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Mémoire de la présence Française au Maroc à l'époque du Protectorat
 
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 La Vie Marocaine Illustrée 1932

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Pierre AUBREE
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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 EmptyVen 27 Jan - 7:47

page 46

La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 06-la_12

- Brodeuses de Fès. par Marguerite Delorme

PEINTRES DU MAROC

par JEAN BALDOUI

Tandis que l'Exposition Coloniale suscite, dans le seul périmètre du Bois de Vincennes, une floraison inattendue de peintres exotiques, usant leur ocre rouge aux murailles patibulaires de l'Afrique Occidentale et leur blanc d'argent aux palais de l'Algérie, du Maroc ou de la Tunisie, les vrais peintres coloniaux — je veux dire ceux qui ont osé le grand départ — réunis dans les belles salles lumineuses du Palais des Beaux-Arts, sont traités généralement sans bienveillance par la critique parisienne. Il semble qu'il y ait dans ce jugement, quelque parti pris dont je ne détermine pas exactement les raisons, mais qui aboutit à cette affirmation paradoxale que la seule peinture coloniale de quelque valeur serait l'œuvre d'artistes qui n'ont jamais quitté les rives de la Seine et les cénacles de Montparnasse. Je ne crois pas même que la presse ait fait, à cette occasion, une part suffisante à la section de peinture rétrospective du Musée Permanent qui comporte cependant les noms prestigieux de Delacroix, de Chasseriau, de Degas, de Cézanne, de Renoir, et qui présente temporairement, dans des conditions d'éclairage du reste imparfaites, un ensemble éblouissant d'oeuvres de Gauguin dont cette étonnante composition. « D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? », dont je ne puis douter qu'elle soit un des sommets de l'art de tous les temps et l'avènement de toutes les recherches contemporaines.
Une démonstration de cette importance méritait d'éveiller un plus grand mouvement de curiosité et de soulever des controverses plus étendues sur les apports de l'exotisme dans les arts plastiques d'Occident.
Bien entendu, je ne puis prétendre m'aventurer sur un terrain aussi vaste, mais l'intention que j'ai d'en défricher une parcelle en parlant des peintres du Maroc peut m'amener malgré moi à exprimer quelques idées générales qui seraient aussi vraies (ou aussi fausses ?) pour toute autre région du monde où les peintres seront allés chercher un renouvellement de leur inspiration.
J'ai ici trop d'amis parmi les peintres locaux, et tous trop évertués au bien faire, pour qu'il me vienne la tentation de jouer au critique et si l'on devait trouver dans ces lignes quelque chose qui pût ressembler à des conseils, je prie le lecteur de croire que je ne les adresse qu'à moi-même qui en ai le plus besoin. Et afin que l'on ne puisse se faire aucune illusion à cet égard, j'ai consenti à la reproduction, dans ces mêmes feuilles, de quelques croquis, en témoignage d'humilité, et l'on verra bien qu'ils n'illustrent en aucune façon le petit essai que voici.
Le Maroc partage, avec l'Algérie et la Tunisie, l'honneur, si c'en est un, d'avoir été surabondamment « peint ». Cela peut tenir au pays qui est à l'égal des plus beaux de la terre, mais cela tient aussi à ce qu'il ...


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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 EmptyVen 27 Jan - 7:59

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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 07-la_11

- Moulay Idriss, par Si Mammeri.


... offrait hier encore de l'inédit, à ce qu'il offre aujourd'hui du pittoresque et de l'étrange, à deux jours de la Métropole. On me comprendra si l'on sait combien les artistes, qui tant proclament leur indépendance, restent au fond attachés à leurs petites habitudes d'atelier ou de café, quand ils ne sont esclaves de leur chapelle, de leur marchand et de toutes les petites intrigues qui président au placement dans les salons et à l'octroi des récompenses. On voudrait bien n'est-ce pas s'évader — un peu — mais un peu seulement. Prendre un bain d'exotisme, mais ne pas rompre les amarres. Et parce qu'on a glissé une pincée de cumin dans son pot-au-feu, on s'imagine l'avoir transformé en méchoui africain.
Chaque année, des peintres venus de Frances, boursiers ou non, font leurs trois petits tours et puis s'en vont chargés de toiles, d'aquarelles et de dessins. Quelques-uns reviennent. Certains sont restés. Il serait bien difficile d'affirmer quels sont les meilleurs et je ne m'y risquerai pas. Je remarque seulement que les plus notoires semblent avoir passé complètement inaperçus. Je remarque également qu'à une ou deux exceptions près, aucun chef de l'école moderne n'a tenté l'aventure. Et dans ce pays neuf, ouvert à toutes les audaces, les peintres, pour la plupart, semblent n'avoir pu s'affranchir des routines académiques. On pardonnerait à beaucoup de tout ignorer des prétendues conquêtes de l'art moderne, s'ils ne se souvenaient fâcheusement des formules caduques d'une mode qui remonte à une cinquantaine d'années.
De sorte que si l'on organisait une exposition complète des peintres que le Maroc a inspirés, on s'apercevrait que le plus jeune,le plus ardent d'entre eux est Delacroix, le plus ancien, le premier venu, le seul en somme, de qui on puisse affirmer qu'il laisse de ce pays une image durable. Outre, qu'il y a séjourné comme Dehodencq et Henri Regnault à une époque où les conditions de travail étaient autant dire impossibles, il était lui, Delacroix, le moins préparé par sa nature à donner une traduction véridique de la vie musulmane. Romantique, il a apporté sa soif de couleur ardente et de mouvement frénétique là où l'une et l'autre ne se rencontrent que bien rarement. Il n'a voulu voir qu'une sorte de fantasia perpétuelle là où la fantasia même ne communique aucune turbulence à la foule des assistants, là enfin où la sagesse prime l'action au point que les gens ont l'air d'y tourner un film au ralenti.
Tout compte fait, Delacroix a donné au Maroc plus qu'il ne lui a pris et il n'est pas certain que le voyage par lequel il dit avoir été si vivement émerveillé ait ajouté beaucoup à son œuvre, ni déterminé une phase nouvelle de son évolution.
Il est bien dommage, bien dommage pour moi, que Delacroix ait eu du génie, car je l'aurais cité en exemple, en mauvais exemple et j'aurais considéré son expérience comme la faillite de l'exotisme. Mais on ne pourra parler de faillite de l'exotisme, tant qu'on se souviendra, et les siècles à venir moins ingrats que celui-ci s'en souviendront mieux, du miraculeux épanouissement d'un autre génie. Paul Gauguin, à Tahiti.
Qu'on me pardonne, ayant à parler du Maroc, de sacrifier encore au culte que je professe pour le grand Océanien, mais je ne crois pas que l'on puisse trouver ...


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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 EmptyVen 27 Jan - 8:00

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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 08-la_11

- Le patio, par Mme Prévost-Barrière


... ailleurs qu'en lui l'illustration héroïque d'une thèse qu'il m'est cher de défendre. Il est le type même de l'artiste transplanté en pleine vigueur dans un sol duquel il allait puiser une sève nouvelle nécessaire à son épanouissement et qui devait en un mot le révéler à lui même. L'assimilation est chez lui si complète, que dès lors, toute son œuvre pourrait passer pour l'émanation directe et quasi miraculeuse du sol et de la race polynésienne. Son âme s'est trouvée complètement refaçonnée par une vie nouvelle à laquelle il n'a pas fait qu'assister, mais à laquelle il s'est mêlé, dans laquelle il a, toute honte bue, toute douleur refoulée, toute rancœur digérée, délibérément plongé, comme un pêcheur de perle désespéré, et Dieu sait de quelles perles inouïes il est revenu chargé.
Personne ne connaît ses ressources profondes. Il sommeille au fond de nous une belle au bois dormant qui attend d'être réveillée. Pour certains l'exil peut-être le prince charmant. Il ne suffit que de s'offrir à lui nu et vierge.
On peut dire que jusqu'à un certain point, toute connaissance acquise est une entrave à la réceptivité des sens comme à l'état de disponibilité de l'esprit. Un artiste devrait toujours se persuader qu'à chaque changement de climat, chaque tournant de son évolution, son éducation est à refaire. Les spectacles nouveaux doivent non seulement le contraindre à modifier ses moyens d'expression, mais encore, selon la nature de ces spectacles, à renouveler sa manière de voir et de sentir. C'est une nécessité d'appartenir à son milieu comme c'en est une d'appartenir à son temps, dans la mesure cependant où on ne leur appartient pas plus qu'à soi-même.
Par réaction contre la mode d'un exotisme de convention qui n'empruntait aux Orients qu'un répertoire d'accessoires hétérogènes et clinquants, on a abusé d'un simili réalisme basé sur le souci de l'exactitude. Celui-ci semble n'avoir produit que des documents de reporter aussi éloignés de la vérité profonde que l'étaient les imageries fantaisistes du siècle dernier.Dans celles-ci du moins, se décelait l'attirance ingénue, mais touchante, des mirages de l'inconnu.
Entre ces deux impasses, il existe une région assez vaste pour qu'on puisse s'y perdre. C'est celle que nous tâchons d'explorer et si nous sommes pas bien sûrs d'y avoir trouvé la bonne voie, l'expérience que nous avons des embûches et des fondrières, nous incite du moins à quelque circonspection.
Aussi, je voudrais dire, à celui-là que tente l'aventure fût-il « tout harnaché d'ordres et de chamarres. et Médaille d'Honneur et Membre de l'Institut ». je voudrais dire : « Peintre, mon frère, — puisque aussi bien, loin des compétitions parisiennes, nous sommes ici en famille et qu'il n'est plus besoin de s'entredévorer — mon frère, donc, il est entendu, si tu es une gloire de l'art académique, que tu n'ignores rien des règles de la composition, du canon des proportions et des rapports de valeur, si tu es un as de l'Ecole de Paris et de l'Art vivant, que les volumes constructifs et les lignes de force n'ont aucun secret pour toi, mais il doit être entendu aussi que tout cela ne te servira ici qu'autant que tu n'en déduiras aucune certitude. Franchis les mers, tu ne seras plus, comme moi-même qu'un pauvre homme à la dérive, écrasé par l'inexorable beauté des choses.
Je voudrais bien aussi que tu ne t'obstines pas à trouver ici les tons et les formes tels que tu t'étais décidé à les y voir, obéissant à cela à une conception peut-être un peu bien simpliste de l'orientalisme qui croit devoir faire appel à toutes les intempérances de couleurs:
La lumière t'apprendra bien des choses qui ne sont pas dans les traités, tu en suivras les jeux alternés selon les saisons et selon les heures. Tu en pénétreras l'infinie variété, et sauras qu'il ne lui arrive jamais de commettre une faute de goût.
Tout cela, je te le dis, si tu es comme je le souhaité en état de grâce te convertira à l'humilité. Afin que tu ne te méprennes pas sur le sens de cette humilité que beaucoup prendront pour de l'orgueil, sache que j'entend par là, ta capitulation devant la nature, le retour en toi-même, ce pauvre malheureux petit toi-même de rien du tout qui est cependant la seule chose qui compte, la seule à quoi tu puisses prétendre, la seule, en définitive, qu'on attende de toi.
N'oublie pas que partout et toujours, l'attrait de la peinture doit surpasser celui du thème. Evite autant que possible de choisir celui-là parmi les sites trop célèbres et trop merveilleux. Pour te mieux convaincre, imagine simplement ce tableau : toi ou moi posant notre chevalet devant l'Acropole et lui disant : « A nous deux ».
Quand tu auras cédé, comme nous tous l'avons fait, à cette tentation décevante, tu en mesureras la vanité. Ne te laisse pas trop prendre non plus au pittoresque des scènes de la rue qui n'est qu'un aspect fragmentaire de la fresque. Mais sers-toi de tout ce que tu vois pour en dégager l'esprit et s'il se peut, la synthèse.


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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 EmptyVen 27 Jan - 8:01

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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 09-la_11

- Poupées marocaines, par Jacques Majorelle.


Sois le voyageur et non pas le touriste, et même si tu restes, demeure le voyageur, afin que l'émerveillement premier se survive. Entre dans le pays et vas à son peuple avec moins de curiosité que d'amour.
Garde toi des initiateurs bénévoles, trop empressés à te faire bénéficier de leurs connaissances. Ils voudraient tout t'expliquer et poser, entre l'objet et toi, leur petite étiquette prétentieuse, sans savoir que les choses sont tellement plus belles d'être innommées. Tout ce qu'on apprend par eux se rattache à l'anecdote ; tout ce qu'on imagine participe de l'épopée-
II faut que les choses t'émeuvent par leur forme et par leur couleur et pas par ce qu'on t'en aura raconté.
S'il arrive que là où tu seras, tu entendes dire : " Voilà un tableau tout fait " détale, mon frère, détale, jambes au cou ; c'est que tu n'as rien à y faire.
Là je crois, est le vrai danger : l'utilisation directe, à des fins purement descriptives, de tous les éléments d'un spectacle. Danger d'autant plus grand que ces éléments se présentent le plus souvent dans un rythme parfaitement harmonieux et complet. De telles présences ne supportent pas qu'on attente à leur intégrité, et c'est hors d'elles, qu'il   faut   attendre   la résonnance qu'elles ont provoquée en nous.
Enfin, peintre mon frère, quand tu auras enregistré toutes les images, éprouvé toutes les sensations, examiné tous les problèmes, quand tu te seras baigné dans les blancheurs incessamment reflétées des villes de la côte et, de l'une à l'autre, glissé sur les moires opalines d'un oued au beau nom, Oum er Rebia ou Bou Regreg, quand tu auras pénétré le mystère ombreux d'une ville sainte, Fès ou Moulay Idriss, et, libéré de l'oppression première de ses hautes murailles, mérité la grâce de ses jardins enclos et de ses parfums secrets, quand tu auras essuyé le soleil ardent de Marrakech et participé aux joies simples de ses foules, quand tu te seras avisé que partout où tu sauras les découvrir, les femmes sont autant qu'ailleurs exquises, quand tu sauras que le pays tout entier arbore comme une parure souriante les plus beaux enfants qui soient au monde, si ton œuvre te paraît, en regard de tant de beauté, insipide et frêle, il te restera d'avoir vécu ton rêve sur une terre où il peut être encore le frère de l'action.

Jean BALDOUI.


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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 EmptyVen 27 Jan - 8:03

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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 10-la_11


Le Maroc au triple front


ou le  problème de la  circulation   marocaine

par   J.    CÉLÉRIER

L’Exposition Coloniale n’est plus. Dans le jardin des rêves, où notre agitation n’a plus jamais le temps de se reposer, palais et fontaines lumineuses vont aller rejoindre la vision exquise des petites danseuses de Bali. Cependant, l’Exposition a fait éclore aussi des œuvres d’apparence modeste, mais d’un intérêt durable, dont la valeur scientifique prolonge les services de la manifestation impériale.
C’est ainsi que le Service géographique avait fait établir un magnifique plan-relief du Maroc au 500.000e. On en a tiré des épreuves photographiques à petite échelle et une carte au 1.500.000e. Tous ceux que préoccupent les intérêts généraux du Maroc, qui essaient de comprendre son passé ou d’élaborer son avenir, auront plaisir à se pencher sur ces reproductions. Le Maroc éternel est là, sous nos yeux. Le Sphinx parle ; il dit son secret par cette opposition des ombres et des blancs qui donne une sensation de relief, saisissante comme au stéoroscope. Les régions naturelles s’individualisent : les seuils de passage s’ouvrent entre les masses montagneuses : les pôles d’attraction ou de divergence se précisent ; la longue soudure au continent africain dit l’action incessante et parfois invisible des contacts terrestres et continus ; la longue côte évoque les lointains peuples de la mer, l’arrivée brutale et imprévisible des chercheurs d’aventures.
Méditons devant cette carte. Il y a plus de germes féconds de réalisation en une heure d’une telle médication qu’en agitations oscillantes, traduites par des dahirs successifs et contradictoires.

LES OBSTACLES. — Ce qui saute aux yeux, c’est, avec le croissant rifain souligné par la côte méditerranéenne, l’allongement S.O.-N.E. des chaînes atlasiques : soudées au centre en une masse épaisse, elle s’écartent à l’est pour encadrer les plateaux du Maroc oriental sur lesquels elles semblent s’écraser ou se résoudre en une « procession de chenilles ». Une conclusion s’impose avec la force de l’évidence : sous l’unité politique de l’Empire chérifien, il y a trois Maroc géographiquement distincts. Non seulement ils sont séparés par les chaînes atlastiques, mais ils se tournent littéralement le dos et s’inclinent en sens inverse; n’ayant de commun que leur cloison aveugle à l'arrière, ils s’ouvrent chacun sur une façade particulière. Ce fait fondamental peut s’exprimer sous trois formes corollaires, traduisant chacune un aspect qui aggrave les autres. Il y a trois Maroc, situés respectivement à l’ouest, à l’est, au sud de l’Atlas. L’Empire chérifien a un triple front : atlantique, méditerranéen, saharien. Comme le Haut et le Moyen Atlas, accolés au centre, forment un obstacle élargi presque jusqu’à Rabat par les plateaux tourmentés des Zaïan, le cœur même de l’Empire, au lieu de constituer un centre attractif est un pôle de divergence.
La division tripartite du Maroc, si nette, est un effet brutal des grandes lignes du relief. Mais elle est très fortement aggravée par les facteurs climatiques: la latitude qui oppose le Maroc du Sud, subtropical ou désertique, au Maroc du Nord, méditerranéen, l’éloignement de la mer qui oppose le Maroc oriental et continental au Maroc occidental et océanique.
Il n’y a pas lieu d'insister ici sur ces traits essentiels de la géographie marocaine. Rappelons seulement que l’existence de ces trois Maroc opposés et divergents explique la plupart des vicissitudes de l’Etat chérifien. Chacune des dynasties, après avoir trouvé dans l’un ou l’autre des trois Maroc, le berceau de sa puissance, a dû rallier péniblement les deux autres pour paraître digne de la souveraineté. Et il fut encore moins difficile au fondateur, porté par la victoire, de rassembler toutes les terres marocaines qu’à ses successeurs de les maintenir unies. C’est que les hommes ont donné une valeur humaine à la volonté de la nature qui avait dissocié les trois Maroc. Les invasions arabes, forçant les seuils de passage, s’étalèrent sur les plaines, submergeant les autochtones; mais leurs vagues impuissantes ont vainement battu le roc central de la montagne berbère qui se trouve investi par les plaines de l’ouest et du Sebou, par les steppes de la Moulouya, par le sillon sudatlasique et présaharien. L’autorité chérifienne, qui représente, avec l’arabisation, le droit écrit religieux, la centralisation politique, n’a jamais pu triompher de la dissidence berbère qui, outre une cohésion morale maintenue par l'orgueil de race, la langue, les coutumes juridiques, a l'avantage de la position centrale et dominante.
Le problème des liaisons intérieures, tel qu'il résulte de l’existence d’un Maroc tripartite et au triple front, fut en somme insoluble pour les Sultans. Il demeure posé pour la nation protectrice.
Le premier programme de voie de communication n’a pas provoqué de grandes discussions pour son établissement: il s imposait en effet avec une force particulière qui venait de l’accord entre les circonstances politiques ou militaires et les conditions géographiques ou économiques. Dans le réseau routier qui fait aujourd’hui l’admiration des touristes comme dans le réseau ferré dont la création, retardée par la guerre, a été poussée avec une merveilleuse rapidité, les mêmes préoccupations fondamentales ont servi de directives.


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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 EmptyVen 27 Jan - 9:26

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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 11-la_11


Un seul des trois Maroc, le Maroc atlantique, monopolise d'abord les efforts techniques et financiers. Le Maroc saharien est inaccessible; le Maroc oriental semble si pauvre qu'on négligerait presque d'assurer, par son territoire, l'indispensable liaison algéro-marocaine.
Dans le développement des organes de la circulation, voies intérieures et débouchés maritimes, on voit se succéder ou se combiner deux ordres de préoccupations, l'un à base régionale, l'autre de caractère plus technique. L'équipement du Maroc oriental, puis du Maroc saharien, n'a fait sentir sa nécessité qu'après une grande avance prise par l'Occidental. D'autre par!, l'établissement des voies de communication répond à trois objectifs qui parfois simultanés, sont normalement distincts et progressifs: un système sporadique de voies de pénétration précéda le réseau coordonné de liaisons intérieures qui conduit à l'intégration de la circulation nationale dans la circulation mondiale.

LES VOIES DE PENETRATION DU MAROC ATLANTIQUE. — Dans la plupart des pays neufs où s’implante la civilisation européenne, la première phase de l’équipement est celle d’un réseau littoral qui lance vers l’intérieur un certain nombre d’antennes. Ces voies de pénétration ont pour règle de relier les zones intérieures les plus riches à un débouché maritime par le tracé le plus économique, en se subordonnant par conséquent au relief.
Le Maroc n’a pas échappé à cette règle: ce n’est pas vraiment un pays neuf puisqu'il présente, entre autres, cette particularité d’avoir, loin de la côte, deux villes populeuses et actives; mais la richesse de ces centres attractifs est en plein accord avec les conditions naturelles. Le relief décide du tracé des voies de pénétration; leur direction générale résulte de la disposition des zones de richesse : tracé et direction se lisent sur la carte.
Entre l’Océan et l’immense amphithéâtre formé par le Rif, le Moyen et le Haut-Atlas, se développent trois séries de plaines : bassin du Sebou avec Meknès et Fès, littoral atlantique avec villes maritimes échelonnées, hautes plaines subatlasiques avec Marrakech. Ces plaines communiquent par des passages naturels qui canalisent la circulation. Les plateaux du pays zaër-zemmour- zaïan, d’altitude moyenne mais profondément ravinés, ont presque la même importance que l’Atlas: ils isolent au nord, le bassin du Sebou, étranglent la plaine littorale et ne laissent entre le Gharb et la Chaouïa qu’un couloir qui fait la valeur de la position de Rabat. Au nord du Gharb, un couloir symétrique resserré entre la côte et les Jbâla, conduit à Tanger. Le développement de Casablanca a été favorisé par la facilité de ses liaisons avec les plaines du nord, du centre et du sud.
Les lignes de communication sont si nettement indiquées qu'on a vu se doubler ou se succéder sur les mêmes tracés, pistes, routes, chemins de fer à voie étroite, voie normale.
Ces voies de pénétration qui, en Algérie, se rapprochent d’une direction méridienne, s’orientent au Maroc occidental suivant des parallèles. C’est là une conséquence directe et indirecte de l’orientation SSO-NNE de la côte atlantique. Comme l’Océan exerce sur le climat une action décisive, le Maroc occidental se dispose en zones climato-botaniques, donc agricoles, dont l’allongement subméridien est encore précisé par l’allure générale des reliefs. On voit ainsi se succéder, de l'ouest à l’est, les grandes plaines céréalières du littoral atlantique, des plateaux aptes surtout à l’élevage extensif, les plaines subatlasiques fertilisées par les alluvions et les eaux de la montagne, l’étroite et riche frange du « Dir » aux cultures arbustives, la montagne forestière et pastorale. Des voies orientées suivant les parallèles et par conséquent perpendiculaires à ces zones ont le double avantage de les relier à la mer par le plus court chemin et de faciliter les échanges de produits différents. Il importe de remarquer que la découverte et l’exploitation des mines ne change pas les données essentielles du problème, puisqu’il faut toujours aux minerais l’accès maritime le plus proche.
Chacun des ports atlantiques s’est donc efforcé de pousser vers lest, une antenne de pénétration en vertu de la même loi qui créait en Algérie des lignes nord-sud, de la Méditerranée au Sahara. Les lignes de Tanger-Fès et Casablanca-Marrakech ne sont des exceptions qu’en apparence: leur première urgence est née de considérations politiques, de condition naturelles particulières, et surtout de la puissance d’attraction de positions qui dépasse une fonction régionale. Du nord au sud, on trouve: la ligne espagnole à voie étroite de Larache à El Ksar, la voie étroite de Kénitra vers Ksiri avec ses prolongements, la voie normale de Kénitra à Fès, la voie étroite abandonnée de Rabat à Khémisset, la ligne des phosphates de Casablanca à Oued-Zem, la voie étroite de Mazagan à Caïd Tounsi, la voie normale de Safi à Ben Guérir qui, décidée récemment pour desservir le bassin phosphatier des Gantour, donne aussi à Marrakech un débouché moins éloigné que Casablanca. Mogador, seul, n’a que la route autocyclable.
Le développement normal du réseau ferroviaire du Maroc atlantique, doit comprendre le prolongement de ces voies de pénétration jusqu’à leur terminus naturel, le pied de la montagne. Mais les ports sont trop nombreux et trop rapprochés pour être également pourvus. Le besoin de sélectionner et d’harmoniser indique le commencement d’une nouvelle phase.

LES VOIES DE PENETRATION DANS LE MAROC ORIENTAL ET SAHARIEN. — Avant que le Maroc atlantique ait pu parachever son réseau de pénétration, le problème de la circulation était posé pour ses frères pauvres l’Oriental et le Saharien, mais dans des termes sensiblement différents. La pénétration économique de ces régions déshéritées n’intéressait guère. Ce sont des raisons politiques et militaires qui ont déterminé les premiers travaux où se confondaient liaison et pénétration.
On n’avait pas encore songé à assurer au Maroc Oriental un débouché maritime que la nécessité d’une liaison entre l’Algérie et le Maroc atlantique s’était imposée. L’aventure d’Abd el Krim prouva l’insuffisance de la liaison par la route et la voie de 0 m. 60: la voie normale est donc poussée avec activité. La voie étroite de la Moulouya fut aussi établie à l’origine pour des raisons stratégiques.
Mais les découvertes minières se sont multipliées dans le Maroc oriental: le manganèse à Bou Arfa, le plomb en beaucoup de points, le charbon à Djerada. Elles ont légitimé la création de véritables voies de pénétration. La voie normale est virtuellement achevée d’Oudjda à Bou Arfa. On remarquera que ces voies sont méridiennes, comme en Algérie, et non d’ouest en est comme dans le Maroc occidental. C’est que le Maroc oriental est beaucoup plus semblable à l’Algérie et comme sa voisine s’incline vers la Méditerranée.
Ce changement dans la situation économique mit en pleine lumière l’absence paradoxale de débouché maritime d’un pays bordé par la Méditerranée. La concurrence, naguère allumée entre Oran et Casablanca, perdait son sens devant l’obligation d’ouvrir une porte la plus proche possible. Le problème, qui provoque depuis quelques mois des controverses passionnées, exigerait une longue étude qui dépasserait le cadre de cet article. Nous en rappellerons seulement les données essentielles, physiques et humaines.
La chaîne littorale qui, dominant brutalement la Méditerranée entre le détroit de Gibraltar et la presqu’île des Guelaya, isole le Maroc occidental de la Méditerranée, disparaît à l’est ou change de caractère. Les chaînons orientés O.-E., comme les Beni Snassen, sont coupés de passages faciles et le seuil de Guerbous assure à Oudjda une route sans obstacle vers les Trifa et la mer. Les Espagnols ont leur port, Melilla auquel les mines des Beni bou Ifrour donnent une activité intense. L’absence d’un débouché portuaire pour l’Oriental français est une anomalie qui s’explique pour trois raisons :
a) Le Maroc oriental était trop ingrat pour justifier la création onéreuse d’un port;
b) Le Maroc oriental, élargi en profondeur, n’a qu’une étroite façade maritime et la côte française, basse et sablonneuse, paraissait impropre à un établissement de port.
c) Le Maroc oriental, abandonné à lui-même, a gravité autour de l’Algérie qui bénéficie d’un équipement ancien, d’une frontière douanière privilégiée, des droits civiques métropolitains. Jusqu’à ces derniers temps, les autorités du Protectorat ont laissé ...


Dernière édition par Pierre AUBREE le Lun 30 Jan - 9:23, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 EmptyVen 27 Jan - 9:27

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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 12-la_11


... jouer cette attraction dans la mesure où elle les libérait de dépenses improductives. Cette situation a semblé se légaliser dans l’accord de juillet 1928 qui adoptait comme débouché méditerranéen le port algérien de Nemours relié à Oudjda par un chemin de fer à construire.
Que valent aujourd’hui ces trois raisons ?
Les deux premières sont entièrement retournées. On se dispute le privilège de l’évacuation des minerais. Les techniciens, consultés par le Protectorat, prétendant qu'il est plus pratique et moins onéreux de creuser les sable de Saïdia que d’aménager l’abri naturel étroit de Nemours. Or, la voie de Oudjda à Nemours, sera certainement inférieure à tous égards à une ligne Oudjda- Saïdia.
Mais l’Algérie a réclamé l’exécution de l’accord. Le gouvernement français, au début de cette année, a arbitré en sa faveur. En dehors des questions de majorité parlementaire, il a été influencé par des considérations nationales. Nemours fait partie du patrimoine territorial, tandis que sur Saïdia pèsent les servitudes du Protectorat: grave affaire si l’on considère que le rôle de ce port peut déborder très largement le territoire marocain. Ainsi, les travaux de la voie ferrée et du port de Nemours ont commencé.
Le problème du front méditerranéen du Maroc oriental est-il définitivement résolu ? Personne, sauf les propriétaires de terrains à Nemours, n’oserait l’affirmer. Les Espagnols rêvent d’attirer à Melilla, la plus grande partie du trafic de l’Oriental : en fait, les transactions normales par leur territoire se multiplient ; le jeu des taxes douanières et fiscales surexcite la contrebande. Cette concurrence affaiblit singulièrement les arguments d’ordre national en faveur de Nemours. D’aucuns s’inquiètent aussi du rôle que pourrait jouer Villa San Jurjo et de l’extension de son arrière-pays sur le versant sud de la chaîne rifaine.
Tout vrai Français, précisément parce qu’il éprouve en lui la toute-puissance du sentiment national, n’aime point qu’on en abuse à propos d'intérêts matériels, habiles à prendre le masque de l’intérêt général. Le patriotisme se contredit quand il aboutit à un véritable défaitisme économique.
Il est réconfortant de constater que l’égalité économique qui a stimulé le développement du Maroc, n’a nullement nui à nos intérêts. Stériliser pour mieux dominer n’est pas une formule de colonisation moderne. La crise actuelle qui paralyse la mise en valeur du Maroc oriental se prolongera certainement par une concurrence serrée entre tous les producteurs. S’il existe un moyen d’exportation qui diminue les charges pesant sur les minerais marocains, c’est celui-là qu’il faut employer. On parle d’utiliser la route de Guerbous, de créer un téléférique à Saïdia. L’avenir est obscur. L’incertitude de la bataille actuelle entre les transports par camions améliorés et par chemins de fer suffit à rendre vain tout pronostic.
La pénétration dans le Maroc saharien présente un aspect très particulier car ce troisième front n’est pas maritime, mais continental et fait face au désert. Si les leçons du passé encouragent le Maroc à envisager des liaisons lointaines par son front saharien, le problème pratique et actuel de la pénétration se pose tout différemment.
Dans l’état actuel, la pénétration au sud du Haut Atlas, se fait à la fois par l’ouest, c’est-à-dire le front atlantique, et par le nord, c’est-à-dire le front méditerranéen. Consultons encore la carte. Elle montre que ces deux voies divergentes peuvent se réclamer également d’avantages naturels. La plaine du Sous est l'arrière-pays immédiat d’Agadir. Elle se prolonge vers l’est, au sud du Haut-Atlas, par un sillon favorable à l’établissement d’une grande route automobile: le cuivre, le manganèse et le cobalt font même envisager une voie ferrée.
D’autre part, le Haut-Atlas, semble s’évanouir à l'est; entre les chaînons qui en marquent la continuité avec l’Atlas algérien, les passages sont nombreux et faciles. On étudie actuellement le prolongement de la ligne de Bou Arfa sur Aïn Chaïr et en direction du Tafilalet.
Le domaine de la dissidence, qui se réduit rapidement, sépare encore les zones d’attraction respectives de ces deux voies.

LES LIAISONS INTERIEURES ET EXTERIEURES. — Les voies de communication établies, en construction ou en projet, se ramènent donc toutes, ou presque toutes, à deux types: ou bien elles s’orientent vers l’Atlantique suivant un parallèle, ou bien elles sont méridiennes en direction du front méditerranéen. Taza mis à part, elles sont séparées et confessent comme un aveu d’impuissance en présence des obstacles atlastiques. Le schéma que nous en avons esquissé a donc pour effet de consacrer par l’œuvre des hommes la divergence naturelle des Trois Maroc.
C’est que dans les voies de pénétration d’un pays neuf ou rajeuni, les besoins immédiats, les intérêts économiques s’imposent impérieusement et les plient aux conditions naturelles qu’il est toujours onéreux de violenter. Mais l’établissement d’un réseau de voie de communication n’est pas un problème d’économie pure, de rendement immédiat. Des motifs de détermination différents, politiques si l’on veut, interviennent quand on envisage d’une part la coordination intérieure des voies de pénétration, d’autre part l’intégration de ce réseau national dans la circulation mondiale:
1° Entre le Maroc atlantique et le Maroc oriental, la nature indique un passage avec une force qui s’est imposée à toutes les techniques : c’est donc par le couloir de Taza que se fait la soudure entre leurs réseaux respectifs. On remarquera que la voie normale par Taza fut longtemps ajournée parce que son prix de revient semblait dépasser son intérêt économique. Abd el Krim a démontré qu’un gouvernement ne pouvait raisonner comme une firme commerciale. La ligne Fès-Oudjda est un heureux exemple de liaison.
Est-elle suffisante ? Un accident un peu grave à un ouvrage d’art peut ramener une longue période d’isolement. Une liaison entre la voie normale du Tadla et la ligne de Haute-Moulouya serait bien désirable. Elle a été étudiée. Elle se heurte à des difficultés techniques dont la solution serait très onéreuse. A défaut du chemin de fer, une route pour camions rendrait de grands services. La question a évolué avec une rapidité surprenante. Le général de Loustal n’a pas seulement réduit la dissidence avec le bonheur qui est la consécration des préparations méthodiques et de l’action impeccable. Les automobiles circulent dans ce pays montagneux aussitôt après l’occupation. Le Tizi n’Ait Ouirrah étant le seuil le moins élevé, le tracé le meilleur et le plus direct serait Tadla-Ksiba-Naour-Arbala-Moulouya. La Chambre de Commerce de Casablanca suit avec une juste attention cette possibilité d’étendre vers les mines de Haute-Moulouya, le rayon d’action du port. Elle est entrée en relations avec le Syndicat d’initiative de Midelt.
Si hardie qu’elle paraisse, la conception d’une grande ligne qui, suivant la base méridionale du Haut-Atlas, relierait le Sous au Tafilalet, ne paraît se heurter à aucun obstacle insurmontable. Sa valeur économique est subordonnée à la réalisation des grands espoirs miniers suscités par le Maroc saharien.
2° De telles lignes, complétées par le réseau de routes approprié, limiteraient les effets de la divergence des trois Maroc. Mais aucun pays ne peut plus aménager son réseau intérieur sans tenir compte des courants de circulation qui dépassent son territoire.
La forme et la position du Maroc limitent très strictement à cet égard ses possibilités. Enserré par l’Océan, la Méditerranée et le Désert, il semble au premier abord une impasse d’où on ne s’échappe qu’à l’est vers l’Algérie. C’est cette situation qui fait la valeur incomparable de la ligne du Sebou et du couloir de Taza, grande route des migrations humaines. Fès devient un nouvel anneau de la chaîne Tunis-Constantine-Alger-Oran, qui, tendue depuis les Syrtas, vient s’accrocher solidement à l’Océan. A sa valeur « impériale » cette grande ligne superpose pour certaines sections, des valeurs locales, débouché du Gharb sur l’Océan, base des voies de pénétration du Maroc oriental dont Oujda répartira le trafic vers le port méditerranéen choisi.
Mais la fonction géographique du Maroc est aujourd’hui entièrement renouvelée : voici que le détroit de Gibraltar apparaît, même au point de vue continental, non comme une limite, mais comme un passage, cependant que le Sahara va cesser aussi d’être une impasse. Le rôle essentiel du réseau marocain dans la circulation générale serait d’assurer la liaison entre le réseau européen et le Transaharien: c’est la carte qui dicte ce rôle quel que ...



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Tanger, pointe extrême du Maroc, sœur de Grenade et de Séville, sous le beau ciel
africain, qualifiée de « Souveraine » par Elisée Reclus, conserve tous ses litres à
cette souveraineté, du moins dans le domaine de l'esthétisme et du Tourisme...

TANGER: Panorama de la Ville, et la Côte

A gauche (en bas au premier plan) : le Consulat de France

====================================


... soit le tracé, quelle que soit la solution technique de la traversée du Sahara. Si cette solution était la route autocyclable, plus souple et plus aisément multipliable que le chemin de fer, le Maroc serait peut-être encore plus favorisé.
Par chemin de fer, le Maroc disposera toujours d'un raccord, grâce à la voie longitudinale de Fès-Oujda-Oran. Mais un itinéraire aussi détourné, surtout au cas où on n’adopterait pas l’élément déjà réalisé Oujda-Bou Arfa, lui ferait perdre le bénéfice de sa position privilégiée sur l’isthme de Gibraltar. La solution idéale, capable de résoudre en même temps le problème des trois Maroc serait une grande transversale qui, partant de Tanger- Meknès, irait rejoindre les oasis du sud-est à travers le Moyen- Atlas. Un tel obstacle l’ajourne indéfiniment, du moins sous la forme de la voie ferrée, et laisse ainsi à Oran, peut-être même à Casablanca, quelque possibilité de soutenir la concurrence avec Tanger.
La ligne méridienne de Nemours-Oujda-Bou Arfa, prolongée par Aïn Chaïr, vers Colomb-Béchar est, dans l’hypothèse d’un tracé par la Saoura, la solution la plus facile: elle fait d'Oujda le croisement de la grande artère nord-africaine est-ouest et du nord sud africain. Cette plaque tournante des chemins de fer marocain d’intérêt général ne favoriserait guère le Maroc atlantique. Malgré le détour imposé, Tanger, grâce à son privilège unique, conserverait sa puissance d’attraction pour les voyageurs. Mais Casablanca achève de devenir une position excentrique et d’être réduit à une fonction uniquement régionale.
Nous avons montré l’utilité, du point de vue strictement marocain d’une liaison plus méridionale que celle de Taza entre les voies de pénétration de l’Oriental et de l’Occidental. Elle est plus nette encore si on considère l’ensemble du réseau de la France africaine et l’intérêt qui s’attache à une bonne utilisation de notre grand port atlantique.
Le déséquilibre qui existait naguère entre le Maroc occidental et l'oriental, menace de réapparaître entre le Maroc du nord, traversé par un double courant de circulation générale et le Maroc du sud pourvu seulement de courtes antennes de pénétration. Il subsiste heureusement une chance, chaque jour plus précise, qui ne se lit point sur une simple carte hypsométrique : ce sont les possibilités minières des deux versants du Haut-Atlas. Les industries extractives peuvent compenser, pour le Maroc du sud, ses infériorités agricoles et légitimer les dépenses considérables nécessaires pour triompher des obstacles du relief.
J. CELERIER.


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Aux reflets de la Légende

Atlas et Noë - Hercule - Canaan - Jonas

par FRANÇOIS BERGER

La légende tourne et comme un phare, elle vient allumer l'une après l’autre les facettes de la très vieille histoire. Elle est la seule clarté qui nous guide dans ce qu’on appelle la nuit des temps. A sa faible lueur faisons un voyage fantaisiste dans le passé, et voyons si, aux sombres profondeurs nous pourrons encore, comme le triste Olympio, sentir palpiter un souvenir.

ATLAS ET NOE
Il était une fois deux grands rois qui régnaient à chaque bord de la Mer Intérieure, centre du Monde, l’un à l’Orient et l’autre à l’Occident, qui s’appelaient Noë et Atlas. Atlas avait des ennuis avec ses filles et Noë avec ses gens, mais tout marchait à peu près, lorsque survint le grand cataclysme. La terre habitée tout entière fut secouée dans ses fondements. Un détroit s’ouvrit entre la Mer Intérieure et celle que regarde le pays d’Atlas que nous appelons l’Atlantique et qui est le bout du monde; une partie de l’Espagne s’affaissa sous les eaux, dont il ne subsiste plus que les sommets qui sont les Baléares. La moitié du pays d’Atlas, de l’Atlantide, s’abima pareillement et il n’en reste que les pics les plus élevés, émergeant encore des flots aux Canaries et à Madère. Quant au pays de Noë, il disparut entièrement, sauf les têtes des montagnes qui sont l’Archipel.
Noë, dans ces tristes circonstances, construisit des bateaux — et c’étaient peut-être les premiers, puisqu’on nous dit qu’ils étaient d’inspiration divine — et se tira d'affaire, en flottant, lui, sa famille et tout le bétail qu’il avait pu emporter.
Atlas, qui avait de hautes montagnes dans son pays, se réfugia sur leur sommet, et craignant dans ce bouleversement général que le ciel lui-même vint à tomber ce qui aurait été manifestement la fin de tout, comme il était très fort, il le soutint sur ses épaules jusqu'à ce que ça allât un peu mieux.
Noë cependant finit par trouver la terre ferme, une terre où poussait l’olivier. Il s’y établit avec ses trois fils, Sem, Cham et Japhet, et y planta la vigne. Puis, après s’être saoulé, il mourut, non sans avoir prédit bien des malheurs non à son fils Cham, bien qu’il se fût moqué de lui, parce qu’il était couvert par la bénédiction divine, mais à son petit-fils Chanaan, qui en était exempt et qui pourtant n’avait pas ri.
Les trois fils alors se répandirent dans le monde. Sem, le nomade, erra dans les steppes de l’Arabie ; Cham resta tranquille à l’ombre de sa vigne et de son olivier ; Japhet occupa les rivages et les îles de la mer.
Il y apporta d’abord la vigne et l’olivier, présents du Dieu marin, nous dit la légende, c'est-à-dire produits venus d’outre-mer.
Il y apportait aussi sans doute, l’invention du père Noë : les bateaux, et bientôt, cette race audacieuse, au cœur bardé d’un triple airain, se mit à voyager.

HERCULE
Le plus grand de ces voyageurs s’appelait Hercule. Il partit des îles de la mer, avec ses compagnons, et s’avança vers l’Ouest, jusqu’à ce qu’il rencontrât l’Océan qui lui interdisait d’aller plus loin. Alors, il en longea les rivages et descendit vers le Maroc — pardon — le pays d’Atlas, qu'il visita, moitié explorateur, moitié conquérant comme ils le sont tous, de nos jours encore. Et il en revint — ou du moins ses compagnons, car il y avait perdu la vie — racontant mille histoires sur ces régions inconnues. Ces rapports ne sont pas dépourvus de gloriole, c’est ainsi que les Baléares, d'après le récit de ses compagnons, seraient les trois corps du géant Géryon que le héros vainquit à la lutte et jeta à la mer. C’est ainsi que le détroit de Gibraltar aurait été ouvert par la force de ses jarrets, écartant les monts Calpé et Abyla qu’on appela les colonnes d’Hercule.
Mais ce qui nous intéresse, c’est qu’il est allé au Maroc et qu’il y a vu toutes sortes de choses qui devaient être des nouveautés à cette époque pour les gens « des îles de la mer ». Il était en pays du soleil couchant, du Moghreb, comme disent les arabes, chez les Enfants du Soir que les Grecs avec lui appelaient Hespérides, et que les restes autochtones des Atlantes dans l’Atlas, nomment encore aujourd’hui : « Aït ou Malou », les fils de l’ombre.
Chez ces Hespérides, il y avait une chose étonnante, qui était des jardins, et des jardins irrigués. Irrigués, oui, par des seguias : songez aux écuries d’Augias dont le nettoyage fut un de ses douze grands travaux. Comment l’accomplit-il ? Il détourna le ruisseau de son cours et le fit, par un canal, traverser les écuries qu’il nettoya. C'était la seguia.




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Et dans ces jardins poussait un arbre et mûrissaient des fruits inconnus jusqu’alors, qui étaient les « pommes d’or ». Oranges? Grenades ? L’un ou l’autre. Il voulait en rapporter dans son pays, mais se heurta alors à des difficultés, car les Atlantes de l’époque voulaient en garder le monopole, tout comme leurs descendants d’aujourd’hui, aux Canaries, gardent le monopole de la banane. Pour s’en emparer, il eut de rudes combats à soutenir.
Il y avait dans le pays des guerriers montant à cheval, chose encore jamais vue, qu’il appela des centaures, et puis il y avait des bêtes étranges, crocodiles dans les marais, éléphants au fond des forêts qui couvraient le pays entier : Hérodote, qui était un homme sérieux, le rapporte encore au quatrième siècle avant notre ère. Hercule renversa tous ces obstacles : le cavalier qui était le Centaure, le crocodile qui était l’hydre et l’éléphant qui était le dragon; il s’empara des pommes d’or. Et il allait rentrer triomphant dans son pays, mais il avait compté sans les femmes.
Les femmes du Maroc y ont tenu jadis une grande place, et alors que la légende de Noë ne nous parle que de ses fils, la légende d’Atlas ne nous entretient que de ses filles.
Atlas avait trois filles d’un premier lit, qu’on appelle les Hyades. En ce temps-là, les dieux circulaient sur la terre et elles accueillirent Bacchus qui les venait voir. Bacchus, c’est le vin qu’Hercule sans doute apportait au pays où fleurit l’oranger. Mais, au cours d’une partie de chasse, leur frère ayant été tué, elles périrent de douleur. Le maître de l’Olympe les changea en étoiles, et nous les voyons tous les soirs, — tristes Hyadas — annonçant la saison des pluies quand elles passent dans le signe du taureau et sous son œil sanglant que les mages appellent Aldébaran.
Leurs sœurs ne furent pas plus heureuses, les filles de la reine Pleïone qui moururent du tourment d’amour, Alcyone, Electra, Maïa, Taygite, Mérope, j’en oublie, elles étaient sept. Jupiter leur fit la grâce aussi de les changer en étoiles, c’est elles que nous voyons de l’autre côté du Taureau, entre Aldebaran et Bételgense, et que nous appelons les Pléïades, sept étoiles pures comme des larmes, et clignotantes comme des souvenirs très anciens et très doux.
Si les femmes étaient sensibles, elles étaient aussi jalouses et se servaient déjà de poisons et philtres secrets, comme nous leur voyons faire encore aujourd’hui, pour s’assurer la fidélité d’un homme aimé : le pauvre Hercule en sût quelque chose avec la tunique de Nessus, cadeau d’une amante irritée qui la tenait d’un amoureux évincé, dont les souffrances qu’il en endurait furent telles que, rentrant par l’Espagne, comme un Résident Général, il préféra y finir ses jours sur un bûcher que de souffrir davantage.
Toutes ces petites histoires ont un intérêt, celui de montrer la pénétration et les échanges des deux civilisations méditerranéennes antiques, on serait tenté de dire : préhistoriques, mais ce n’est pas si vieux que cela, celle de la Grèce et celle des Atlantes du Maroc.

CANAAN
Lorsque les fils de Sem en eurent assez d’être des nomades des « Hibirou » ils résolurent d’aller s’établir chez les peuples dont les demeures et les cultures bordaient leurs vastes territoires et parcours. Ayant eu, en Egypte, le fâcheux succès que l’on connaît, ils se tournèrent vers le pays de Canaan qu’ils envahirent.
Des fils de Canaan les uns furent tués à la bataille, les autres s’enfuirent vers les rivages de la mer, au pays de Tyr, les derniers se marièrent avec les Hébreux, d’où sortit le Peuple d’Israël.
Mais ceux qui s’étaient réfugiés à Tyr étaient sans doute nombreux et gênants, aussi fut-il décidé de les envoyer coloniser. On les expédia au poste le plus avancé, vers l’embouchure du Guadalquivir à Cadix, qui était le bout du monde, pour, de là, longer les côtes et y chercher des lieux où ils trouveraient leur vie. C’était d’ailleurs l’itinéraire commun. C’est là que Jonas fuyait de devant l’Eternel, c’est là que se dirigeait Hannon avant de faire son périple.
Où ces braves Cananéens allèrent-ils ensuite ?
Une légende se raconte encore à Safi et à Marrakech, dans les milieux israélites, qui est connue de plusieurs Musulmans lettrés et dont il existe même, paraît-il, un texte écrit.
Un jour ancien, deux frères s’étant battus dans un pays très lointain, le plus jeune, qui fut vaincu, fut jeté, les yeux bandés, au fond d’une felouque, et livré au caprice des flots. Il vogua ainsi longtemps, longtemps, jusqu’à ce qu’enfin la felouque fut jetée à la côte. Il sauta aussitôt à terre, arracha son bandeau, et s’écria : « Safi ». Cet homme s’appelait Canaan.
La fable est transparente. Ce qu’elle a de curieux est ce nom de Safi qui existe encore et dont on n’a pu retrouver l’étymologie dans les langues du pays, alors que Safi était, à l’époque de l’invasion des Hébreux, le principal sanctuaire du pays de Canaan. Les autres s’appelaient Maguiddo, — qui fait songer à Mogador — Guicer, que nous retrouvons près de Settat, et Gh’mat — qui fut au pied de l’Atlas, la capitale du royaume du Sud, royaume juif, nous dit Ibn Khaldoun, jusqu’à la fondation de Marrakech.

JONAS
La légende de Jonas est, du point de vue marocain, étroitement apparentée à celle de Canaan.
On sait, par le livre des prophètes, que Jonas ayant reçu l’ordre divin d’aller prêcher les gens de Nurire, fut saisi d’une telle peur, qu’il courut s’embarquer à Tyr sur un bateau qui partait pour Tarsis — ou Cadix — qui était le bout du monde, et où il serait tellement loin, que l'œil de l’Eternel ne le distinguerait plus. Arrive la tempête et que, pour l’apaiser, comme cela s’est fait plusieurs fois depuis, on décida de jeter le Juif à la mer. Le capitaine ne trouvait aucun mal en lui, mais, comme Ponce-Pilate, il s’inclina devant le soviet du bateau et Jonas fut précipité.
Avalé par un gros poisson, il demeura trois jours dans son ventre, après quoi, le monstre, réellement incommodé, le vomit sur la grève.
Or, la légende marocaine, qui a cours dans le Sous, veut que Jonas ait été vomi à Agadir, ou du moins vers l’embouchure du Souss. On dit — je ne l’ai pas vu — que sa mémoire y est encore vénérée dans un marabout au bord de la mer, tout orné de coquillages marins.
La parenté entre les deux légendes marocaines, celle de Jonas et celle de Canaan est, on le voit, étroite. C’est toujours l’image d’un navigateur venu d’Orient, ayant navigué à l’aveugle pendant des jours, et prenant terre et établissement sur la côte marocaine: l’un à Safi, l’autre à Agadir.
L’émigration de Canaan est du XIIe siècle, environ: Cadix alors était fondée. Le livre de Jonas est du VIIe siècle, ce qui ne veut pas dire que les événements qu’il figure ne soient pas plus anciens. Mais, au IVe siècle où va se porter Hannon après avoir fait le plein à Cadix ? Directement aux deux postes établis où vivaient des gens de sa race et dont il comprenait la langue : à Safi et à Agadir.
★ ★ ★
La légende tourne et, comme un phare, elle vient allumer l’une après l'autre les facettes de la très vieille histoire. Elle est la seule clarté qui nous guide dans ce qu’on appelle la nuit des temps.
A sa faible lueur, nous avons fait un voyage fantaisiste dans le passé. Avons-nous encore, aux sombres profondeurs, comme le triste Olympio, senti palpiter un souvenir ?
François BERGER.


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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 16-la_10

- Lehoux, recordman de vitesse sur route.
- Czaikowski, Vainqueur du dernier Grand Prix.

- Autrefois. Hier. Aujourd'hui.

LE SPORT AUTOMOBILE MAROCAIN ET SON AVENIR

Au Maroc, pays récemment accessible aux manifestations de la civilisation contemporaine, le sport automobile a déjà son passé, son histoire. 1907... 1913 ! Moins de six années séparent la première compétition automobile marocaine du débarquement des troupes françaises sur une terre vierge de voies de communication. Depuis, et en dépit de quatre années de guerre qui ont suspendu toute initiative, les épreuves se sont multipliées : circuit routier d’abord épique, ensuite touristique, puis sportif, dont l'itinéraire, après avoir souligné de son tracé l’ extension de la zone pacifiée, s’est fixé sur un triangle de routes incomparable par son étendue et la qualité de son sol; concours de carburant; Coupe Casablanca-Tunis ; course de côte ; rallyes divers ; petit circuit réalisé d’abord avec les seules ressources locales, puis repris quelques années après pour devenir aussitôt une grande manifestation internationale. La meilleure part de ces initiatives revient à l’Automobile-Club Marocain, qui compte, depuis son origine, parmi ses membres dirigeants, d’ardents protagonistes du sport automobile.
Le succès n’est pas le seul fruit de ce passé, il en est un autre plus précieux encore : l’expérience. C’est à la lumière de cette expérience qu’il faut envisager l’avenir pour mieux diriger nos efforts et assurer la réussite et la vitalité des entreprises futures.
On peut considérer les manifestations marocaines du sport automobile, au point de vue de leur retentissement. Les unes ont une portée universelle, les autres n’ont qu’un intérêt seulement local; notre attention ira d’abord aux premières, parce qu’elles sont évidemment plus importantes et qu’elles contribuent pour une part estimable à la renommée du Protectorat.
Pour qu’une compétition réalisée au Maroc appelle les égards des milieux sportifs internationaux et du grand public, il faut qu’elle soit ou bien originale et spécifiquement marocaine, ou bien conçue suivant une formule courante, mais dotée de moyens importants.
L’étendue de notre réseau routier, la perfection de son sol, la faible densité des agglomérations autorisent des épreuves de vitesse sur route disputées sur un itinéraire vaste et dans des conditions de sécurité exceptionnelles. Le circuit routier, tel qu’il a été réalisé à plusieurs reprises avec un succès croissant, est bien l’épreuve marocaine par excellence, parce que nulle part ailleurs il ne peut espérer une telle ampleur et des circonstances aussi favorables. Son organisation offre cependant une difficulté d’ordre financier : elle ne permet d’attendre aucun bénéfice du spectacle offert au public et les frais engagés pour l’aménagement de l’épreuve et sa dotation n’ont pas de contrepartie dans une recette escomptée. Le Grand Prix routier du Maroc exige pour sa préparation des contributions importantes. Les circonstances présentes, contraires à la prospérité générale, en tarissant les ressources possibles, n’ont pas permis depuis deux ans, l’organisation d’une compétition dont l’avenir paraissait cependant assuré.
Les soucis de la crise actuelle ne doivent pas simplement inspirer le renoncement à toutes les entreposes onéreuses dont le profit ne semble pas évident ou immédiat. Une telle conception nous vaudrait une situation plus grave dont l’issue serait encore plus lointaine. Il nous paraît mieux désirable de juger l’opportunité des sacrifices à consentir au regard de leur effectif intérêt. Le Maroc, pays du tourisme et de l’automobile, consacre chaque année certaines sommes à sa propagande à travers le monde ; ceux qui disposent de ces crédits sont juges de l’opportunité des dépenses à engager, des appuis à accorder. Le Grand Prix du Maroc se présente à eux avec, d’une part le retentissement des performances routières dont il est l’occasion, la renommée dont notre pays peut bénéficier, l’afflux croissant de visiteurs provoqué par la manifestation, et, d’autre part, la contribution nécessaire pour sa réalisation. Il ne nous paraît pas impossible que nous puissions , une année prochaine, bénéficier d’une décision favorable qui permettra à notre Grand Circuit de renaître.
L’épreuve de vitesse sur circuit fermé, semblable à celle qui s’est disputée cette année et que nous reverrons l’an prochain, doit toute son importance, tout son attrait, aux participations dont elle est assurée. Pour qu'elle puisse présenter au départ de nombreux pilotes de valeur, de gros sacrifices sont également nécessaires mais le goût très vif que le public marocain a témoigné pour ces compétitions assure aux organisateurs des recettes qui, jointes à de plus modestes contributions, leur permettent de mieux équilibrer leur budget.
Lorsque les circonstances que nous avons précédemment exposées permettront d’envisager à nouveau la réalisation du Grand Circuit routier, il n’est pas impossible que le petit circuit apparaisse l’heureux complément de la grande course, les deux manifestations, disputées à quelques jours d’intervalle, formant une double épreuve qui pourrait être viable et qui jouirait d’une extraordinaire renommée.
Nous ne savons s’il faut considérer comme une simple organisation d’intérêt local cette Coupe qui doit mettre prochainement aux prises des voitures de tourisme sur un long parcours routier. Il nous paraît que, si cette compétition est très sérieusement contrôlée et bien réussie, l’écho des performances accomplies dépassera les limites de nos frontières et sera largement diffusé par les constructeurs.
Quant aux épreuves locales, la multiplication des sections régionales de l’Automobile-Club Marocain favorisera sans doute leur nombre ainsi que leur régularité. Elles pourront prendre des aspect variés, chaque groupe d’organisateurs se spécialisant. La course de côte, le kilomètre lancé et les compétitions similaires nous paraissent pouvoir donner lieu à d’excellentes manifestations. Les rallyes, par contre, sont assez délicats à réaliser dans des conditions satisfaisantes et nous leur préférons de beaucoup de simples promenades touristiques, tout en invitant ceux qui auront la charge de les préparer à ne pas témoigner d’une excessive discrétion publicitaire assez fréquente dans nos pays et qui ne peut être que préjudiciable à leurs entreprises.
Jean LETELLIER.


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L’ESSOR DES AILES CIVILES DANS LE CIEL MAROCAIN

par JEAN WILMS

On se doutait bien un peu déjà depuis longtemps, que des avions, assurés de trouver 300 jours par an, au-dessus de leurs plans, un ciel sans nuages et sous leur train d’atterrissage un aérodrome presque sans limites, seraient tout naturellement des familiers du ciel marocain.
Cette météorologie et cette topographie bienveillantes ne furent cependant pas les seuls atouts que l’aviation civile réunit dans sa main quand elle jeta son dévolu sur la carte moghrébine. Terre de passage, d’abord, de survol facile et d’escale hospitalière, sinon confortable, le Maroc se devait de devenir le nid d’élection de tous ceux qui, nomades ou sédentaires, se sentaient attirés par ce coin d’Islam, si varié d’aspect, si riche encore de promesses imprécises, si proche, aussi, de l’Europe méridionale, dont ne la sépare plus qu’un Détroit de Gibraltar, déchu, grâce aux chemins de l’Air, de sa souveraineté terrestre et maritime.
Le caractère hardi, téméraire, assoiffé de réalisations immédiates, des habitants devait faire le reste et il n’y a plus aujourd’hui, que des ignorants ou des timorés pour s'étonner du foudroyant essor qu’ont pris les ailes françaises dans le ciel marocain.
Nos hommes d’affaires avaient déjà, dans leur ardent élan, trouvé le moyen de rouler ici en automobile, dès 1912, bien avant que ne fussent tracées et construites les belles routes que nous connaissons aujourd'hui. N’est-ce point, de leur part, faire preuve du même esprit de logique, du même fiévreux désir de progrès, que d’avoir, avant tant d’autres, adopté le mode de locomotion le plus moderne, le plus rapide, le plus sûr ?
Alors que, dans les métropoles, l'aviation civile semble demeurer le privilège des anciens militaires, formés à la rude école de la guerre ou même seulement instruits dans les centres pacifiques des garnisons de l’intérieur, elle s’affirme chaque jour davantage au Maroc, l'apanage d'une jeune génération, friande d’activité féconde plutôt que de retentissants exploits sportifs, et pour laquelle les pilotes de 1914-1918, sont des moniteurs précieux et complaisants. C’est autour de ces héros modestes que se sont groupés d’abord les hésitants et les néophytes dont une sage et progressive éducation ne devait pas tarder à faire des disciples qui, demain, dépasseront leurs maîtres.
L’Aéro-Club du Maroc, l’Amicale des Anciens Pilotes, qui devait, à la suite d’une heureuse évolution, devenir le Club florissant des Ailes Marocaines, ont leur part de mérite dans l’œuvre accomplie à laquelle les Pouvoirs Publics, les Municipalités, les Chambres de Commerce, désormais mieux éclairés, ne peuvent manquer d’apporter, dans un proche délai, leur collaboration effective.
C’est à dessein que la participation de l’Etat français, n’a pas été mentionnée dans le palmarès des bons artisans de la cause de l’Air au Maroc. Cet effort du Ministère de l’Air est si important, si capital qu’il a droit ici à une place spéciale, à une place d’honneur. A l’inverse de ce qui se passe dans tant d’autres domaines, le citoyen français du Maroc n’est pas diminué à l’égard de ses compatriotes de la Métropole et, dans les avantages que le Gouvernement accorde aux aviateurs civils, il n’y a pas de différence de traitement entre ceux qui habitent la France et ceux qui se sont fixés aux colonies ou dans les pays de Protectorat.
Les mêmes avantages d’achat, les mêmes primes de vol, les mêmes indemnités sont accordées aux aviateurs de Casablanca, de Fez ou de Marrakech qu’à ceux de Villacoublay, de Bron ou de Clermont-Ferrand. Le Parlement français, au sein duquel, plus souvent qu’on ne le veut reconnaître, le bons sens triomphe de l’esprit étroit de parti, a bien compris que la cause de l’aviation — sans qualificatif — était d’intérêt national. Au point où en est arrivée la politique mondiale, la guerre économique n’apparaît guère moins meurtrière que la guerre militaire et la rapidité des courriers, pour n’envisager qu’un des côtés du problème, n’est pas moins impérieusement nécessaire en temps de paix que la sécurité des ravitaillements en temps de guerre.
Grâce, donc, à la contribution financière de l’Etat, l'achat d'un avion du modèle courant — biplace de 100 CV — n’exige pas plus de capitaux que l’acquisition d’une automobile. C’est, pour l’amateur, une dépense de l’ordre de 30 à 35 mille francs.
En faut-il conclure que l’usage de l’avion au Maroc est, d’une façon générale, plus économique que l’usage de la voiture ?
— Non, et ce serait même une erreur coupable que de répandre cette opinion.
La locomotion aérienne présente, en elle-même, assez d’avantages pour qu’on ne la pare pas de mérites usurpés. Nous n’en sommes déjà plus, et c’est tant mieux, à cette période de propagande qui pouvait innocenter, sur certains points, une légère déformation de la vérité.
Il importe, au contraire, de mettre en garde les néophytes contre le mirage d’une aviation simplifiée, économique, mise à la portée de toutes les bourses. S’il est vrai que n’importe qui, après quelques heures de leçons en double commande, pourra décoller, virer et atterrir seul, ce serait mal servir la cause des ailes que d’affirmer que, dans l’état actuel du problème, l’avion peut intégralement et totalement remplacer l’automobile du livreur ou du représentant de commerce. Ce n’est pas faire de la contre-propagande que de mettre en garde le public contre ces faits de stricte observation : on n’atterrit pas encore devant sa porte ni sur la terrasse de sa maison ; les terrains d’aviation, dont la superficie se calcule en hectares, ne se trouvent pas au centre des villes ; l’automobile restera, pendant de longues années encore sans doute, le complément indispensable de l’avion.
Le but que poursuivent les vrais amis de l’aviation, ce n’est pas d’encombrer les hangars d’appareils que les propriétaires ne sont pas ou ne sont plus assez riches pour faire sortir. On sait, au Maroc, en particulier, qu’il n’est pas d’intérêt général ni personnel de vendre des autos à des gens qui n’ont pas assez de disponibilités pour acheter l’indispensable carburant.
Ces considérations d’ordre pratique, d’ordre cruellement pratique, ne sont pas faites, on s’en rend compte, pour entraver le magnifique essor des Ailes au Maroc, mais pour jeter simplement une saine lumière sur une des branches les plus précieuses de l’activité française en ce pays.
La prospérité n’est qu’une évolution continue. Elle va d’autant plus vite que sa progression s’exerce toujours dans le même sens, sans à-coups, sans retour en arrière après les élans fougueux.
Jean WILMS


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- Pavillon du Roy du Maroc

Pavillons et Corsaires du Maroc

Dans un vieux livre, devenu rare aujourd’hui : La Connaissance des pavillons ou bannières que la plupart des Nations arborent en mer, imprimé en 1734 à La Haye, et dont nous possédons un exemplaire relié, figure la représentation de pavillons maritimes intéressant le Maroc. L’ouvrage se présente sous la forme d’un album de 90 planches, dont les dernières sont consacrées aux pavillons des Etats Barbaresques, parmi lesquels un du « Roy du Maroc » et trois de Salé en Barbarie, que nous reproduisons ici. Pour commenter ces curieuses images, nous ne pensons pas mieux faire que de reporter les descriptions qu’en donne la préface de l’album de La Haye :
« Pavillon du Roi de Maroc. Il est rouge, et bordé de pointes « rouges et blanches, chargé au milieu de ciseaux ouverts, à deux branches et à deux taillants, dont les pointes sont en dehors. »
« Pavillon de Salé en Barbarie. Il est de trois bandes, qui se « terminent en pointe, jaune, blanche, rouge et la blanche, qui est au milieu, chargée de trois Croissants rangés de suite et dont les pointes sont en dehors ».
« Autre pavillon de Salé. Il est rouge, chargé d’un croissant d’or, dont les deux pointes sont en dehors, et l’entre-deux forme de visage ou de demi-lune, aussi d’or, et en dehors ».
« Pavillon de Salé. Il est vert, chargé d’une Epée à deux lames montées sur une poignée d’or ».
En 1737, date de la publication de la Connaissance des Pavillons ou Bannières..., le Sultan du Maroc était le chérif Moulay Abdallah, fils et second successeur de Moulay Ismaël, le célèbre contemporain de Louis XIV ; sa principale préoccupation était de défendre son trône contre les intrigues de ses frères. L’unique marine maghrébine était alors celle armée par les gens de Salé et ceux de Tétouan, et, vu l’instabilité du souverain et surtout le caractère turbulent et indépendant de ces deux citées, à la fois commerçantes et corsaires, il n’est pas étonnant de voir, à cette époque, leurs pavillons flotter sur les mers et non le pavillon impérial. Salé avait même formé avec Rabat, quelques lustres auparavant, une sorte d’Etat libre, la République des Deux-Rives, et il avait fallu la brutale fermeté de Moulay Ismaïl pour arracher les deux villes à l’influence religieuse et politique du marabout de Dila.
Ces reproductions de drapeaux disparus évoquent le souvenir d’un état politique et social dont le contraste avec l’état actuel est d’autant plus violent qu’il n’en subsiste aujourd’hui aucun vestige. Le décor, certes, au milieu duquel évoluait cet état a été bien transformé surtout depuis l’occupation française ; mais on perçoit toujours les différentes phases de cette transformation, on suit aisément, dans un cadre général presque inchangé, la transition entre le passé et le présent. Il n’en est pas de même du fait historique suivant : il n’y a pas encore beaucoup plus d’un siècle, l’embouchure du Bou Regreg était le foyer d’une population de marins entreprenants, aventureux qui s’étaient par leur audace et leur férocité rendus redoutables aux navigateurs européens et aux populations chrétiennes des bords de l’Océan et de la Méditerranée occidentale; et aujourd’hui il ne reste, dans les milieux indigènes, nulle trace de celte race de hardis corsaires. Les paisibles lettrés et les boutiquiers des deux villes sœurs, les bateliers qui font concurrence au bac à vapeur pour la traversée du Bou Regreg entre Rabat et Salé, pas plus que les barcassiers qui traversent la barre pour procéder au déchargement des navires en rade, n’ont rien de commun avec les terribles écumeurs de mer des XVIIe et XVIIIe siècles dont ils ne sont aucunement les descendants.
L’activité maritime de Salé, n’a, en effet, été qu’un phénomène passager et ne pouvait être qu’éphémère. Il fut provoqué par la venue et l'implantation dans le pays d’une population étrangère, les Maures chassés d’Espagne au début du XVIIe siècle et il ne pouvait être durable parce que la population autochtone n’avait et n’a toujours pas le goût des choses de la mer. On connaît l’aversion, la crainte instinctive que les populations berbères éprouvent pour la mer. L’Océan est un génie mystérieux, malfaisant, dangereux, un « Sultan » qu’il ne faut pas provoquer et qui ne saurait supporter même la présence de cet autre sultan, le souverain du Maroc. Croyance qui, il y a quelques années, faisait douter les gens du peuple de la possibilité du voyage en France du jeune sultan actuel.
Ce sont donc les Andalous ou les Moriscos comme on appela également les Maures d’Espagne chassés définitivement du Sud de la péninsule en 1610 par le fanatisme intolérant de Philippe- III, qui firent de l’embouchure du Bou Regreg, ce nid de corsaires, dont la tragique renommée se répandit pendant près de deux siècles dans toute la chrétienté. Ils s’établirent dans la Kasbah des Oudayas ou à côté de celle-ci, créant une ville nouvelle qui devint la médina actuelle sur une partie de l’emplacement occupé antérieurement par le ribat, — le Ribath el Fath de Yacoub el Mansour, — le camp-frontière que protégeaient les remparts almohades et où s’assemblaient les troupes destinées à la guerre sainte en Espagne et les défenseurs de la terre d’Islam contre les Portugais et les Espagnols. A l’abri des hautes murailles et de la falaise de la Kasbah, leurs vaisseaux, — fustes et chébecs, — pouvaient débarquer leurs prises et les équipages capturés destinés à l’esclavage; leurs chantiers de construction et de réparation étaient, d’après le sieur Mouëtte, situés au pied de la falaise de rive gauche que domine la Tour Hassan.
On voit ainsi que les corsaires du Bou Regreg, Moriscos venus d’Andalousie, habitaient Rabat et non Salé. S’ils ont donné une triste célébrité à ce dernier nom, — on dit les Corsaires de Salé, — c’est que, au XVIIe et au XVIIIe siècles Rabat, dont la médina venait d’être réédifiée par les nouveaux venus, avait reçu le nom de Sla Jdid,


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... — Salé le Neuf, — et que le nom de Salé le Vieil, — Sla Qdim, — désignait la ville de la rive droite. En Europe on ne connaissait donc que le nom de Salé. Il faut reconnaître cependant, que Salé même, aux époques antérieures, arma sous les Almohades et les Mérénides, quelques navires de guerre. Un arsenal maritime y fut même créé, à la fin du XIIIe siècle, par le Mérénide Abou Youssef Yakoub ; cet arsenal occupait l’emplacement du Mellah actuel, — les Juifs habitaient alors le quartier Hossein, immédiatement au Nord de Bab bou Haja, — et sa porte monumentale, que franchissaient les navires de guerre pour y pénétrer ou en sortir, existe encore : c’est Bab Mellah ou Bab Mrisa, la porte du Petit Port, nom qui rappelle son ancienne destination. Mais au XVIIe siècle, l’arsenal ne servait déjà plus, il était en partie comblé, ainsi que le canal qui y donnait accès.
Pendant près de deux siècles, comme nous l’avons dit, les corsaires salétins écumèrent la surface de l’Océan. Entreprise d’abord par les Moriscos, dans un but de vengeance contre leurs persécuteurs espagnols, la course se transforma bientôt en piraterie dont le but principal devint le pillage et la capture d’esclaves, surtout lorsque les vaisseaux corsaires furent conduits et manœuvrés par les nombreux renégats de toutes nations qui se substituèrent bientôt aux Maures d’origine. Les démonstrations navales, les bombardements de Salé, — telle l’expédition anglaise de 1637, telles les expéditions du chevalier de Razilly en 1629, du vice-amiral d’Estrées en 1670, de Château-Renaud en 1681 et en 1698, pour ne citer que les plus célèbres, — demeurèrent sans effet durable devant la hardiesse des corsaires qui, ne se contentant pas de croiser aux abords du détroit de Gibraltar et devant les côtes du Portugal, se montraient à hauteur de la Bretagne et même du Havre ; le Père François d’Angers, ainsi que le rapporte le comte H. de Castries, raconte que des corsaires marocains s’avancèrent jusqu’à Terre-Neuve.
On est étonné d’une telle audace et du résultat négatif obtenu dans la répression de la piraterie, lorsqu’on connaît la faiblesse relative de la flotte corsaire de Salé. Si au début, vers 1635, cette flotte put s’élever à une quarantaine de bâtiments, d’après les indications qu’on trouve dans la relation du capitaine Pallot, qui commandait la flotte amenant à Salé l’ambassade de de Razilly en 1630, et dans la relation de Jean-Armand Mustapha, compagnon de de Razilly, cet effectif diminua rapidement et il semble bien que à partir de 1650, les forces salétines ne s’élevèrent jamais à plus d’une quinzaine de vaisseaux. Ainsi, en 1672, le consul Prat faisait connaître que les Salétins possédaient douze bâtiments. Et en 1698 le raïs Abdallah ben Aïcha, chef corsaire et grand amiral de Salé, — le Benache de la fameuse ambassade envoyée à Louis XIV par Moulay Ismaïl, — « ne commandait, dit M. Masson, que misérables bâtiments, sans compter celui qu’il possédait ».
Plusieurs raisons expliquent la carence des Etats chrétiens dans la répression de la piraterie barbaresque. Tout d’abord, malgré leur hardiesse, les corsaires ne s’attaquaient qu’à des adversaires dont ils avaient au préalable reconnu la faiblesse, reconnaissance qui leur était facilitée par la présence parmi eux des renégats, connaissant la langue des équipages des vaisseaux rencontrés. En outre, pour surprendre plus aisément les navires qu’ils voulaient aborder, ils n’hésitaient pas à changer de pavillon, à montrer par exemple les couleurs d’Alger lorsqu’ils soupçonnaient que ces navires appartenaient à une nation en paix avec cette république ; ils opéraient d'ailleurs quelquefois de même lorsque se présentait une proie bien tentante propriété d’une nation liée par un traité avec Salé ou l’empereur du Maroc, afin d’éviter les suites diplomatiques désagréables qu’aurait entraînées cette violation du traité. Les corsaires n'attaquaient donc qu’à coup sûr et en courant le moins de risques possible ; et lorsqu’une rencontre avec des vaisseaux de guerre était inévitable, leurs navires bas et légers, munis de rangées de rames qui suppléaient au manque de vent par temps calme, pouvaient par leurs évolutions rapides échapper aux vaisseaux de haut bord et aux frégates. Mais la principale raison de l'échec des mesures répressives tentées aux XVIIe et XVIIIe siècles contre les corsaires de Salé fut le défaut de solidarité, disons plus, la rivalité commerciale et politique des puissances européennes ; d'autant plus que, abrités derrière la fonction diplomatique de la responsabilité du sultan dont en fait ils ne subissaient guère l’autorité, les corsaires se riaient de toute sanction.
Aussi la cause immédiate du déclin de la course salétine dans la dernière moitié du XVIIIe siècle ne doit pas être recherchée dans une action efficace des marines chrétiennes, on la trouve, d’une manière indirecte, dans la politique des souverains marocains eux- mêmes. Le Sultan Mohammed ben Abdallah, voulant créer une marine impériale de course contre les infidèles, réussit à retirer aux corsaires de Salé, la plus grande partie des prises qu’ils faisaient en mer : il fonda même Mogador dans le but d’y créer un centre maritime au détriment de Salé. Or, nous l’avons vu, les corsaires de Salé, pirates établis à côté de la population indigène, n’avaient de raison d’être, depuis longtemps déjà, que par les bénéfices qu’ils retiraient de leurs expéditions contre les navires chrétiens. Ces bénéfices leur étant enlevés par un maghzen devenu assez puissant pour s’imposer, ils disparurent ; et avec eux les véritables marins moghrebins ; car, vers 1785, le même sultan, ne pouvant recruter sur place les équipages nécessaires à sa nouvelle flotte devait enrôler un millier d’Abid du Tafilalet et de gens des Ait Atta, qu’on fut obligé de licencier peu après. Telle fut la fin de la piraterie salétine.
Cdt F. GENDRE.



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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 20-la_11

UNE PAGE DE MUSIQUE

Aussi bien, puisque les petits cierges blancs, roses ou verts de nos sapins de Noël restent symbole des âges vieux, laissons errer notre pensée — durant la lueur fugitive des flammes légères et parfumées... un peu vacillantes — vers les temps lointains, à jamais révolus.
Alors ce sera sur la musique ancienne et sur les instruments anciens, dont le récent concert de la Société Casadesus nous a donné une merveilleuse présentation, que je vous entretiendrai — oh ! pas longtemps — en ce soir de réveillon moderne...
Remonter à l’origine de la musique, c’est remonter aux jours de la création. En effet, qu’est-ce que la musique, sinon de l’harmonie dans le rythme ? Et l’harmonie ne préside-t-elle pas à l’organisation des mondes ? Et l’organisation, elle-même, n’a-t-elle pas pour base le rythme, fondement d’ordre et de régularité ? Du coup, cette boutade d’Henry Woollett peut-elle être admise, qui lui fait dire :
« Si j’avais été le plus ancien de tous les écrivains connus, celui auquel nous devons le premier livre de la Bible. le premier chapitre de la Genèse, je n’aurais pas écrit ces mots :
Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.
J’aurais mis :
Au commencement, Dieu créa le rythme. »
Sans retourner en arrière de six mille ans, selon les Saintes Ecritures, à vingt millions ou deux cents millions, d’après des calculs contradictoires de géologues ou de paléontologues, on peut néanmoins émettre — fut-ce sous formule paradoxale — que, dans un sens abstrait, la musique a toujours existé. Etant admis que le principe de la musique a présidé à l’organisation des mondes, la mélodie, qui est dérivée de ce principe, qui constitue la musique, dans son sens concret, par la combinaison harmonieuse des sons, dut être, dès l’état primitif, une contribution importante à la continuité des espèces. Or, la musique étant un ensemble de sons agréables à l’oreille ; que, d’autre part, ce qui est agréable à l’ouïe est agréable au cœur, prépare, incite aux sentiments affectifs ; il est permis de présumer que l’émotion de sons agréables, qui n’étaient, à l'origine, que vocaux, dussent favoriser l’appel des sexes.
Mais une dissertation plus approfondie sur ce sujet nous éloignerait par trop du cadre de cet article auquel je me hâte de revenir.
La flûte de Pan, laissée dans les brumes poétiques de la mythologie, avec le chant des sirènes, les archéologues ont découvert des représentations de flûtes sur certains monuments égyptiens, datant de trente siècles avant l'ère chrétienne. Le premier de ces instruments sur lequel on possède quelques données précises, est la flûte phrygienne, qui n’était qu’un tube de roseau ayant une corne de veau à l’extrémité supérieure. Il est évident que ce tube de roseau ne pouvait produire qu’un son "unique. L’idée vint bientôt de le percer de plusieurs trous. Alors, par l’obturation successive de ces divers trous avec les doigts, on en obtint des variétés tonales de modulations. Ce fut le commencement du deuxième stade dans l’évolution de l’art musical. Plus tard, les Grecs employèrent la lyre et la cithare comme instruments à cordes, que l’on pinçait avec les doigts, en genre pizzicati. L’aulos, espèce de clarinette, était aussi fort en honneur à cette époque ; ainsi que la Syrinx, qui était une sorte de flûte.
Vers notre IXème siècle apparurent les premiers instruments à archets ; mais combien rudimentaires ! Le crouth, le rebec, la vièle (qu’il ne faut pas confondre avec la vielle, bien plus récente, qui est à manivelle, et encore en usage) furent les spécimens primitifs.
Toutefois, ce ne fut qu’à partir du XVIème siècle que la musique instrumentale commença à prendre une expansion réellement indépendante. Jusque-là, elle ne s’était guère bornée qu’au rôle effacé d’accompagnatrice de la voix. Ce fut par le luth — par la série des violes — le violon— l’alto, — le violoncelle, comme instruments à cordes frottées ; puis, par les instruments à clavier, tels que l'orgue, le clavicorde, le clavecin, le piano ; enfin, par toute la suite des instruments à vent, bois ou cuivres que l’ascension musicale put s’accomplir jusqu’aux sommets de la polyphonie.
La date approximative d’apparition du violon se place vers 1550. Jusque-là, les différents genres de violes avaient été, à peu près, les seuls instruments de musique à cordes et à archet, dont on se servit. En principe, on n’y employait que la première position. Il est vrai que la virtuosité acrobatique, dont les compositions violonistiques abusent tellement, sont peu accessibles aux violes. Au surplus, ces artifices d’effets étaient incompatibles avec la conception artistique du temps. Ils étaient très médiocrement appréciés ; à telle enseigne — horrible ! — que les violonistes d’alors étaient réputés de condition sociale inférieure aux violistes, dont le style était considéré style galant.
La viole d’amour possède 7 cordes accordées en accord parfait de Re Maj. sur Clé d’Ut troisième. Au-dessous de ces cordes est tendu un nombre égal d’autres cordes dites sympathiques, qui passent sous le chevalet et la touche. Celles-ci résonnent harmonieusement avec celles frottées par l’archet. Ce bel instrument, dont le nom seul est une évocation, est encore en usage. Toutefois, cher et difficile à jouer, son emploi devient rare. Aussi, maintenant, quand l’Opéra donne « Les Huguenots », la si tendre romance du premier acte :
« Plus blanche que la blanche hermine »
« Plus pure qu’un jour de printemps... »
n’est-elle plus accompagnée par la viola d’amore que Meyerbeer y avait fait revivre.
Le quinton a les sons graves de l’alto. Sa musique est écrite en clé de sol. Monté sur 5 cordes, il est accordé par quintes du sol inférieur au la du diapason, et par quartes, de ce la au sol au-dessus de la 5ème ligne de la portée.
La viole de Gambe pourrait être l’équivalence de notre violoncelle, dont elle se rapproche. Son rôle était surtout un rôle de complément.
La basse de viol; est la plus grande de cette famille d’instruments. Comme la contrebasse à cordes, de nos jours, elle constitue un soutien.
Le clavecin, enfin, est le plus imposant de tous les cinq instruments qui nous furent présentés. Sa forme est analogue à celle de nos pianos à queue : une caisse de résonnance, en bois, sur pieds. Mais sa structure intérieure diffère. Il possède deux claviers, superposés, à 6 octaves chacun. Ses cordes, métalliques aussi, ne sont pas frappées par des marteaux feutrés ; mais par une tige attachée verticalement au bout de chaque touche, et portant, à son extrémité supérieure, une languette à bascule terminée par une pointe de plume de corbeau. Lorsque la touche est abaissée par le doigt, elle appuie la baguette sur la corde. Alors, après s’être ployée, la pointe de la plume, s’échappant comme un ressort, fait vibrer la corde. De pareilles conditions, imparfaites, ne peuvent produire qu’une sonorité sèche, des sons grêles, sans modulation aucune. — Ceci, pour les clavecins actuels. Ceux du XVème siècle n’avaient que 3 octaves, puis 4, ensuite 5. Du temps de Mozart, de Haydn, de Grétry, ils en possédèrent 6 ; mais chaque note n’avait que deux cordes, jusqu’au moment où Hans Buckers imagina d’ajouter un troisième rang sur un second clavier, et accordé à l’octave supérieure.
Je voudrais parler encore du psalterion, du tympanon, desquels sortit le clavicorde cher à J. S. Bach ; ainsi que de la virginale et de l'épinette qui peuvent être placées entre le clavicorde et le clavecin ; mais je suis au bout de la page...
Jean DAROUED.



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- Fès : les Mausolées.

LE COTEAU DU SOMMEIL SANS REVES


Le sommeil des morts est sans rêves, nous dit un vieux poème de Saadi, mélancolique et doux comme ces ciels dont on retrouve avec attendrissement, sur les miniatures persanes, les pâles couleurs de satin fané. Ces ciels d’Orient qui n’ont jamais cessé d’étendre sur les tombeaux de Chiraz, où dort le poète inoublié, leur inoubliable enchantement.
C’est à cela que je songe, ce soir, tandis qu’au-dessus de Fez, des brouillards mauves se mêlant aux fumées plus denses, annoncent la chute du jour et atténuent en le pastellisant sans l’éteindre, l’accablant azur céleste.
Derrière moi, dominant le quartier des « Andalous », les coupoles des mausolées s’arrondissent, étrangement orientales elles aussi. Le vallon de Bab- Ftouh est déjà dans l'ombre, mais les tombeaux accrochent, sur cette hauteur où la pitié les édifia, tout ce qui reste de rayons épars et s’en revêtent, comme d’un prestigieux manteau de clarté blonde.
Je viens de les visiter. Etendu à leur ombre sainte, pendant des heures, j’ai prêté au lourd sommeil des morts, l’essor de mon rêve ailé.
Toute la gloire du Printemps y chantait dans le bourdonnement des insectes ivres de nectar.
Pour y monter les sentiers sont nombreux, mais si difficiles... Tortueux, rocailleux, ils s’en vont avec tant de fantaisie, cahotés de droite et de gauche, qu’on n’est jamais bien sûr d’arriver. Ils se perdent souvent sans qu’on y prenne garde, au milieu de ces petits fourrés dont les épines, s’agrippant aux habits, de tous leurs ongles crochus, savent si bien retenir le passant, comme pour lui rappeler, en ce lieu où le temps ne compte plus, l’inanité de toute hâte; l’ardeur de la course, la longueur de l’étape parcourue n’empêchent personne d’atteindre invariablement ce but promis à tous : une place dans l’un quelconque des cimetières fleuris où les morts se donnent rendez-vous.
Sous les rares oliviers, autour des sanctuaires, koubbas, mausolées et tombeaux qui les dominent, les stèles funéraires s’éparpillent innombrables au revers des coteaux de Fez, ainsi qu’une armée de pierres grises, campée éternellement immobile, devant les vieux remparts poussiéreux.
Mais, entre tous, le cimetière de Bab Ftouh offre, avec l’agrément d’une vue superbe, la séduction d’une paix infinie. Vénéré des hommes, il est aimé du Printemps dont l’odorante jonchée de fleurs sauvages submerge en vagues frémissantes, toute la colline.
Il y a dans ce jardin, des tombes par centaines. Il en est d’infimes, à peine marquées d’un témoin moussu sans épitaphe, il en est d’imposantes, ornées d’arabesques et d’ogives comme des portes de mosquée, les unes sont toutes simples et lentement l’herbe et l’humus ...


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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 22-la_11

- Fez : Cimetière de Bab Ftouh. Un miment Isolé. (d'après nature)
- Fez : bab Ftouh. Un tombeau. (d'après nature)
Texte et dessins de Paul Bellandeau. (Pages primées au concours de Noël de la Vie Marocaine Illustrée ~ 2e Prix).


... les dévorent, les autres s’érigent orgueilleuses, stylisées, historiées de calligraphies en dentelles. Les plus belles sont celles qu'indique seulement une de ces précieuses mosaïques de zelliges dont les artisans andalous du Moghreb ont le secret, tapis d’émail brillant jetés à même le sol, plaisant à l’œil, doux et tièdes au toucher... De gros scarabées noirs s’y promènent éblouis.
Toutes ces sépultures ont, sous la grande lumière de Dieu, un air de fête. On doit se contraindre pour imaginer ici, la tristesse inhérente aux cimetières de chez nous qui sont lugubres malgré les bouquets et les gerbes. L'abandon a réalisé ce prodige de substituer aux parures humaines, l'incomparable offrande et le travail de la nature. Avec une grâce généreuse, elle a tout arrangé, patinant de tons chauds la pierre fruste, mouchetant de lichens dorés les petits murs qui cloisonnent cette nécropole et parquent en tribus, en familles, en clans distincts toutes les tombes fleurissant et verdissant à profusion ce domaine du repos enchanté.
Çà et là un olivier étend son ombre au seuil d’un marabout. Avec une familiarité qui nous déconcerte, quelques citadins s’y installent parfois autour d’une tasse de thé. Alors, au milieu du silence, le son grêle d’une raïta monte, en même temps qu’un peu de fumée pâle, dans l’air bleu.
Sans doute, ce lieu n’engendre aucune idée de recueillement ou de prière, mais il s’en dégage un apaisement suprême qui caresse l’âme et rassure le cœur inquiet.
J'ai voulu, tantôt, en poussant une porte qui n’est jamais tout à fait close, pénétrer dans l’enceinte des mausolées, approcher les petits sarcophages de bois peint qu’abritent les coupoles.
L’émotion indéfinissable qui m’étreignit en face de tant de simplicité froide et nue me poursuit encore. Me rendant compte de ce qu’une présence profane avait d’insolite en un tel endroit, J’eus voulu, pour honorer ces morts, pieusement m’attendrir... Mais leurs prières ne sont point les nôtres... Confus je suis parti en refermant tout doucement la porte.
Il n’y a qu’un instant de cela.
En face, sur un autre coteau, lointains fantômes, les tombeaux mérénides qui achèvent de lentement s'écrouler dans l’oubli me regardaient.
On ne les voit plus maintenant... L’ombre du Zalagh est sur eux, sur la ville et sur moi.


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- Voici la tighremt toute seule sur l’étroit plateau aux schistes noirs...
- Son Mauser sur les genoux. Haddou attendait...

HADDOU,D'AÏT HIRMOG

par RENÉ EULOGE
Haddou d’Aït lrmog avait trente ans ; dans tout le pays, il n’y avait pas son pareil pour chasser les mouflons de l’Aghouldid. Nul ne connaissait mieux que lui les meilleurs raccourcis de la montagne, et les convois montant de l’Imini vers le Tichka s’assuraient le fusil et la vigilance de l’homme moyennant de beaux douros sonnants.
Haddou devait se marier avec Izza, fille d’Hamouda, de la solitaire tighremt d’Aït Areg. On attendait de ramasser les noix et, sitôt la récolte descendue à Marrakech, la fête allait réunir les gens des sources du Zat.
Sur ces entrefaites, Haddou accepta d’escorter des muletiers du Ternata ; le pays était loin, mais l’offre avait de quoi séduire : une grosse poignée de douros pour aller au Drâa, et une autre pour repasser les monts. C’était une absence d’un mois environ.
Son Mauser en bandoulière, Haddou partit donc, en tête des mulets pesamment chargés de tellis flanqués de bouilloires noircies par les feux des bivouacs...
Quand il revint, son premier soin fut de s’informer des gens d’Aït Areg. Et Izza ? Depuis huit jours, Izza est l’épouse d’Ali, le neveu de l’amghar d’Aït lrmog...
Haddou a remercié le cawadji qui l’a renseigné ; son visage n’a trahi aucune émotion, il n’a manifesté ni surprise ni indignation. Haddou a pris le sentier d’Aït Areg.
Voici la tighremt toute seule sur l’étroit plateau aux schistes noirs, et voici le vieux berger...
« Les gens sont-ils là ?
— Personne ! Ils sont tous chez les parents d’Ali d’Adeslane... tu sais, Ali, c’est l’homme à Izza... ils ne reviendront que demain dans la soirée... Veux-tu garder la maison ? »
Haddou ricane. Oui, c’est cela, il va garder la maison. Le vieux berger veut se rendre dans la vallée et il s’éloigne tout heureux d’avoir confié la surveillance d’Aït Areg à un homme sûr.
Haddou pousse la porte. Tout un coin de la cour est occupé par des fagots, les pièces du rez-de-chaussée sont pleines de paille ; au premier étage, il y a aussi de la luzerne bottelée... Haddou remplit son capuchon de dattes et de glands. La maison est vide de ses habitants.
Quand Haddou franchit le seuil, il s’inquiète de voir de gros nuages chargés de neige décapitant les sommets. On était en novembre ; les mauvais jours étaient venus. Le Glaoui secoua la tête :
« Il ne faut pas attendre, murmura-t-il, sinon la pluie éteindra tout. » Haddou avisa un mejmar aux braises vives encore et le jeta au milieu de la paille. Le feu gagna tout le rez-de-chaussée et des flammes géantes atteignirent bientôt et dépassèrent les tours quadrangulaires à trois étages. Une à une, les tours s’écroulèrent, seul subsista un haut pan de mur. Les poules s’étaient dispersées alentour et les chèvres effrayées fuyaient droit devant elles ou se tenaient immobiles au faîte des rochers...
Une lourde nappe de fumée grise planait sur le plateau et l’âpre odeur de foin brûlé rabattue par le vent glacé soufflant des sommets devait intriguer les gens de la vallée.
Haddou s’abrita sous une roche, à cinquante pas des ruines fumantes ; il parvint à saisir une chèvre et se mit à traire dans un pot trouvé dans les décombres ; il but, mangea quelques dattes et songea.
Partir ? Non ! il lui fallait voir le père d’Izza, reprendre Izza de gré ou de force, et tuer au besoin, tuer pour apaiser sa soif de vengeance. Demain soir, les gens d’Aït Areg seront de retour ! et Haddou les accueillera !
Le Glaoui essaya de dormir, mais trop de pensées se pressaient en son esprit et son manteau le protégeait mal contre le froid de la nuit. Peut-être les gens de la vallée, alertés par quelque bûcheron, allaient-ils venir au secours des gens d’Aït Areg. Cette visite inopportune n’était pas à redouter car la neige commençait à tomber.


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D’abord rares, les flocons se firent plus pressés. Alors Haddou se blottit au fond de l’excavation qui lui servait de refuge et soit pour tromper sa solitude, soit par contentement de sa sinistre besogne, il chanta les couplets de la vengeance, aux accents tantôt rudes ou plaintifs et aux longues vocalises suraigües...

Ce sont les ombres de la nuit,
Ce sont les ombres.
Etendant partout et sans bruit
Leurs voiles sombres.
C’est l’heure où passent les esprits
En grand mystère
Le Silence et la Peur ont pris
Leur garde austère.

La crainte qui naît de la nuit
Ferme les portes.
Les montagnes d’où l’homme a fui
Paraissent mortes.
Je ne redoute ni la nuit.
Dieu, ni personne,
Je viens pour me Venger sans bruit.
Mon heure sonne !

Moi qui ne vis que pour toi
Bonne Vengeance
Sans défaillance soutiens-moi.
Seule espérance !
Haine qui rampe lentement
Dans les ténèbres
Ne peut rêver au firmament
Soir plus funèbre.

Hurlez chacals ! hurlez, ô Vent,
La neige tombe,
Souffle de vengeance et de sang
Vent d’outre-tombe !
Etendant partout et sans bruit
Leurs voiles sombres
Ce sont les ombres de la nuit,
Ce sont les ombres...

Une ondée avait fait disparaître la neige tombée pendant la nuit. Vers le milieu du jour, Haddou vint se poster dans les ruines, au pied même du grand pan de mur encore debout. Nul n’était venu de la vallée ; les gens d’Aït Areg n’allaient point tarder à paraître.
Son Mauser sur les genoux, Haddou attendait et à mesure que l'heure fuyait, il se demandait comment il pourrait parler aux montagnards d’Aït Areg. Aurait-il cette patience surhumaine lorsqu’il verrait Izza aux côtés d'Ali ? Il pressentait qu’il allait tout massacrer, gens et bêtes, dans sa folie sanguinaire qui lui paraissait justifiée.
Quelques pierres détachées du faîte de la muraille roulèrent à ses pieds ; il n’y prit point garde. Soudain, avant qu’il eût le temps de se lever, le pan de mur tout entier s’abattit sur lui.
Il n’était point mort cependant. Par miracle, sa tête ne saignait que de quelques meurtrissures, mais tout le corps restait engagé sous l’amas de pierres. L’homme haletait, ses efforts inutiles lui ôtaient ses dernières forces.
C’est ainsi que le père d'Izza, Ali et un autre montagnard découvrirent Haddou prisonnier des décombres.
Haddou ne songeait point à ses souffrances ; son seul regret était de ne pouvoir se servir de son Mauser tordu ; il aurait encore eu le courage et la joie de tuer les trois hommes.
Comme il n’avait pas de pitié à attendre, il brava les gens d’Aït Areg.
« O Hamouda ! ton orgueil, ta belle tighremt à trois étages, c’est moi qui l’ai détruite ! »
La consternation se lisait sur les visages des montagnards. Le vieux tira son poignard et s’apprêtait à égorger l’incendiaire, lorsque Ali arrêta le geste et dit à Haddou :
« Haddou d’Aït Irmog, tu es venu pour ruiner les gens d’Aït Areg, et tu nous attendais pour nous tuer. Mérites-tu notre pitié ? Nous devrions t’écraser la tête comme on écrase un scorpion ou un serpent... Eh bien ! si tu nous promets de quitter le pays et de ne plus nous inquiéter, nous te sortons de dessous les pierres et te soignerons jusqu’à ta guérison... Après, il faudra t’en aller pour toujours...
— Non ! non ! s’écria le moribond. J’aime mieux périr tout de suite plutôt que de vous devoir la vie. Ah ! chiens ! pourquoi ne m'avez-vous gardé Izza ? Tuez-moi donc, mais Haddou d’Aït Irmog ne veut pas de votre pitié ! »
Le vieil Hamouda pleurait.
« O Haddou ! qu’as-tu fait ! qu’as-tu fait ! Le feu a tout consumé. Sois content, Haddou ! Mais la justice divine ne t’a pas épargné... Tu dois souffrir horriblement ; si nous te tirons de là, jure par Sidi Ahmed el Ouafi de ne plus chercher à te venger de l'affront que t’ont fait les gens d’Aït Areg.
— Non ! non ! râlait le mourant. Allah achèvera ma vengeance commencée. Par les pierres blanches sacrées des sources du Zat, toutes sortes de malheurs fondront encore sur vous ! Quant à moi, mieux mourir étouffé que vivre en laissant Izza dans les bras d’Ali d’Aldeslane... »
Le vieux dit : « Laissons-le là, voyez ce qu’il a fait de mes quatre tours en pierres bleues de l’Aghouldid ; entendez encore les menaces qu’il profère... Qu’il soit damné et qu’il revive sous la forme d’un vautour hideux... »
Les trois montagnards s’éloignèrent et ils entendaient encore la voix désespérée d’Haddou d’Aït Irmog :
« Non ! Non ! Non ! ô gens d’Aït Areg, je ne veux pas vous devoir la vie ! Mieux vaut souffrir mille morts que de vivre en laissant Izza dans les bras d’Ali d’Adeslane... »
René EULOGE.


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LA NUIT DE BEHALIL


par R. BOUTET

Ahmed ould Lhassen était un homme d’une cinquantaine d’années. Un nez aquilin et des yeux minuscules d’une extrême mobilité, donnaient à son visage une apparence de gerfaut. Il était né sur les premiers contreforts de l’Atlas, en bordure de la route qui mène de Fez à Sefrou, à Behalil, un petit village pittoresque, avec une mosquée très blanche et des jardins très verts, ceinturés de murs croûlants ou lépreux.
Les habitants de cette bourgade, ont, encore de nos jours la curieuse particularité de se prévaloir d’une origine chrétienne et l’on cite l’histoire d’un cheikh qui, plutôt que de se convertir à la foi de l’Islam, préféra mourir d’une mort atroce : se laisser scier tout vif entre deux planches.
C’est là, d’ailleurs, sinon le seul, tout au moins le plus saillant souvenir que le village ait conservé de son histoire et de ses origines, mais il serait erroné de croire que le sentiment chrétien — traditions ou rites — subsistât toujours, même déformé, dans le pays. L’Islam a nivelé les âmes comme les paysages et les villes. Les cœurs ont promptement oublié quand les yeux cessèrent de voir.
Si je me suis permis cette remarque, c’est à seule fin de détruire dans l’esprit du lecteur une hypothèse qu’il ne manquerait pas d’établir avant d’avoir achevé la lecture de cette histoire.
Donc, Ould Lhassen était aussi bon musulman qu’eût pu le souhaiter le Prophète et s’il n’avait pas encore accompli le pèlerinage aux Lieux Saints, la faute n’en incombait qu’à Dieu, puisqu’il n’avait pas laissé tomber dans sa chkara le nombre de douros nécessaire.
A part cela, chaque vendredi — chose qui n’est pas si commune — il allait à la mosquée pour la prière. Il se gardait des mets et des boissons défendus et jeûnait le ramadan avec un scrupule que ne connaissent pas beaucoup les chrétiens à l’heure du carême.
Dans toute son existence, il s’était rendu une dizaine de fois à Fez, mais une seule pour affaire sérieuse :
c’était en 1912, aux journées sanglantes des massacres ...
Depuis, il n’était revenu dans la capitale qu’à l’occasion de mariage ou de circoncisions, ce qui lui avait procuré autant de repas sérieux où il trouvait, avec une satisfaction immédiate, un pieux avant-goût des charnelles joies paradisiaques promises à son incontestable vertu.
Le reste du temps, il n’avait cessé de faire prospérer ses biens, et il se préoccupait seulement du rendement de ses champs, de ses jardins et de ses troupeaux.
C’est précisément à cause de ses troupeaux que le 4 de Chaabane 1349, M Hamed ould Aïssa passa la nuit dans les grottes qui les abritaient.

Je transcrirai maintenant ses paroles, avec le scrupule qu’un écolier consciencieux peut apporter à la traduction, mot-à-mot, des commentaires de César.
— Il y avait, me dit-il, cette année-là beaucoup de voleurs. On m’avait déjà enlevé deux vaches et dix brebis, sans que les gardiens s’en fussent aperçu. Je décidai donc d’aller veiller avec eux dans la grotte. Tout d’abord, nous avons bu le thé parce qu’il faisait froid. La neige tombait depuis le crépuscule.
Après le troisième verre, j'ai dit aux gardiens : « Dormez, je vous réveillerai quand l’heure de dormir sera venue pour moi ». Sans répliquer, ils se pelotonnèrent dans leurs djellabas et, avant que ne se fussent éteints les derniers tisons du foyer, ils ronflaient.
Moi, j’épiais le silence que ne troublait même pas le glissement furtif d’un lézard ou le vol mou d’un oiseau de nuit. Je scrutais la nuit, plus sombre encore sur la montagne qu’elle ne pouvait l’être dans la grotte. Aussi grande que fut mon attention, mon oreille et mes yeux se lassèrent, et, soudain. je m’assoupis.
Brusquement, je m’éveillais au son de voix inconnues. Près de moi, les deux gardiens dormaient avec le même calme, mais, je devinais que, sur leurs litières, les animaux s’agitaient en proie à une inquiétude dont je soupçonnais la cause. A n’en point douter, le voleur était là. Je cherchais à tâtons mon fusil et, à peine ma main avait- elle saisi sa crosse, que j’entendis cette conversation dont, je suis prêt à le jurer sur le Coran ! — je ne change pas un seul mot.
— Il va venir ! dit une voix très grave.
— Il va venir ! répéta une voix douce comme celle d’un enfant.
— Il va venir ! brailla une voix suraiguë et éraillée.
— C’est moi qui le recevrai, reprit la voix grave, car c’est moi qui, le premier, ai réchauffé ses petits pieds transis de froid..
—     Non, c’est moi, rétorqua la voix douce, car n’oubliez pas que je fus et demeure son symbole et qu’il a dit être le Bon Pasteur.
Un ricanement qui ressemblait fort au braiement d’un âne, retentit dans la grotte et la troisième voix se fit entendre :
— Mes pauvres amis, disait-elle, c’est à moi que revient cet honneur. J’ai connu bien des souffrances et je les ai subies avec cette résignation qu’il n’a cessé de prêcher aux hommes. D’ailleurs, en maintes circonstances, Il a prouvé la reconnaissance qu’il avait à mon égard. Si je ne m’abuse, frère bœuf, j’étais aussi présent à l’heure de sa naissance. S’il m’en souvient, tu réchauffais de tes narines morveuses son pied droit, tandis que moi, de mes naseaux veloutés et tièdes comme un duvet de cygne, ...


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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 26-la_10

- Nuit de Ramadan.

... je réchauffais son autre pied. Je dirai encore — et cela, sans vouloir t’adresser le moindre reproche, car à chacun sa tâche ici bas — qu’à l’heure du péril, tu as continué à ruminer placidement ton foin, tandis que moi, nuit et jour, je trottinais vers l’Ouest en le portant avec sa Mère sur mon dos, afin de le soustraire à la menace d’un autre roi, qui, lui, n’était qu'un homme. Ce n’est point là, d’ailleurs, la seule fois que l’honneur de le porter revient à ma famille, et s’il te plaît de te souvenir, tu te rappelleras qu’au jour de son triomphe, il prit ma femelle pour monture, et notre petit pour escorte. Triste coursier pour le Roi des Rois, car je ne doute pas être autre chose, hélas, qu'une caricature du cheval.. Depuis lors, sachant en quelle estime il me tenait, ses détracteurs accusèrent ses disciples de m’adorer. C’est ainsi que je fus, à tort, divinisé par la haineuse bêtise des hommes.
— Frère bourriquet, répliqua la voix douce, ne contestez pas à votre frère mouton et à votre sœur brebis le rôle qu’ils ont pu jouer dans ses discours.
— Et moi, supplia frère bœuf, ne m’enlevez pas l’honneur de lui avoir donné pour berceau la crèche où mes babines happaient un foin plus parfumé que ne l’est un champ aux soirs de juin.
Puis, soudain grognon, il ajouta, non sans suffisance :
— J’ai encore quelque fierté à penser qu’un de ceux qui rapportèrent ses paroles m’a pris pour symbole...
Frère mouton, toussota avec un accent humain et prit à son tour la parole :
— Pardon, frère bœuf, je me permettrai de vous faire remarquer qu’il y a quelques exagération dans vos propos. Sans doute, puis-je me tromper. Je crois, en effet, me rappeler que votre rôle s’arrête à la crèche, tandis que le choix de Saint-Luc s’est arrêté sur le taureau que vous auriez pu être sans la malignité des hommes.
Un gros soupir ramena la morve au museau humide de frère bœuf.
Frère bourriquet dont aucun souvenir pénible n’altérait la bonne humeur, se mit à braire avec la joie qu’un fellah éprouve à éructer à la fin d’un repas copieux.
Il avait assez d’intelligence pour comprendre que frère bœuf, muet de honte et frère mouton, muet de satisfaction à la suite de ce trait d’esprit, n’auraient jamais la réplique assez prompte pour répondre à un dernier argument. C’est pourquoi il s’empressa de poursuivre :
— Quoi qu’il en soit, aucun d’entre vous, ne peut me disputer l’honneur d’être le seul animal à porter Son Signe sur le dos. C’est à cette gloire que sont peut être imputables tous les mauvais traitements que Musulmans et Juifs se sont plu à m’infliger. Ils ont brisé mes reins sous des charges trop lourdes et je ne me suis jamais plaint parce que je pensais à l’autre charge qu’un soir d’hiver, j’emportai loin des séides d’Hérode... Ils ont percé mes chairs. Sans mot dire, j’ai laissé pendant des siècles piquer ma fesse saignante d'une épine acérée parce que je pensais qu’une épine n’était, en vérité, qu’un modeste élément de la cruelle couronne dont les hommes avaient ceint son front. Mais, pour me consoler de ces douleurs et de ces misères, je rencontrais de temps à autre, sur ma route, un palmier. Les palmiers ! Ils me faisaient ressouvenir des branches que les femmes et les enfants agitèrent, un matin, sur sa route... Et cela suffisait pour que je pointasse fièrement les oreilles et raffermisse mon pas... En vérité, frère bœuf et frère mouton, dites-moi si, en ce pays, vous trouvez, à part le signe que mon dos porte, d’autres signes qui puissent attester qu'il y fut un jour connu ?
Et frère mouton, avec une audace qu’il ne se connaissait pas osa répondre à frère bourriquet :
— Au moment où les Chrétiens se souviennent de sa mort, j’ai vu, au cours d’un voyage au Zehroun, une immense plaine, toute tendue d’iris mauves comme l’était de voiles violets, la basilique qui demeure là, engloutie...
Alors, le mouton, le bœuf et l’âne dirent ensemble :
— Les hommes oublient et la terre se souvient...

A cet instant, poursuivit M’Hamed ould Lhassen, bien qu’il n’y eut aucune fête au village, j'entendit chanter des violons et, bien que le ciel fût couvert, par d’épais nuages de neige, un rayon lumineux pénétra dans la grotte et vint s’étaler sur la paille. Aussitôt, le mouton se roula en boule, l’âne et le bœuf soufflèrent à qui mieux mieux...
— Quelle heure était-il ? demandai-je.
— Minuit...
— Et ensuite ?...
— Cela dura longtemps, longtemps... Puis la lumière disparut quand le muezzin chanta l’appel de la prière...
Parce que je ne disais rien, Ould Lhassen crût nécessaire d’ajouter :
Ce que je te raconte est vrai. Sans doute, mes bêtes avaient-elles reçu un sort, à moins que ce ne fussent pas mes bêtes, mais des Djounn. Je me souviens, en effet, de m’être étendu sur le sol, la veille au soir, sans dire, auparavant, « Bismillah... ».
Je me taisais encore. Il m’interrogea :
— Qu’en penses-tu, puisque les Chrétiens savent tant de choses ?
Mais parce que j’avais calculé que le 4 de Chaabane 1349 concordait avec le 25 décembre 1930, je crus prudent de répondre en me souvenant du conseil de Charles Nodier : « La vérité est inutile ».
— O mon ami, une seule certitude doit satisfaire l’esprit des hommes : Dieu est grand....
Et M’Hamed ould Lhassen n’a pas compris...


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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 EmptyVen 27 Jan - 12:11

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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 27-la_10

- Un des quartiers de Villas des Chemins de Fer du Tanger-Fez.

- Meknès Ville Nouvelle : le carrefour de l'avenue de Fez.

UNE VILLE D’AVENIR

MEKNES

« Il est rare et précieux, disait Monsieur le Résident Général Lucien Saint, le 11 Mai 1930, en inaugurant la Foire-Exposition de Meknès, de pouvoir réunir sous les yeux étonnés du touriste et de l’homme d’affaires, du savant et de l’artiste, un ensemble qui constitue la meilleure représentation du Maroc tout entier, de son prestigieux passé, de son merveilleux avenir. »
Meknès, en effet, se distingue de toutes les autres villes marocaines, en ce sens qu’elle n’est pas seulement une étape agréable sur la grande route de l’Afrique du Nord, mais aussi le véritable pivot du tourisme au Maroc, une région privilégiée de colonisation et un centre commercial où vient s’approvisionner une population de 320.000 âmes. Elle offre aux visiteurs, outre le charme de sa verdure, d’un panorama unique, de jardins et de palais impériaux couvrant des dizaines d'hectares, l’agrément de nombreuses excursions dans des cites verdoyants, couverts de vignes et d’olivettes du Zerhoun, ou vers les panoramas grandioses que bordent les forêts de cèdres et de chênes-verts de l’Atlas.
C’est de Meknès que partent les routes qui conduisent, sans long déplacements, aux ruines romaines de Volubilis, à la cité sainte, irréelle, étrangement impressionnante de Moulay-Idriss, aux petites villes berbères d'El-Hadjeb, Azrou, Timhadit, Aïn-Leuh, Khénifra, à la station estivale d'Ifrane.
C’est à Meknès « plaque tournante du Maroc », qu’est l’origine des grandes voies de pénétration, celle qui relie le Maroc du Nord à Tanger et au Rif, celle qui, franchissant l’Atlas, dévale vers le Tafilalet et raccorde tout l’Empire Chérifien aux routes sahariennes.
Mais Meknès n’est pas seulement une ville d’agrément, c’est la capitale du vaste pays berbère, longtemps impénétrable, avec sa population ancrée, aujourd’hui encore, dans ses coutumes ancestrales, dans ses réjouissances tintamarresques, dans son existence âpre et dure, mais accueillante, loyale, fière, travailleuse et économe. Et cette ville, qui voile ses richesses, restera ignorée de ceux qui la voient seulement dans le sillage rapide des cars ou des limousines. Il ne suffit pas de traverser sa région en quelques heures, de s’arrêter un jour ou deux dans ses remparts pour la connaître. Il faut s’y attarder. I! faut, sans hâte, au pas lent des caravanes, flâner dans ses plus beaux sites, pour saisir l’heure des colorations magiques, pour connaître tous les reflets de la belle lumière d’Orient, pour en découvrir tous les chefs-d'œuvre, tous les trésors. Il faut aussi, si l’on aime l’action, la vie intense, le bourdonnement des chantiers et des ateliers, si l’on veut sentir les pulsations d’une population essentiellement française en plein labeur, errer dans la plaisante ville nouvelle, pourvue de tout le confort des belles préfectures de France avec, en plus, le charme des journées ensoleillées et du climat le meilleur du Maroc.
Pierre Loti traversant son emplacement n’y trouva, il y a quarante ans, que des « arbres mourants et à bout de sève, couverts d’une espèce de moisissure, de maladie de vieillesse qui rend, disait-il, leur feuillage tout noir, comme s’il était enfumé. ». Ce paysage de tristesse est maintenant bien oublié.
La ville, aujourd’hui, s’ouvre à une existence nouvelle et pousse avec une impressionnante rapidité.
Il y avait 4.920 européens en 1926. Le recensement de 1931 a permis d’en dénombrer 12.600. Sa population totale est passée, en cinq ans, de 29.900 habitants à 56.200. Et l’afflux continue, uniquement enrayé par l’insuffisance des constructions. Et cependant quelle magnifique progression dans ce domaine. Vingt trois millions d’immeubles construits en 1930, quarante et un millions pendant les dix premiers mois de 1931. En pleine crise ...


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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 3 28-la_10

- Meknès : Bab el Mansour.

... mondiale, alors que partout ailleurs on constate un ralentissement inquiétant, Meknès continue sa marche en avant à un rythme accéléré. Tout permet d’espérer que ce mouvement ira pendant longtemps encore en s’accentuant.
Des réalisations extrêmement importantes sont, des maintenant, assurées pour les années qui vont suivre. Jusqu'à présent, Meknès n’avait pu libérer les vastes terrains militaires couvrant près de 25 ha., qui formeront le centre commercial de la Ville. Une convention récemment conclue entre les Administrations intéressées, a permis la constitution sur cet emplacement d’un vaste lotissement, conçu sur les données les plus modernes et les plus saines de l’urbanisme et où surgissent déjà de magnifiques immeubles. Plusieurs lotissements de villas, à peine mis en vente, ont trouvé des acquéreurs. Cent lots viennent d’être vendus avec obligation de construire. L’Office des habitations militaires, de son côté, pour répondre aux besoins de la garnison — la plus importante du Maroc — a mis en chantier la construction de 136 logements et une nouvelle tranche aussi importante doit suivre.
Très rapidement, les larges avenues de Meknès se garnissent de coquettes villas, noyées dans d'abondantes floraisons, de résidences reposantes, de magasins très achalandés, d'industries qui, à peine créées, doivent songer aux agrandissements.
C’est que Meknès n’est pas seulement le centre d’une région agricole particulièrement riche, favorisée par une abondante pluviométrie et sillonnée de nombreux cours d’eau. Elle jouit d une situation géographique exceptionnelle qui lui a valu la création d’établissements militaires d’une importance considérable et l’installation des ateliers, des Services techniques et des Services administratifs de la Compagnie des chemins de fer du Tanger-Fez.
Ces fondations solides ont été et restent les conditions essentielles de son succès. Elles permettent les espérances les plus optimistes.
Pendant longtemps encore, l’avenir de Meknès, n’est apparu, dans toute son ampleur, qu’à quelques privilégiés rompus aux affaires et qui, ne s’arrêtant pas aux apparences, avaient su en découvrir les richesses latentes.
Aujourd’hui, cet avenir éclate aux yeux les moins avertis. Tout concorde et s’harmonise : les grands projets du Gouvernement français en cours d’exécution, le lotissement très prochain de la vaste et fertile plaine des M’Jatt, aux portes mêmes de la Ville, l’exploitation certaine, dès que les conditions économiques s’amélioreront, des richesses forestières et minières de la région, l’aménagement de centres touristiques nombreux et variés. Les grands travaux entrepris par la Municipalité, parmi lesquels il convient de citer plus particulièrement un réseau complet de distribution d’eau de source assurant à la population 400 litres par jour et par habitant, la construction du tout à l’égout, la création d’un vaste parc de trente cinq hectares entre la ville indigène et la ville européenne, des squares dans tous les quartiers, la mise en parfait état de la voirie feront, de Meknès, non seulement une grande ville, mais une ville saine, agréable, attrayante.
Certes, il reste encore beaucoup à faire, mais, dès maintenant, l’ère des réalisations a succédé à celle des espérances.
L’heure de Meknès a sonné.
M. BOUQUET
Chef des Services Municipaux de la ville de Meknès


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— En haut : deux nouvelles phases de la construction du barrage de l’oued Beth destiné comme on le sait à assurer l’irrigation de 30.000 hectares dans la plaine de Petitjean. Ces travaux sont exécutas par l'OMNIUM d’Entreprises et la Société des Grands Travaux Hydrauliques, adjudicataires des Travaux Publics.

— Au dessous : la légitime préoccupation de loger convenablement les troupes devant tenir garnison dans les villes du Maroc a amené le Protectorat à commander aux entreprises les plus importantes et les mieux outillées une série de constructions à la fois coquettes, confortables et économiques. On voit ici en haut un premier lot construit à Fès dans le quartier de Dar Debibagh : à droite : villa-type pour officiers.

— Au dessous, au milieu: construction des ports de Rabat - Salé- Kénitra.

— En bas: construction de la voie ferrée Fès - Oujda entre Taourirt et Metlili.

— Travaux assurés par l'OMNIUM d’ENTREPRISES.


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- En haut à gauche : Gare de Taourirt, à droite : Gare de Guercif, réservoir et épurateur.
-  En bas : les travaux de la voie et la nouvelle gare de Guercif

Le Chemin de Fer à Voie Normale de Fez a Oujda

La ligne de Fès à la frontière algérienne fait partie des diverses voies ferrées à écartement dit normal, dont la Convention du 21 Août 1920 a accordé la concession à la Compagnie des Chemins de fer du Maroc.
Parmi ces lignes, celles dont la construction fut activée dès le début de la constitution de la Compagnie, en 1921, furent :
— La ligne de Rabat à Kénitra et Petitjean, — prolongée jusqu'à Meknès et Fès par la Compagnie Franco-Espagnole du Tanger-Fès — qui fut ouverte à l’exploitation dès le mois de Juin 1923.
— La ligne dite des Phosphates, de Casablanca à Kourigha, ouverte au trafic en Septembre 1923, et prolongée jusqu’à Oued Zem.
— La ligne, de Casablanca à Rabat, ouverte en Juin 1925, et qui, au début de la Guerre du Riff, fut utilisée dès le 1er Avril 1925 pour les transports militaires.
— La ligne de Casablanca à Marrakech, dont le 1er tronçon jusqu'à Settat fut ouvert en Juin 1925 — alors que la ligne tout entière jusqu’à Marrakech était livrée en Novembre 1928.
La ligne de Fès à Oudjda n’avait pas été, pendant plusieurs années, considérée comme de première urgence. Beaucoup d’européens, établis au Maroc, craignaient de voir le trafic de la région de Fès détourné vers la région d’Oran, au détriment des ports de Casablanca, Kénitra, Rabat ; ils objectaient aussi les grosses dépenses que sa construction entraînerait et les surcharges d’impôts qui en résulteraient. Mais la guerre du Riff démontre amplement au Protectorat et à la Métropole combien l’existence de cette ligne, loin d’entraîner des dépenses supplémentaires, aurait pu et pourrait peut-être encore dans l’avenir procurer d’économies de temps, d’argent, d’hommes. Ce n'est donc qu’assez tard, en 1928, qu’on en décida la construction immédiate.
Fort heureusement, les études en avaient été entreprises, sans hâte, dès les années 1923-1924.

CARACTERISTIQUES DE LA LIGNE
Les caractéristiques imposées par le Cahier des Charges joint à la Concession étaient telles que les rayons des courbes devaient être au moins égaux à 250 m. et les déclivités inférieures à 20 millimètres par mètre, avec réduction de ces pentes limites dans les courbes et les souterrains.
Toutefois, entre Fès et le col de Redjem Zaza, partie reconnue spécialement difficile et tourmentée, les rayons pouvaient être abaissés à 200 m. et les déclivités atteindre 25 m/m. Tous les itinéraires possibles furent reconnus, les plans soigneusement levés, les tracés définitifs longuement étudiés. On put ainsi, tout en réduisant au minimum la longueur de la ligne (beaucoup plus courte que la voie de 0,60 préexistante, malgré des caractéristiques plus sévères), améliorer très sensiblement les caractéristiques autorisées, de façon à ménager à l’exploitation future, des conditions optima de circulation de vitesse et de dépenses kilométriques. C’est ainsi que les rayons des courbes, même dans les parties les plus difficiles, ne seront jamais inférieures à 350 m. et seront le plus souvent de 500 à 700 mètres et que les déclivités maxima ne dépasseront pas 15 m/m entre Fès et Taza et 10 m/m entre Taza et Oudjda.




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