant que Benache lui avait fait le récit de ses grandes actions, et de la manière généreuse et magnifique avec laquelle ce grand monarque, l'avait reçu, régalé, et renvoyé dans ses états. Il finit par l'éloge de son grand prophète et de sa loi, qu'il nous conseillait d'embrasser pour devenir des saints, disant qu'il ne nous le commandait pas, mais qu'il nous y exhortait pour ne pas en répondre devant Dieu.

« L'Andalous interpréta son discours auquel le R. P. Forron de la Mercy répondit en espagnol: que nous avions l'honneur d'appartenir à un monarque qui méritait bien que les plus grands rois de la terre fissent son éloge, que nous étions parfaitement instruits des moyens de devenir des saints, que c'était afin d'y travailler que, suivant les maximes du Christianisme, nous venions si loin délivrer nos frères et prier très humblement Sa Majesté de favoriser les efforts que nous faisions pour leur rendre la liberté. Il nous le promit et nous congédia après une audience de demie heure. Nous nous retirâmes, lui laissant présents, qui consistaient en plusieurs pièces de riches étoffes, en des toiles de Cambrai et de Bretagne, et en des étuis damasquinez d'or. Il les fit déployer; et il en fut si content que, le même jour, il se fit faire une veste d'un drap vert qui lui plût sur tous les autres, tant par sa beauté que parce que cette couleur est la plus estimée chez les Mahométans... »

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108
MEKNÈS

Le père Busnot eut le loisir de contempler le sultan. De taille moyenne, il avait un visage un peu long et maigre, la barbe fourchue et déjà toute blanche, un teint presque noir avec une tache blanche près du nez, des yeux pleins de feu, une voix forte. La vieillesse n'avait en rien dimi­nué sa force et son agilité; il s'élançait d'un bond à cheval et l'un de ses divertissements était alors de tirer son sabre et de couper la tête à l'esclave qui lui tenait l'étrier (on voudrait voir là une pieuse exagération ; mais Pidou de Saint-Olon, ambassadeur de Louis XIV, qui visita le sultan en 1693, a été reçu par lui alors qu'il avait encore les vêtements ensan­glantés d'une exécution qu'il venait de faire lui-même, à coups de couteau, sur deux de ses principaux noirs ; il a noté son air, alors égaré et sauvage, et comment les caïds et ses gens l'abordaient avec précaution, " petit à petit ").

Moulay Ismaïl changeait de couleurs suivant ses passions: la joie le rendait plus blanc; la colère le fonçait et ses yeux s'injectaient de sang. Il allait, les bras nus sur son cafetan, portant un mouchoir sous ses yeux. Le vert était sa couleur favorite. Son esprit se montrait vif et présent dans ses réponses courtes et précises; on lui reconnaissait une intrépidité et un courage merveilleux. Despote, Moulay Ismaïl ne voulait voir autour de lui que des esclaves; et, sans remords, il coupait des têtes pour montrer simplement son adresse. La garde noire, qu'il avait fondée, répandait la terreur. Les villes et les populations trem­blaient devant lui. Aimant l'argent à l'excès, le sultan faisait des levées extraordinaires sur ses sujets, dévalisait au besoin leurs maisons. Ses troupes vivaient entièrement sur le pays. Et, chaque jour, bouchers et boulangers apportaient gratuitement au palais tout ce qui était néces­saire. Sa justice était aussi rapide que terrible : il dépouilla son empire et les Juifs jusqu'à complet épuisement. Mais, pour la première fois, et pendant les longues années de son règne, un peuple anarchique et turbulent fut maté, uni.

C'est de cette terrible violence, exaltée par un sentiment fanatique de la foi musulmane (Moulay Ismaïl prêchait dans sa mosquée comme pas un docteur ne l'aurait su faire, et chaque fois qu'il a approché un chré­tien ce fut pour l'exhorter à adopter la religion du prophète), de la volonté calme d'un seul homme, que sortit du sol l'immense Meknès dont les ruines évoquent pour nous la puissance de Rome. Tout cela, c'était pour loger le despote, avare, dur à lui-même et frugal, pour qu'il puisse prier, abriter sa garde, ses chevaux, son harem de 500 femmes de toutes nations, le millier d'enfants que les récits populaires lui attribuent (Ez-Zayyani). Et la quintuple muraille dont Moulay Ismaïl entoura


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109
HISTOIRE DE MEKNÈS

Meknès fut édifiée pour imposer aux Berbères le respect de sa puissance et de ses biens.

Le sieur Mouette, qui l'a observé encore dans la jeunesse, à trente-sept ans, nous fait du sultan un portrait qui n'est guère différent de celui du R. Père Busnot. II a noté sa taille fine, bien qu'il parût assez gros à cause de ses habits; que son regard avait souvent une douceur trompeuse. Il a noté aussi son avarice; et il a montré le sultan « prenant lui-même le soin des fers et des clous de son cheval, des épiceries, drogues et beurre, miel et des autres bagatelles qui sont dans ses magasins, ce qui convient mieux à un épicier qu'à un grand prince comme luy ».

Nous retiendrons ce trait, qui a son importance pour l'histoire des constructions de Moulay Ismaïl. Cet administrateur, ce grand guerrier, était un homme d'un ordre méticuleux. Beaucoup de constructions de Meknès, et qui nous intriguent, ne sont que des magasins. Enfin Mouette a noté l'amour que Moulay Ismaïl portait à ses chevaux; le beau cavalier qu'il était lorsqu'il maniait la lance d'un bras et tenait de l'autre un de ses fils, courant ainsi une longue carrière sans laisser faire un faux pas à son cheval. Quand M. de Saint-Amand fut reçu à son camp, en 1683, des courses de lances eurent lieu reproduisant des actions de la guerre. Il vit Moulay Ismaïl sauter en selle, tenant dans sa main droite sa lance, et s'appuyant un peu de la gauche à l'arçon de devant. Un des noirs lui ayant manqué son saut, il tira son sabre pour lui couper la tête; mais devant l'ambas­sadeur de France, il se contint (Relation...). Deux cents chérifs et caïds le suivaient, deux fois par jour, dans ses promenades; 4.000 noirs, qui formaient sa garde, vivaient sous des tentes autour de Meknès. A la fête du mouloud, 10.000 chevaux et 2.000 fantassins évoluaient dans l'enceinte du Palais, bousculaient les gens de l'ambassade de France, faisaient siffler des balles à leurs oreilles. (Pidou de Saint-Olon.)

Tel était l'homme; visitons sa maison.

Séduit par la qualité de l'air et la verdure qui entourait Meknès (Moulay Ismaïl sortait de Fès brûlante], le grand bâtisseur ayant réuni les captifs commença par se donner de la place (Ez-Zayyani). Il fit abattre les maisons contiguës à la Qaçba et contraignit les propriétaires à en trans­porter les décombres pour bâtir leurs maisons à l'intérieur de la muraille qu'il fit élever du côté ouest de la ville et dans laquelle il fit percer les portes de Bab Berdaïn et de Bab Siba. La partie orientale de la Médina fut également détruite; l'ancienne Qaçba, agrandie et dégagée. La place el Hedim (des décombres) tire son nom des matériaux qui y étaient


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110
MEKNÈS

entassés après l'arasement des maisons. Moulay Ismaïl fit ensuite cons­truire la muraille qui sépare la ville de la Qaçba et, en 1673, édifier une grande mosquée aujourd'hui détruite à l'intérieur de la Qaçba. Puis, comme elle n'était plus assez spacieuse, la Djama el Akhdar (la mosquée verte) qui demeure encore aujourd'hui celle des chorfa, du cadi et des fonctionnaires de la ville (après 1677).

Les enceintes de Meknès ont été décrites par le sieur Mouette qui y travailla, pour son malheur. La première, de 6 palmes de large et de 6 brasses de hauteur, était flanquée de tours carrées garnies de créneaux. La seconde, de 30 palmes de large, formait un long talus sur lequel s'élevaient deux petits murs de la hauteur d'un homme, formant le chemin de ronde pour les noirs qui demeuraient dans les tours. La troi­sième muraille, qui protégeait le Sérail, était de beaucoup la plus élevée et pouvait avoir 30 brasses de hauteur. Voilà pour le nord-est. Les autres côtés n'étaient entourés que d'une muraille de 10 palmes de large, flanquée de bonnes et hautes tours carrées et de deux bastions du côté de l'est et du sud-est. Il y avait, du temps de Mouette, trois portes : la principale, au sud-est, Bab el Cala (la porte de la forteresse), entourée de deux hautes tours carrées, sur laquelle Mouette grava des fleurs de lis en 1677. La seconde s'appelait Bab el Hadjar (la porte de pierre); la troi­sième, qui regardait sur la ville, s'appelait Bab el Médina. Elles étaient gardées par des noirs, excepté la porte principale dont le roi confiait la garde à ses renégats lorsqu'il n'était pas en campagne.

Le Grand Palais (Dar Kebira) est une des premières fondations de Moulay Ismaïl, proche le mausolée du chérif El Mejdoub, saint entre les saints, qui vécut au XVIe siècle, et dont les sentences morales sont encore réputées. Dar Kebira est encore aujourd'hui occupé par les familles des chorfa alaouites, les descendants de Moulay Ismaïl, à qui j'ai eu l'honneur de rendre visite en 1918. C'est bien l'un des endroits les plus étonnants du monde. J'ai été reçu dans un assez joli patio encadrant un jardin dans un désordre charmant, planté d'orangers, de cyprès, de giroflées, de pieds de vigne, de citronniers, d'arbres de Judée. On aperçoit de là les qoubbas et la mosquée verte. D'énormes ruines lui font un cadre inoubliable.

Après avoir pris le thé avec ses amis, le descendant de Moulay Ismaïl Moulay el Kebir Ben Zidan, chérif lettré et historien, a bien voulu, très aimablement, me montrer Dar Kebira. Il m'a rapporté le mot de son aïeul : « Moi, j'ai fait ces constructions; on peut les démolir si l'on peut! » et la tradition que cela porte malheur de terminer les travaux d'un autre. Il avait dit encore : " Je vais construire un mur qui conduira les aveugles


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111
HISTOIRE DE MEKNÈS

jusqu'à Marrakech! ». Le majordome marchait devant nous en portant les clefs. Le descendant de Moulay Ismaïl faisait noblement les honneurs d'une étonnante misère des choses et des gens. Car il ne reste de Dar Kebira que des murs de pisé troués par les échafaudages, des piliers isolés, de proportion grandiose, que hantent les oiseaux, de beaux pigeons sauvages et des cigognes. Tout ce qui tenait debout formait

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Bab Berdaïn et minaret.
Cliché Beaux-Arts.


écurie, abritait des bourriquots et du bétail: des canards s'ébattaient dans des flaques d'eau. J'ai vu un vieux marabout à l'ombre d'un figuier; un peu partout des restes de grands zelliges; un endroit très mélancolique qui est un petit cimetière d'enfants où les stèles funèbres sont faites de deux morceaux de bois (Moulay Ismaïl a eu 1.500 descendants au milieu du XVIII° siècle); enfin l'habitation des chorfa qui est peut-être la plus grande ruine de Meknès, puisqu'elle n'est guère différente d'un village nègre. Ils étaient 80 princes ! Le chérif m'a indiqué le bain maure de Moulay Ismaïl, de très belle proportion, avec des murs fort épais et une


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112
MEKNES

voûte très haute, un bain maure prodigieusement grand; une zaouïa, au milieu du Palais, abandonnée aux oiseaux et aux fleurs; encore une tombe d'enfant. Les zelliges sont d'un dessin particulier: une bande verte arrête une mosaïque de carreaux verts, noirs et jaunes. Des murs bas limitaient comme un vaste incendie: c'étaient les cuisines. J'ai vu aussi de grands vestibules très hauts, voûtés en berceau et éclairés par quelques soupiraux carrés placés au sommet des voûtes, et qui produisaient ces pinceaux de lumière que nos artistes aimaient tant dans les ruines de la Rome du XVIII° siècle. Là demeuraient 60 familles. On m'a montré Ksar Sacha (le palais brillant), qui est une sorte de village avec des rues dans la grande cour où devait régner une galerie. Il y a quelques traces de zel­liges et de plâtre ciselé, et surtout des amoncellements d'ordure, de décom­bres, une forêt d'orties; dans ce que le chérif a nommé l'ancien Menzel, de hauts pignons, des caves pleines d'une verdure qui brillait comme de l'eau. II m'a indiqué le quartier de Lalla Bani (fille de Moulay Ismaïl). Encore des tombes d'enfants morts; une vision, peu gaie, de quelques des­cendants très pauvres de la progéniture du grand sultan. Tout le palais semble entouré de bastions. Le chérif m'a montré la maison de son grand-père; et je suis sorti par la grande cour des mokhaznis, en franchissant la porte fortifiée de Dar Kebira, du plus beau caractère, avec sa triple arcature où se voient des entrelacs noirs et des bouquets verts d'un beau style.

La Qaçba avait été percée de vingt portes, très larges et très élevées, cantonnée de batteries de canons de bronze aux formes impressionnantes.

C'est après l'expédition sur Marrakech (1677) que Moulay Ismaïl entreprit la série de construction de ses palais, " à peine en avait-il ter­miné un qu'il en faisait commencer un autre " (Ez-Zayyani). Ensemble monstrueux, renfermant cinquante palais indépendants, affirme un contem­porain, ayant chacun sa mosquée, ses bains. " On rapporte que la garde des portes de ce palais était confiée à douze cents eunuques noirs ".

A l'intérieur de l'ancienne Kasbah mérinide, Moulay Ismaïl fit édifier le Dar El Makhzen, ou Palais Impérial, qui comportait deux parties, aujourd'hui confondues, la Médersa et la Mehencha. Suivant Mouëtte, le Dar El Makhzen était plus long que large, beaucoup plus étroit au sud-ouest. Au sud-est, s'élevait un autre petit château, construit en 1680, qu'il nomme Ludega, flanqué de tours carrées et crénelées.

Il serait imprudent de vouloir donner une idée quelconque du Dar El Makhzen où l'on ne pénètre d'ailleurs pas, quelques femmes des anciens harems y vivant encore sous la garde d'eunuques et de noirs. Il y a là un


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113
HISTOIRE DE MEKNÉS


ensemble de demeures ruineuses, ou de véritables ruines, une suite impressionnante de cours, de jardins, de palais dont il faut attendre un relevé exact, qui présentera le plus haut intérêt, moins peut-être au point de vue de la valeur artistique que par l'affirmation étrange de puissance qui s'en dégagera.

Ce que l'on voit surtout du Dar El Makhzen, ce ne sont pas les palais ruinés, mais le plus formidable des couloirs, entre deux hautes murailles. La porte colossale du couloir (Bab er Rih) est ornée de colonnes

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Dar El Makhzen. Couloir.
Cliché Beaux-Arts.
basses d'un dorique lourd; et, très loin devant soi, s'étend le long couloir, où s'allongent des colonnes de marbre abandonnées par les construc­teurs, ou par ceux qui exploitèrent par la suite les ruines du Dar El Makhzen. Et l'on voit aussi, sur une étrange place, la koubba el Khiattin, le pavillon où Moulay Ismaïl reçut les ambassadeurs de Louis XIV.

Au sud de son palais Moulay Ismaïl fit établir une immense pièce d'eau sur laquelle pouvaient circuler des canots et des embarcations de plaisance: Sahridj Souani, qui servit plus tard de réservoir aux habitants de Meknès. Puis il ordonna la construction d'un vaste grenier à pro­visions pour le blé et les autres graines, dont les angles formaient voûtes, et qui aurait pu, disait-on, contenir tous les grains des habitants du Maghreb ( l'impôt s'acquittait en ce temps-là en nature ). C'est la ruine


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114
MEKNÈS

étonnante qu'on appelle à tort les Ecuries de Moulay Ismaïl, une série de piliers, d'arcatures énormes, aujourd'hui découvertes, construites dans une sorte de pisé enduit; un lieu incroyable, présentant les perspectives les plus étranges, impressionnant comme le Colisée, envahi par les herbes folles, et que hantent les pigeons.

Dans sa Qaçba, Moulay Ismaïl fit également construire une vaste écurie (istabl] pour ses chevaux et ses mules: suivant l'auteur du Kitab el-istiqsa, qui exagère toujours, elle aurait eu une parasange de longueur et de largeur ( 5250 mètres environ ). Les côtés supportaient un toit qui était en forme de berceau et reposait sur des portiques et des arcs immenses, dans chacun desquels il y avait place pour un cheval. Dans toute l'écurie, on pouvait attacher, dit-on, 12.000 chevaux (Ez-Zayyani). Au centre du bâtiment se trouvaient des constructions voûtées pour remiser les selles des chevaux. Un grand grenier carré, en forme de dôme, construit avec des portiques et des arcs, était destiné à recevoir les armes des cavaliers. Ismaïl avait encore fait élever dans la Qaçba un palais, appelé El Mansour, qui atteignait au moins la hauteur de 100 coudées. Il contenait vingt pavillons que dominait une tour d'où l'on avait vue sur le panorama formé par la plaine et les montagnes de Meknès (Ez-Zayyani). Ces pavil­lons étaient voûtés et couverts de tuiles. Il y avait là une immense écurie, le long de laquelle des arbres d'espèces rares étaient plantés.

Cette ruine magnifique s'étend au sud du Dar El Makhzen, vers Bab el Bettiouri. Les arcades, parallèles à une rigole, habitées aujourd'hui, ne sont autres que les écuries de Moulay Ismaïl. La mosquée d'er Roua (c'est-à-dire du quartier des écuries) s'est conservée jusqu'à nos jours. C'est ici que Moulay Ismaïl a donné le plus le sentiment de sa puissance, que nous évoquons vraiment les souvenirs de la Rome antique avec le vieux pont de l'oued er Roua construit, suivant Windus, pour permettre au sultan de gagner plus facilement ses écuries. Et Moulay Ismaïl reste d'ailleurs tout à fait dans la note de son temps (écuries de Versailles ou de Chantilly), alors même que nous savons sa passion pour les chevaux:
« Mais comme Il traite les hommes en bêtes, il semble traiter les bêtes en hommes » (Père Busnot).

Avare pour sa famille, il n'épargnait rien pour elles. « Les Roües ou écuries sont ce qu'il y a de plus beau dans son palais. Elles consistent dans deux rangées d'arcades, qui font comme deux galeries parallèles, et en face l'une de l'autre, d'une longueur de près de trois quarts de lieue, et distantes entre elles de trente à quarante pas. Sous ces arcades sont attachés les chevaux à la mode du pays, par


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115
HISTOIRE DE MEKNÈS



les quatre pieds, à des anneaux, l'un devant et l'autre derrière, le cheval avec des cordes de crin. Dans le milieu de cet espace est un canal d'eau courante, couvert de carreaux, sur lequel, de distance en distance, sont bâties de petites loges en forme de dôme où l'on serre les équipages et harnachements, et sous lesquels le canal est ouvert afin de puiser l'eau pour abreuver les chevaux... Il n'y a ni auge ni râtelier ». Les écuries contenaient six cents chevaux que le sultan visitait soigneusement tous les jours. Deux esclaves, un chrétien et un noir, avaient la charge de dix

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Pavillon dans le jardin d'Essai.
Cliché Beaux-Arts.

chevaux. Les uns, considérés comme saints pour avoir été à la Mecque, étaient dispensés de tout travail, et Moulay Ismaïl ne les montait pas. Outre ces chevaux, il avait encore quantité de mules, quatre ânes sauvages de Guinée qu'on ne pouvait approcher, des chameaux, des dromadaires blancs qui étaient savonnés tous les deux jours. Une ménagerie était remplie de lions, de léopards, de tigres, d'ours, de loups et d'autruches. Et les esclaves qui leur donnaient à manger leur servaient parfois de pâture. Un des plaisirs du sultan était de voir combattre les lions et les loups avec des chiens qu'il aimait beaucoup et que des esclaves devaient retenir quand la lutte devenait trop ardente, A côté de cette écurie s'étendait un jardin, planté d'oliviers et d'arbres à fruits, d'une parasange de longueur et de deux milles de largeur.


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116
MEKNES

II est temps de quitter ces ruines et ces pierres et de prendre l'air des jardins. Dans le parc de Djenan Hamriya on comptait cent mille pieds d'oli­viers dont Moulay Ismaïl avait attribué le revenu aux deux villes saintes. Les oliviers y sont encore très nombreux, mais nous ne savons pas ce qu'étaient, au temps de Moulay Ismaïl, ces jardins.

Le Jardin d'Essai, ( Djenan ben Halima ), un des beaux lieux du Maroc, est l'ancien jardin par­ticulier de Moulay Hasan et de son harem et fut créé par Sidi Mohammed; la Direction de l'Agriculture y poursuit ses expériences. C'est un vaste enclos, abandonné en partie aux cultures, mais que remplissent aussi des fleurs, ceint de murs gigantesques, dessiné par des allées se coupant à angle droit, où d'antiques oliviers ont peut-être remplacé les lignes de vieux cyprès qui subsistent encore au centre de l'enclos. Une gracieuse koubba d'un joli style, du temps de Moulay Abder Rahman, encadrée d'antiques cyprès aux têtes abattues, un charmant kiosque de bois affectant la forme d'une tente verte, que supportent des pilastres vermillon, se voient aux extrémités des deux allées. Le parc aux autruches lui fait suite: l'origine du troupeau remonte à Moulay Abdallah (1727-1757).

La dernière des constructions de Moulay Ismaïl fut la porte Bab Mansour, commencée peu de temps avant sa mort. Car ce fut son fils Moulay Abdallah, qui l'acheva et termina le mur de la Qaçba (1731-1732). La tradition dit qu'elle fut élevée par des esclaves chrétiens et son nom d'El Mansour el Euledj ( l'islamisé ) lui viendrait du renégat qui en a conçu la majestueuse et très solennelle ordonnance. Composition mou­vementée, un peu théâtrale peut-être, et qui rappelle ici l'esprit des inventions des architectes de l'époque de Louis XIV. La voûte est encadrée d'un décor en briques entre lesquelles s'enchâssent des mosaïques; au-dessous, des rinceaux floraux en carreaux noirs; puis de nouveaux décors géométriques en briques avec des mosaïques enchâssées. Une large inscription court en haut, formant frise, avec de belles lettres célé­brant la gloire du sultan Ismaïl, et surtout celle du sultan Moulay Abdal­lah « par qui l'Islam est apparu tenant ferme l'étendard de la couronne ». Elle exalte la hauteur de ses tours, déclare qu'aucun monument de Damas (1) n'est aussi orné. qu'Alexandrie, qui a la gloire de posséder des colonnes et des portiques mémorables, ne possède rien de tel.

Les colonnes trapues en marbre grossier sont peut-être un travail local des renégats. Les hautes colonnes de marbre blanc, avec leurs chapiteaux

(1) Le mot Damas est en vert dans l'inscription et indique la date de 1144 de l'hégire ( 1731 ).





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117
HISTOIRE DE MEKNÈS

composites de style antique, mais qui datent de la Renaissance, viennent sans doute d'Italie ( au témoignage d'Ez-Zayyani, Moulay Ismaïl aurait fait porter à Meknès des chapiteaux qui décoraient el Bedi à Marra­kech ): elles soutiennent des piliers prismatiques qui arrêtent le décor architectural d'une manière très inattendue. Sur les deux estrades cons­truites sous la voûte de Bab Mansour, le pacha blanc de la ville et le pacha noir des Bokkari tenaient leurs audiences foraines. Bab Mansour

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Bab Mansour.
Cliché Beaux-Arts.

a été complètement restauré pendant les années 1921 et 1922 ; la bénika du second bastion vient d'être débouchée.

Dans le même mur de l'enceinte, sur la place el Hedim, s'ouvre une autre porte du même style, Bab Djama en Nouar, qui donnait accès, sous Moulay Ismaïl, à une mosquée dont il ne reste rien. Des ornements géo­métriques en briques forment la résille des fleurons verts émaillés. Une bordure de rinceaux noirs encadre cette très simple et harmonieuse porte.

Le Père Busnot a recueilli des renseignements qui paraissent précis sur le Sérail de Moulay Ismaïl; il contenait environ cinq cents femmes de toutes les nations et était situé dans l'ancienne Qaçba mérinide, le Dar El Makhzen actuel, sous la protection d'une triple muraille. Son information


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118
MEKNES

doit être exacte, car elle est confirmée en partie par l'auteur du Kitab el-istiqsa. Chaque femme était logée à part sous la garde d'un eunuque et d'une noire. Le juif Maimoran leur fournissait leurs rations d'huile, de beurre et les autres choses nécessaires à la vie, leur envoyant en cachette de l'eau-de-vie et du tabac. Elles suivaient parfois le sultan dans ses jardins, montées sur des mules, précédées d'eunuques qui tiraient plusieurs coups de fusil pour faire écarter les gens. Ceux qui n'avaient pu le faire, tombaient la tête dans la poussière, car nul n'aurait osé lever les yeux sur les femmes du sultan. Jamais elles n'étaient admises à sa table, d'ailleurs très frugale (Moulay Ismaïl, accroupi sur un morceau de cuir, mangeait des poulets ou des pigeons au riz qu'il prenait de la main droite, dans de la vaisselle de cuivre, de terre ou de bois, et il ne buvait jamais que de l'eau). La sultane, ancienne esclave de Moulay er-Rachid, Lalla Aïcha, mère de Moulay Zidan, son premier né, était sa favorite. Elle était noire, grande, énorme. Elle dominait le Sérail, faisait porter le sabre devant elle par une servante. On lui faisait force présents. Une Anglaise affable, prise à quinze ans, renégate, jouissait également d'un grand pouvoir. Quand ses femmes avaient atteint l'âge de trente ans, Moulay Ismaïl les renvoyait au vieux Sérail de Fès, ou à Sijilmassa, dans le Tafilalet, où il établissait ses enfants. Elles fréquentaient la mosquée de l'intérieur de la Qaçba: Zidana et l'Anglaise sortaient seules en ville. Moulay Ismaïl a eu six cents enfants mâles vivants: et souvent il portait les plus petits dans ses bras.

L'année 1698 vit un épisode fameux dans l'histoire des relations franco-marocaines, mais qui n'a pas eu, à notre sentiment, l'importance qu'on lui prête généralement sur les projets d'architecture du sultan Moulay Ismaïl. Il s'agit de l'envoi d'une mission en France chargée de conclure une alliance politique et de traiter l'importante question du rachat des captifs.

La mission de Ben Aïcha débarqua, le 11 Novembre 1698, à Brest. Après le compliment des échevins, ce fut un voyage triomphal de Brest à Paris. A Amboise, sur l'emplacement présumé du champ de bataille où les Sarrasins furent défaits par Charles Martel, Aïcha pria; puis il fut logé à Paris, à l'hôtel des Ambassadeurs. Le 16 février eut lieu la récep­tion à Versailles. Ben Aïcha prononce un discours : « Moulay Ismaïl, mon maître, fait consister le comble de sa gloire à acquérir l'amitié du plus grand et du plus puissant monarque de l'Europe... ». II déclare qu'il a reçu l'ordre de nouer une alliance indissoluble avec le roi de France, de négo­cier l'échange et le rachat des captifs; Louis XIV répond qu'il était bien


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119
HISTOIRE DE MEKNÈS



aise de le voir, qu'il nommerait des commissaires pour écouter ses pro­positions. Les cadeaux traditionnels sont offerts: chandeliers de cristal, deux horloges, une douzaine de montres dont deux garnies de rubis et de diamants, des vestes de brocard, deux coupes d'argent, quatre paires de pistolets aux canons damasquinés, un tapis, un lit de repos et des

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L'Ambassade marocaine à Versailles (1699). Au milieu, assis, Ben Aïcha.
Cliché de l'auteur.


sièges de la Savonnerie. Ben Aïcha visite alors Paris. On cite ses mots dans le Mercure Galant, sur les grandes eaux de Versailles qui « suivaient, à ses yeux, la renommée de leur maître, en voulant s'élever jusqu'aux cieux »; sur les eaux de la Seine qui ne suffiraient pas, si elles étaient d'encre, à décrire les merveilles qu'il voyait chaque jour. Mais Ben Aïcha se déro­bait quand il s'agissait du traité de rachat; et la mission quitta Paris, le 6 mai, sans rien conclure. C'est alors que, faisant à Moulay Ismaïl le récit de toutes les merveilles dont il avait été témoin, Ben Aïcha lui parla


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120
MEKNÈS

d'une façon séduisante d'une princesse douairière de Conti, qu'il avait rencontrée notamment dans un bal chez Monseigneur d'Orléans au Palais Royal. Le 14 novembre 1699, au nom du chérif descendant du prophète, il écrivait la lettre suivante à M. de Pontchartrain :

Au Vizir de l'Empereur de France, notre parfait ami, le sage et judicieux comte de Pontchartrain, salut.

« Je demande de vos nouvelles, en conséquence de l'amitié que nous nous sommes juré pour jamais. Vous m'avez fait mille honnêtetés de bouche et vous me les avez ensuite confirmées, de votre main, en la mettant dans la mienne. J'en ai fait autant de ma part, et j'ai gardé cette amitié après avoir été de retour dans mon pays. J'ai paru devant le roi, mon maître, et je ne lui ai jamais parlé de la France sans que votre éloge n'ait été le prin­cipal sujet de notre entretien. Si Pontchartrain, lui ai-je dit, était en votre présence, vous l'aimeriez aussitôt avant que de lui parler, à cause de sa modestie, de son honnêteté, de sa sagesse, et de l'esprit supérieur dont Dieu l'a favorisé, de préférence à tous ceux que j'ai jamais vus parmi les Arabes et les Berbères. Certes, je lui ai dit la vérité comme je l'ai vue. Il s'est insinué votre connaissance dans son âme, et vos manières hon­nêtes sont fortement gravées dans son esprit, tellement qu'il m'a dit plu­sieurs fois : — O Ben Aïcha ! parle-moi donc encore de ton ami Pontchar­train, qui s'est si bien emparé des avenues de ton cœur ? — Et je lui ai répondu : — Seigneur, tout ce que j'ai pu dire de lui est encore bien au-dessous de son mérite. Et je lui ai dit la vérité.

« La chose est venue à tel point qu'il lui est tombé dans l'esprit ce que je lui avais raconté de la princesse de Conti, fille de l'Empereur Louis de France, votre maître, le plus grand prince de la chrétienté, laquelle est à présent sans époux, en ayant été séparée par la mort. Je lui en avais fait le portrait, et lui en avais retracé les merveilles et la modestie admi­rable qu'elle garde envers son frère, Mgr le Dauphin, son bel esprit, son air royal, sa parfaite intelligence aux exercices du bal et des instruments
de musique, et que nous vîmes une nuit, au Palais-Royal, chez le prince son oncle, Monsieur. J'ai parlé des grandes honnêtetés que j'ai reçues de ce prince, et des manières civiles et charmantes qu'ils observaient les uns envers les autres en ma présence.

« J'ai fait l'éloge et la description de tout cela au roi, mon maître, telle­ment que cela lui est demeuré gravé dans l'esprit, et qu'il y pense tous les jours avec soin et inquiétude. Sur quoi il m'a dit : — II faut que tu écrives au Vizir Pontchartraîn, ton ami, afin qu'il demande pour moi en


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121
HISTOIRE DE MEKNÈS


mariage, au roi son maître, cette princesse, sa fille, sœur du Dauphin, qui n'a point d'époux à présent. Notre Empereur la prendra pour femme, selon la loi de Dieu et de son prophète Mahomet, assurant qu'elle restera dans sa religion, intention et manière de vivre ordinaire. Elle trouvera en cette cour tout ce qu'elle désirera qui pourra lui faire plaisir selon la jus­tice, s'il plaît à Dieu...

« Voilà, ô Vizir Pontchartrain, que je vous ai écrit un secret de grande conséquence, qui est venu dans le cœur du très grand Empereur du Maroc et de Fès. Si vous jugez qu'il soit à propos de dire là-dessus davantage de paroles, l'on se fie à votre prudence. Entretenez-vous de cela avec le sieur Jourdan, qui m'en écrira au plus tôt, et que la réponse soit faite, de concert avec vous, en la manière sérieuse en laquelle nous écrivons. Que le premier vaisseau qui viendra ici de France puisse apporter cette
réponse comme nous la désirons en toute vérité, afin que je m'embarque sur icelui pour aller vers vous, si Dieu a prédestiné cette alliance entre les deux rois. Cela doit vous faire connaître si j'ai parlé en bien de l'Em­pereur Louis ! Aussi, mon maître m'a-t-il dit ces paroles à son sujet: — C'est là un prince digne que l'on fasse avec lui connaissance et amitié. —
Voilà ce que nous avions à vous écrire ».


Marie-Anne de Bourbon, fille de Mlle de La Vallière, Conti la Belle, fille des Dieux et des Amours, était celle dont La Fontaine a écrit :
L'herbe l'aurait portée ;
Une fleur n'aurait pas
Reçu l'empreinte de ses pas !
Un immense éclat de rire accueillit les confidences de Ben Aïcha, Les poètes adressèrent à leur déesse des madrigaux de ce goût :

Votre beauté, grande Princesse,
Porte les traits dont elle blesse
Jusques aux plus sauvages lieux.
L'Afrique avec vous capitule,
Et les conquêtes de vos yeux
Vont plus loin que celles d'Hercule.

Le comte de Pontchartrain ne crut pas devoir répondre à la requête de Moulay Ismaïl. Il fit mander au négociant Jourdan, correspondant de Ben Aïcha, qu'il n'avait pas osé montrer des lettres si peu conformes aux mœurs des deux nations.

« Quand l'Empereur du Maroc serait assez tou­ché des vérités du christianisme pour l'embrasser, il serait alors en droit beaucoup plus apparent de se faire écouter ».

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122
MEKNÈS

Certes, Moulay Ismaïl n'était pas ignorant des choses de l'Europe, et il avait une admiration véritable pour Louis XIV. Quand M. de Saint-Amand le visita à son camp, en 1683, il se mit à faire l'éloge du roi, disant qu'il gouvernait lui-même toutes choses, que personne ne pouvait s'opposer à l'exécution de sa volonté, qu'il avait vaincu tous les non chrétiens, commandait lui-même son armée. Il loua les Français de leur fidélité envers leur roi, ajoutant que les « Arabes » n'étaient que des sujets rebelles et qu'il les fallait traiter durement pour les faire obéir. Et il parla avec mépris des Anglais, affirmant que leur roi n'était qu'une " vieille " qui se laissait gouverner par son parlement, et que le roi d'Espagne n'était qu'une femme... (Relation).

Mais le seul rapprochement que nous pouvons établir entre Louis XIV et Moulay Ismaïl c'est la fièvre commune qu'ils apportèrent, tous deux, à faire construire leurs palais. Comme Louis XIV, Moulay Ismaïl surveil­lait lui-même ses ouvriers. En 1685, 36.000 travaillaient aux chantiers de Versailles, que n'arrêtaient ni le froid, ni la neige, ni les épidémies; et toutes les nuits, à l'Hôtel-Dieu on emportait des charrettes pleines de morts (Bussy). Moulay Ismaïl avait à Meknès son armée d'ouvriers: en 1688, 1.800 chrétiens pris à Larache; 25.000 captifs parmi lesquels se trou­vaient des marbriers, des sculpteurs, des menuisiers, des forgerons, des astronomes, des ingénieurs et des médecins; 30.000 criminels, révoltés ou voleurs enfermés dans des souterrains. Et, dès que l'un d'eux mourait, son cadavre était emmuré dans les blocs de pisé. Moulay Ismaïl obligeait les tribus à lui envoyer, à tour de rôle,, chaque mois, un nombre déterminé de travailleurs et de mules et les villes, qui devaient fournir également des ouvriers et des artisans spécialistes, déléguaient un nombre fixé de maçons, de menuisiers, etc... (Kitab el-istiqsa). Mais rien, absolument rien, ne nous autorise à dire que les palais de Moulay Ismaïl sont un souvenir de Ver­sailles. Quand la mission marocaine entra à Meknès, en 1699, beaucoup de monuments de Moulay Ismaïl étaient déjà construits. Il commence ces travaux dès 1673, les reprend très activement après 1677 ; entre 1683 et 1693 il parcourt sans repos le Maghreb qu'il pacifie n'ayant jamais passé une année entière dans son palais. Après 1718, il se voue exclusi­vement aux constructions.

Mais, comme Louis XIV faisait faire lui-même la promenade de Ver­sailles, il arrivait que Moulay Ismaïl montrât ses palais de Meknès.
C'est ce qui advint à John Windus qui, en 1720, accompagna le commodore Stewart, venu à Meknès pour régler, au nom du roi George Ier, certains arrangements relatifs à la course et au rachat des


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123
HISTOIRE DE MEKNES

captifs. Ce document, qui anime en quelque sorte les décombres que nous admirons aujourd'hui, nous a paru trop précieux pour ne pas être repro­duit ici :
« En quittant l'Empereur, ce que nous fîmes en marchant en arrière, et Ben Hattar (marchand juif, dont l'influence était grande sur Moulay Ismaïl) nous conduisant pour voir le palais, nous fûmes menés dans une grande cour oblongue avec des galeries tout autour: l'appartement

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La grande pièce d'eau du Palais.
Cliché Beaux-Arts.

de la reine. Les arches étaient ornées de moulures de plâtre représentant des fleurs, style arabe, et supportées par des piliers en pierre unie. Le carré était excessivement grand et spacieux; le fond et les côtés ( jusqu'à la hauteur de cinq pieds environ ) garnis de mosaïques en petits carreaux de diverses couleurs, avec deux niches carrées.
« De cette mosaïque il y a une prodigieuse quantité dans le palais. Tous les appartements, toutes les galeries, les grandes salles, les passages et le dessous des arches étant avec des mosaïques, la perspective de ces bâtiments, très longs, est extrêmement belle, magnifique et simple.
« De là nous fûmes conduits dans un magasin de près d'un quart de mille de long et de plus de trente pieds seulement de large; là étaient suspen­dues une grande quantité d'armes dans leurs fourreaux, et trois rangs


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