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Mémoire de la présence Française au Maroc à l'époque du Protectorat
 
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 La Vie Marocaine Illustrée 1932

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Pierre AUBREE
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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 EmptyJeu 19 Jan - 18:09

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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 23-la_10

Le Tourisme Marocain à l'Exposition Coloniale de Paris

L'Exposition Coloniale de Paris a été une merveilleuse leçon de choses au point de vue géographique, commercial, agricole, industriel et touristique. En quelques jours, le visiteur pouvait faire le tour du monde en faisant escale dans nos possessions lointaines et dans celles des autres puissances colonisatrices, et il y avait matière à apprendre pour tous.
La France a montré dans leur cadre vrai, toutes les richesses de ses colonies et, dans l'ensemble de nos possessions coloniales, au point de vue du but poursuivi, l'Afrique du Nord sera privilégiée, comme sera privilégié le Maroc par rapport aux territoires de l'Afrique du Nord,
Les visiteurs, pour connaître, voir et comparer, se sont rendus en foule à Vincennes, et certain dimanche de beau temps, la longue file des promeneurs marquait à la fois leurs patience et leur curiosité. Si ces visiteurs se sont pressés pour monter le long escalier du temple d'Angkor Wat, s'ils ont fait la queue, et l'on y entrait par fournée, dans les beaux pavillons du Cambodge, de l'Annam, du Tonkin, de Madagascar, de l'Afrique équatoriale et de l'Afrique occidentale, il y a eu de leur part un sentiment de vive curiosité pour des pays lointains, pour des choses inconnues qu'ils ne pouvaient voir qu'à l'Exposition. Mais ces mêmes personnes, lorsqu'elles sont rentrées dans les pavillons de l'Afrique du Nord, de l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc, avaient certes l'impression d'être un peu plus chez elles, parce que l'Afrique du Nord est plus à leur portée, à 24 heures ou 50 heures des ports français, parce que le contact de ces trois pays est constant avec la Métropole, parce qu'au surplus, aller visiter l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, n'est pas un voyage de longue durée, que ce voyage peut s'effectuer en 15 jours, en huit jours même, si on limite la visite à un seul de ces pays et parce que ce voyage enfin n'occasionne pas des dépenses trop fortes. Certainement, nombreux sont les visiteurs qui ont envisagé la possibilité d'un voyage en Afrique du Nord, et c'est pour cela que l'Algérie, la Tunisie, et le Maroc, étant le prolongement de la France, ont été favorisés par rapport aux possessions plus lointaines.
Et parmi nos trois pays nord-africains, le Maroc est à son tour privilégié, en raison de la haute personnalité du Maréchal Lyautey qui planait sur lui ; le visiteur allant dans les pavillons du Maroc, retrouvait l'œuvre qu'y a faite le grand organisateur de l'Exposition Coloniale. Aussi, le Maroc a été présenté dans un cadre vrai, dans un paysage que le touriste retrouvera. C'est la porte d'entrée qui était la reproduction de Bab er Rouah, de Rabat ; c'est le pavillon du Dar el Maghzen, de Marrakech, et son bassin d'eau, qui ont inspiré les architectes pour grouper l'Exposition officielle du Protectorat. Si les souks étaient, de part et d'autre de cette pièce d'eau, ce que l'on ne voit pas dans les villes du Maroc, du moins la composition de l'ensemble était exacte, et chaque boutique était bien la reproduction de la boutique de Rabat, de Marrakech, de Fez et de Meknès ; nos vendeurs marocains étaient bien là chez eux ; ils offraient comme ici, au Maroc, aux acheteurs ou aux hôtes amis, assis sur les tapis, le thé à la menthe, le vrai thé vert et la menthe fraîche ; le restaurant marocain servait des mets et pâtisseries indigènes.
La publicité du Maroc a été bien comprise ; les regards des visiteurs ont été attirés et retenus par les ...



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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 EmptyJeu 19 Jan - 18:34

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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 La_vie15

- Dans les jardins  du Dar Jamaï   : le patio.
- Palais Dar Jamaï à Fez  : Un des salons.
Les  réalisations   de  la   Société  des  Grands  Hôtels  Transatlantiques  au  Maroc


... beaux dioramas, très illuminés, que la Section officielle a présentés : ceux de J. de la Nézière, Marrakech et les cimes neigeuses de l'Atlas, avec, au premier plan, le marché des tapis de Bab el Khémis ; Fez, la ville en amphithéâtre et le groupe des berbères accroupis sur les pentes des Mérinides ; le dioramas de Romberg, représentant le cortège du Sultan à Meknès. Dans le stand de Tanger, les deux dioramas de Romberg et de Brindeau. Devant ces dioramas on était déjà réellement dans l'ambiance exotique, et tout autour, les objets indigènes, poteries, cuirs, étoffes et broderies, tableaux, complétaient l'illusion. Le visiteur qui demandait à se renseigner, trouvait nos brochures de propagande, nos photographies avec les châteaux de l'Atlas, les villes blanches comme Rabat et Tanger, grises comme Fez et Meknès, rouge comme Marrakech ; la carte en relief du Maroc était là pour lui indiquer la position topographique et les moyens de transports. Cette publicité n'a pas été faite uniquement pour le touriste, mais aussi pour l'homme d'affaires et l'agriculteur. Le Maroc, quoique pays encore nouveau, est doté de l'outillage le plus moderne, un port spacieux comme Casablanca, chemin de fer à voie normale, dont une partie est électrifiée, exploitation des phosphates, routes avec leur signalisation pratique, cars automobiles luxueux qui vont par tout le Maroc, beaux paquebots rapides de la Compagnie Paquet, et ceux de la Compagnie Générale Transatlantique ; ces renseignements étaient complétés par des statistiques de l'Agriculture, de l'Elevage, sur l'importance des forêts de chênes ou de cèdres.
Cette publicité a été faite aussi en dehors du pavillon officiel du Maroc, dans le pavillon des peintres marocains, dans le pavillon du Tourisme nord-africain, dans le pavillon des Arts français, dans la Cité des Informations, dans le palais de la Section métropolitaine, dans le stand de la Librairie.
En voyant tout cela, le visiteur était bien préparé pour un voyage au Maroc. Et pour marquer la réussite de cette présentation, je ne saurai oublier la méprise d'un notable marocain accompagnant S. M. le Sultan dans sa visite, qui, devant les mannequins figurant des Berbères accroupis en discussion au-dessus de la Médina de Fez descendant sur la vallée, s'est fâché réellement parce que ces berbères ne se sont pas levés au passage du Sultan ; il a d'ailleurs bien ri ensuite de sa méprise.
Comment le touriste ne serait-il pas pris aussi par la vérité de ces choses nouvelles pour lui et si proches.

M. de MAZIERES. Président de la Fédération des Syndicats d'Initiative et de Tourisme



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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 EmptyVen 20 Jan - 8:49

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manque 2 petites gouaches.

La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 25-la_10

MARRAKECH   POUR  L'HIVER

par   JEAN   GALLOTTI

Une des meilleures manières de retourner à Marrakech, c'est encore d'allonger les jambes pour approcher ses semelles du feu, de tirer sur sa pipe et de fermer les yeux. Quand il tombe, au dehors, une mixture neigeuse, plaquée par le vent du nord contre les murs, rien de plus réchauffant que de traverser dans un fauteuil la plaine de Ben Guérir où chaque poteau télégraphique abrite une file d'alouettes venues se mettre à l'ombre.
Cette plaine de Ben-Guérir ! avec ses quarante kilomètres de route, tracés en ligne droite comme pour renouveler sur les chauffards l'expérience de la poule hypnotisée par une raie de craie, combien de colons, de fonctionnaires et de touristes, en la perforant comme des balles, vers trois heures de l'après-midi, se sont demandés pourquoi on avait mis l'enfer si près du paradis.
Car Marrakech, est bien une sorte de paradis, dont deux saisons, comme deux archanges, portent les clés : l'automne pour l'ouvrir et le printemps pour le fermer.
Dès que l'Atlas a garni de sorbets ses tables étagères, sous des nappes passées au bleu, la fête commence ; une fêle sans programme et sans tenue de rigueur, qui dure jour et nuit, d'Octobre à Juin, au bruit des tambourins et des rhaïtas. et où les invités n'ont jamais besoin de parapluies.
Certains esprits insatiables ont parlé de la compliquer par de mondaines attractions : un golf, une salle de jeux, des transports pour les sports d'hivers. Comme tout cela paraît fatiguant et contraire à la morale prêchée par les saints mendiants qui, le long des ruelles et des places, chauffent leurs poux au soleil en s'abîmant dans l'unité d'Allah !
A vrai dire, l'homme d'Europe, qui a la bonne fortune de pouvoir passer quelque temps dans ce séjour lumineux, n'y peut rien faire de mieux que d'y retrouver une volupté dont la vie moderne le prive chaque jour davantage : le plaisir des yeux et que d'y exercer la plus précieuse des fatuités, par cette crise de surproduction : le talent de ne rien faire.
Cette leçon de paresse, dont l'homme du Nord a tant besoin, où la trouver plus claire, plus générale et plus souriante que dans la joyeuse Marrakech ?
Elle n'est pas seulement dans l'antichambre de votre hôtel où, pour obtenir une voiture, vous verrez vos ordres transmis de serviteurs en serviteurs, descendant l'échelle hiérarchique, jusqu'à ce qu'un infime négrillon, monté à côté du cocher, vous ramène un véhicule où tout aspire au repos : elle n'est pas seulement, par les ruelles et sous les voutes, dans l'art avec lequel les rêveurs accroupis, quand passe votre équipage, replient leurs doits de pieds, de crainte que les roues ne les écrasent en passant sur leurs babouches ; elle est partout.
Vous  la  trouverez  dans  les  souks,  où  les marchands  de  dattes et d'amandes,  pour n'être  pas tentés de bouger,  font une  pyramide ...



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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 EmptyVen 20 Jan - 12:21

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manque 2 petites gouaches.

La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 La_vie16


... de fruits et se placent au sommet ; où les dimensions des boutiques permettent à chacun d'y vendre couché, ayant à portée de la main, les bougies ou les caftans ; où les artisans prennent le thé, tout en travaillant.
Vous la trouvez dans les mosquée?, où les fidèles viennent dormir, et à la porte des caïds, où les plaideurs, assis dans la poussière, attendent leur audience, parfois durant plusieurs jours, sans manifester d'impatience.
Vous la trouvez dans la marche lente des homme; et embarrassée des femmes ; dans les murs écroulés, qu'on, ne relève pas: dans le nombre des jeunes mendiants : dans l'habitude de chômer les fêtes pendant une semaine : dans les groupes assis autour des samovars, sous les arbres des jardins.
Quant au plaisir des yeux, il accompagne presque toujours cette invitation à la nonchalance. Il ne faut pas croire, en effet, que le Guéliz, le quartier de la Koutoubia et de l'Arsat-El-Maach soient, désormais tout Marrakech. Il y reste autre chose que des filaos ombrageant des hangars de tôle, et que des camions chargés de fers ronds, en station devant des bistros : tout n'y est pas T.S.F., cinémas, cafés à orchestre, hauts parleurs, boutiques à vitrines, autobus, taxis sans vitres, et nègres en Jacquette : on y peut voir encore des spectacles plus rares.
Sans doute, et on l'a dit souvent, Marrakech, toute ouverte et toute étalée, se défend mal. Depuis longtemps, elle a subi des changements qui en ont défiguré le centre même. Tandis que Fez. au creux de son ravin, gardait la pureté de sa physionomie, elle se laissait envahir par mille petits apports de la vie européenne qui, peu à peu, y ont diminué le nombre des coins d'aspect purement local.
Mais, si elle a souffert ainsi de sa situation et de son plan, elle y retrouve un avantage dans la nature de sa beauté. Cette beauté est moins faite de petits effets pittoresques que de grand-spectacles émouvants. Et ceux-ci sont moins affectés par l'imperfection des détails.
Marrakech est moins dans ses rues et même dans ses souks que dans la mer de palmes, qu'elle étale au pied de l'Atlas, que dans les peintures persanes qu'on découvre du haut de ses palais : terrasses rosés et grises où se posent de vertes coupoles, minarets où s'effeuillent des lames de faïence, flammes de cyprès brûlant en noir, sur le ciel pâli d'ardeur. Rien non plus ne saurait égaler le charme de ses jardins.
Il ne faut pas croire qu'il y ait au monde beaucoup d'Aguedals ou de Menaras.
Les couchers de soleil sur les grandes pièces d'eau, reflétant la montagne, entre des oliviers éclairés aux pics-bœufs, sont sans doute, une des plus belles choses qu'on puisse voir.
D'ailleurs, toute la partie orientale de la ville a gardé, à peu près son ancienne physionomie. Le souk-el-khemis, les remparts, le quartier des potiers, le pont enjambant le ravin : autant de sites grandioses, barbares, flamboyants, étranges, où l'on se soucie assez peu du pauvre chleuh, à bandes molletières, qui peut venir à passer en sifflant un air de Paname.
Le pittoresque humain est lui-même, à Marrakech, général et collectif. Il apparaît moins dans les types que dans les foules. Il faut le chercher à Jêma-el-Fena, dans les cercles des badauds, qui répètent, en portant les mains à leur visage, les invocations des acrobates et des conteurs ; à l'heure de la criée, dans la kaïsaria, quand le dellâl suffoquant nage dans un flot de crânes polychrome, et s'épuise, élevant, d'un bras, au-dessus de sa tête, des nippes à vendre, semblable à Camoëns sauvant la Lusiade : au marché du jeudi, où la lumière se solidifie en burnous ; les soirs de Ramadan, quand les bougies s'allument au quartier des cuisiniers et quand le même coup de canon immobilise trois cent mille jambes et incline cent cinquante mille nez sur autant de bols de harira.
Faut-il penser pour cela, qu'on peut, à Marrakech, se dispenser de cette sorte d'urbanisme exotique, qui, ailleurs, veille jalousement sur la couleur locale ?
Ce serait déplorable. En se multipliant, les détails choquants auraient vite fait de détruire la beauté des ensembles. Nulle part, au contraire il n'est plus nécessaire de s'intéresser à la conservation des sites.
Le ballet que viennent voir les hivernants et les touristes n'aura plus de spectateurs, quand les autos en auront fait tomber tous les décors et quand les figurants y porteront des casquettes.

Jean GALLOTTI



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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 EmptyLun 23 Jan - 7:15

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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 La_vie17

MARRAKECH

POÈMES D'ALPHONSE MÉTÉRIÉ SUR UN PASTEL DE RENÉ MARTIN

I.
Printemps de Marrakech,., Avril ! Les orangers
Parfument l'azur chaud semé d'oiseaux légers.
Et pâle sous son voile épais de courtisane,
Princesse un peu barbare aux beaux yeux allongés,
La Ville folle tend au cœur des étrangers
Son sourire charnel de reine-paysanne.

II.
Sous les mots blancs et noirs des poètes, derrière
Le filigrane pur de ces frêles réseaux.
Son front muet posé sur l'étroite barrière,
Marrakech la Sultane écoute un vol d'oiseaux.
Son lourd regard rappelle un portrait de verrière,
De bergère mystique ou de reine aux fuseaux
Mais Elle, évoque, hélas, son Passé de guerrière,
Et la gloire et l’amour, et les fleurs et les eaux...
Ce temps n'est plus : la vie a tari les fontaines,
Et dans les palais morts peuplés d'Ombres lointaines.
Lés filles-fleurs ont fui notre monde attristant.
Mais derrière les mots blancs et noirs des poètes,
Marrakech, toujours belle et songeuse, nous tend
Son étrange sourire aux promesses muettes...



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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 EmptyLun 23 Jan - 7:20

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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 La_vie18

L'Atlas Berbère  et ses  Kasbahs

par JACQUES  FELZE
(Pages primées  au Concours   de  Noël de  la  « Vie Marocaine  Illustrée »   -  1er Prix)

Après avoir parcouru le Maroc de la plaine, après avoir visité les villes de la côte et celles du Nord, Fez en particulier, capitale spirituelle du Maroc musulman, après avoir apprécié l'effort économique et les réalisations architecturales de notre Protectorat, le touriste ira certainement à Marrakech. A Marrakech, capitale du Sud, capitale des vieilles dynasties berbères, qui est sans doute la ville marocaine par excellence justement par son caractère berbère autochtone.
Avant le Maroc, il y avait la Berbérie que les Arabes ont envahie en partie et encerclée pour y fonder une sorte de colonie de peuplement. Mais cette vieille Berbérie ne s'est laissée entamer que dans la plaine, elle avait pour subsister une place forte naturelle et grandiose où elle restait inexpugnable : l'Atlas. C'est au pied de l'Atlas, que les dynasties indigènes, venues de l'extrême-Sud ou descendues des montagnes, bâtirent leur capitale parce que de sérieux bastions, de profondes lignes de retraite assuraient la sécurité de la ville. Cœur du Moghreb, en vérité, l'Atlas conditionne du point de vue géographique, toute l'orographie, toute l'hydrologie et toute l'économie du Maroc, mais, pays uniquement berbère, il en a aussi conditionné, du point de vue humain, toute la politique et toute la vie sociale. L'intérêt que présente, de ce chef, pour notre œuvre au Maroc la connaissance du pays berbère se double d'un attrait de curiosité passionnant si l'on songe que ce pays est resté au cours des siècles, farouchement hostile à toutes les tentatives de pénétration où d'influence étrangères. Vaguement christianisés au début de notre ère, tout au moins dans les régions du Nord, ayant adopté l'Islam après les invasions arabes des VIIIe et XIIe siècles, les berbères ont connu des explosions de fanatisme religieux, mais leur plus farouche fanatisme a toujours été celui de l'indépendance. C'est l'honneur de notre politique dans ce pays, d'avoir su, en respectant dans certaines limites les revendications de cette indépendance, entrer en contact avec le peuple berbère au prix d'un minimum de sang versé de part et d'autre, et Dieu sait si le sang humain compte peu pour un berbère.
Habitant de hautes montagnes où chaque vallée est fortement isolée des autres, modeste dans ses besoins d'échanges, le peuple berbère a vécu et vit encore dans un état de morcellement politique très avancé. Chaque tribu, chaque fraction de tribu même, a ses coutumes particulières, gère ses intérêts à sa guise. Inévitablement de cet état anarchique des conflits sont nés et rien n'est plus curieux que de suivre le jeu des alliances mobiles entre les deux "lefs" d'une même région.
Toutefois il ne faudrait pas généraliser ni dans le temps ni dans l'espace, cette notion de l'anarchie berbère. Il est arrivé que, soit pour leur prestige religieux, soit sous la pression de circonstances extérieures, des chefs, ont réussi à imposer leur autorité à un nombre important de tribus. Au début de notre occupation du Maroc trois grands caïds : le Glaoui, le Goundafi, le Mtougui exerçaient ainsi sur toute la région du Grand Atlas au Sud de Marrakech une autorité qui s'efforçait d'être absolue. Une habile politique les rallia à la cause française et tandis que nous les assurions de notre appui ils se portaient garants de la paix sur leurs territoires.
Cette région du Grand Atlas qui s'ouvrait ainsi la première à notre influence se trouvait par bonheur être la plus riche en voies de pénétration vers le Sud, bien qu'elle comporte les plus hauts sommets de la chaîne. Des travaux de pistes, puis de routes purent y être entrepris sans frais exagérés et aujourd'hui, par Imin'Tanout et Bigoudine, on atteint Agadir en automobile, par Telouet et Kasbah ben Haddou, on atteint l'oasis d'Ouarzazat et Tazenakht, demain par Asni et Kasbah Goundafa, on atteindra Taroudant.
C'est une rare fortune pour le touriste que ces routes, (en particulier les deux dernières), dont le tracé fut imposé par l'orographie du pays, mènent justement vers les plus fameuses des kasbahs de l'Atlas. Rare fortune, mais non pas hasard, car c'était une nécessité pour les grands seigneurs berbères de bâtir, sur les points de passage obligé, leurs demeures, véritables châteaux-forts. De ces kasbahs, la comparaison s'établit aussitôt, si l'on fait abstraction des styles, avec nos vieux châteaux du moyen âge. La disposition même des bâtiments organisés pour la défense et les sièges prolongés, flanqués à tous leurs angles de hautes tours crénelées, rappelle identiquement nos Coucy et nos Crozant ainsi que l'ont remarqué les frères Tharaud.
Mais l'austère grandeur de ces constructions se double d'un attrait d'inconnu pour la vie indigène, si différente de la nôtre, qu'elles abritent. Passants, nous sommes sensibles à l'impression de puissance, à l'élan des lignes, grossièrement, mais justement équilibrées, convergentes vers le haut. Les décrochements de façades que nos architectes s'imposent avec une notion sans doute plus sûre de l'esthétique, le maâlem les a obtenues ici par la nécessité de s'adapter à un sol vierge, et les grandes formes s'étagent au hasard de besoins impérieux, mais son modeste rêve d'art s'est appliqué à des détails : il a découpé les angles des tours, il a moulé en creux dans le pisé des murs un décor primitif où se combinent avec fantaisie les diverses positions de l'angle droit.


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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 EmptyLun 23 Jan - 7:22

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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 La_vie19


C'est le charme un peu mystérieux du mélange de ces éléments violents et humbles qui nous est rendu sensible. Grandeur faite du contraste de l'opulence et de la force au milieu de l'aridité, de l'ombre protectrice dans un pays tantôt brûlé par le soleil, tantôt glacé par les vents d'hiver.
Je ne tenterai pas de décrire ces kasbahs. Les dessins de Th. J. Délaye, si fidèlement évocateurs, les reproductions qui sont données des magnifiques peintures de Majorelle en évoqueront mieux qu'une description, si colorée puisse-t-elle être, l'austère et mystérieux attrait, aussi tout le charme et l'élan des lignes justement équilibrées, convergeant vers le haut. Qu'il soit seulement permis de dire combien ces peintures mettent délicatement en valeur, grâce à une stylisation très sûre et mesurée, toute la poésie particulière à ces demeures, kasbahs seigneuriales ou pauvres villages accrochés aux pentes des hautes montagnes. Entre ces arêtes et ces courbes si nettes, étrangement contournées, c'est bien là, dense, vibrante, la lumière au sein de laquelle se dressent les rochers de l'Atlas. Ces oppositions de tons, ces silhouettes heurtées, vous les trouverez non seulement en vous approchant de hauts murs, en parcourant les terrasses des kasbahs et des tirghemts, mais aussi dans les chants des berbères, tellement plus riches en reliefs mélodiques, en signification, que les naïves fioritures de la musique arabe.
Kasbahs de Telouet, des Ait ben Haddou et de Taourirt de l'Ouarzazat sur la route qui, de Marrakech atteint le Haut Draa, kasbah du caïd Goundafi et celle d'Agadir Tagoundaft hardiment perchée au plus haut d'un éperon rocheux sur la route du Tizi n'Test, il n'est pas que ces témoins, si éloquents soient-ils, quant à la vie des populations de montagne, qui puissent captiver l'attention du voyageur. Ce serait sortir du cadre de cet article que de parler de la montagne elle-même, des courses alpines, des ascensions qu'on y peut l'aire : toutefois, je voudrais inciter certains voyageurs à ne pas craindre de quitter les quelques routes carrossables qui y pénètrent, à oser s aventurer, à dos de mulets ou à pied, sur les pistes qui les amèneront dans les vallées moins-parcourues.
Déjà si vous empruntez des cols comme le Tirfist le Tizi n'Oumassa. qui franchissent les chaînes à près de trois mille mètres d'altitude, toute l'austère et sévère grandeur des cimes de l'Atlas, vous sera révélée. Aride et désolée, la montagne au Maroc n'offre pas ces successions de cultures, de forêts, de pâturages, ces gammes de couleurs variées où les verts argentés, les verts sombres, les ocres, les noirs et les blancs purs alternent et qui composent à nos montagnes d'Europe, une beauté plus riante. Ici, la roche est partout à nue, mais sous les feux du soleil, sous les jeux d'ombre des nuages, elle brille, elle s'éteint, comme le ferait une pierre précieuse dont elle a la pureté d'éclat, la densité sensible au regard. Peut-être vous arrivera-t-il de franchir l'un de ces cols dans la neige. Emmitouflé dans votre manteau, protégeant votre visage contre les rafales glacées, vous suivrez avec confiance la tache noire et rouge du khenif de votre guide qui, pieds nus, insensible à la morsure du froid s'avancera sans hésiter sur l'invisible piste blanche. Puis ce sera la descente sur la pente raide d'un versant abrité, la halte de repos, la sensation de bien-être qui envahit tout le corps, la joie de l'effort accompli. Le guide, lui, s'est accroupi. Sur son visage bruni, desséché, sur ses longues jambes maigres où les muscles et les tendons jouent comme de dures pièces de bois ou d'acier, l'eau ruisselle ; dans sa courte chevelure noire les flocons de neige achèvent de fondre. Il est impassible ; vous essayez quelques mots d'arabe auxquels il ne répond pas, car il ne comprend que le berbère, et sans que le moindre sentiment perce dans son œil dur, il vous regarde vous secouer, vous agiter.
Vous vous remettez en marche. Dans le fond de la vallée rocailleuse, tout en bas, coule le mince ruban d'argent d'un oued au milieu de maigres champs en étage, de gros noyers laissent pendre leurs branches basses dans l'eau écumante. Mais votre regard ne peut encore discerner sur les pentes, le dessin capricieux d'un village dont la couleur se confond avec celle des roches. Votre guide l'a reconnu de loin et, tout à coup, dans le vent des hautes altitudes, vierge de tout bruit humain, éclate un chant étrange, sauvage, une simple phrase bizarrement modulée, arrêtée net sur deux notes répétées dans le haut de la voix. Chant d'une âme inquiète, mais résignée, qui s'offre à son destin. L'homme saute d'une roche à l'autre, la tache rouge de son khenif se balance au gré de ses mouvements souples et toujours la plainte nostalgique se répète, elle devient pour vous le chant même de ce paysage sombre et lumineux à la fois, si semblable aux hommes des races qu'il nourrit, comme eux sans douceur et sans pitié.


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MessageSujet: Re: La Vie Marocaine Illustrée 1932   La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 EmptyLun 23 Jan - 7:23

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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 La_vie20


Sans douceur, ai-je dit, et voilà que maintenant le soleil s'abaisse sur l'horizon, déjà vous dépassez les derniers azibs où les petits pâtres loqueteux, aux visages si graves, pressent pour la nuit leurs maigres troupeaux. Vous descendez rapidement vers le village dont les terrasses, où sèchent pour l'hiver les pêches des vergers, se découpent en carrés jaunes sur le fond sombre. Et sur les pentes du Djebel qui vous fait face, sur les cimes lointaines, c'est pendant un court instant une féerie inimaginable de couleurs qui se mêlent, se fondent. L'air, où flottent les première vapeurs du soir, subtilise les teintes des roches qui semblent devenir, à travers ce voile léger, presque transparentes. Entre les grands pans d'ombre abrupts dressés vers le ciel, ce sont des rouges ponceaux, des ors verts, des jaunes lumineux et limpides. Au ciel, pareil à une voûte d'hématite, les premières étoiles s'allument et brusquement tout s'achève dans les teintes les plus tendres, rosés pâles, mauves, violets sombres.
Vous passez la nuit dans la kasbah de l'Amghar, modeste kasbah celle-là, simple demeure de chef de village. Pourtant, dès que vous passez sous la porte basse d'entrée, dès que vous vous engagez dans les couloirs, les cours, les escaliers tortueux et sombres, vous vous sentez comme perdu, complètement désorienté. De l'obscurité des gens ont surgi, vagues serviteurs, clients du maître, et se sont emparés de votre mule, bon gré mal gré, ils la font passer, elle aussi, sous la poterne, la voilà entraînée vers des réduits profonds et obscurs où vous la croyez à tout jamais disparue. Mais aux étages supérieurs, piaffent d'autres animaux, à travers les planches mal jointes d'une porte, à la lueur douteuse et vacillante d'une chandelle. Vous apercevez des silhouettes de femmes qui vous épient et chuchotent. Enfin, au terme d'un interminable labyrinthe, on vous installe dans le fond d'un obscur réduit, situé au plus haut de la tour de garde. On a étendu là, quelques tapis sur les murs de pisé sont collées des chandelles, des serviteurs silencieux (on n'entend que le souffle rauque de leurs respirations), s'empressent d'entasser des branches d'arar au centre de la pièce et bientôt la flamme fuligineuse jaillit. Fumée difficilement supportable peut-être, mais l'arar en brûlant dégage un si délicieux parfum! Par l'étroite ouverture d'une fenêtre grillagée arrivent jusqu'à vous le murmure de la rivière et le bruit confus que font aux étages inférieurs et dans les cours, les allées et venues des serviteurs. Vous vous penchez, ça et là, la lueur d'une torche ou d'une grossière lanterne anime de reflets fauves et mouvants les murs délabrés. Et c'est au creux de la profonde vallée, l'écho diffus de mille bruissements mystérieux qui montent vers le ciel invisible, s'exhalent comme le soupir de la montagne.
Peut-être vous sera-t-il donné d'assister à quelqu'une de ces fêtes, mariages, moussem, fête d'un saint local, qui se prolongent jusqu'à l'aube. Manifestations d'une joie naïve et sauvage. Tout le village est rassemblé dans la cour intérieure de la kasbah. Le pied des murailles, mal éclairé, déchire l'ombre environnante d'un rideau rouge. Une vingtaine d'hommes vêtus de blanc s'alignent, l'un d'eux lance, d'une voix incroyablement aiguë, le court motif d'un chant improvisé ; un silence, et tous les autres reprennent le refrain monotone, interminablement, et le rythment de tressaillements brusques de leurs épaules. Sur ce fond mouvant où jouent les couleurs chaudes et sobres, fondues dans l'ombre, quelque acrobate professionnel trace l'arabesque fantaisiste de ses bonds qu'accentuent les coups sourds frappés sur les tambourins...
Le lendemain, dans la joie claire du matin qui sait tout de même sourire dans ces austères montagnes, vous vous en retournerez vers Zercten, ou vers Asni, ou vers Mouldight, où le car vous prendra et en quelques heures, vous ramènera à Marrakech. Et si la fatigue ne vous a pas abattu, peut-être irez-vous le soir à l'Aguedal ou à la Ménara, de là, vous verrez au loin, dans la clarté lunaire, se profiler sur le ciel cendré la grandiose architecture de l'Atlas. A l'âpre et violente poésie de la montagne succédera un plus mol enchantement. Alors peut-être pourrez-vous confondre dans un même hommage, comme l'a fait un voyageur, la douceur des roses de Marrakech, avec celle des roses de Chiraz...

Jacques FELZE

Dessins à la plume de Th. Jean Délaye.



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TATOUAGES DE FEMMES

Ils sont comme des bijoux bleuâtres et tièdes, ciselés sur la chair, qui font ressembler les berbères nues à des idoles hindoues.
Ils sont les « sept fleurs magiques qui attirent l'amour ».
Ils sont des ornements de sorcellerie et le Koran leur jette l'anathème, menaçant des pires brûlures de l'enfer, les parties tatouées du corps des femmes.
Et pourtant, la Maallema qui les traça un jour de printemps sur les bras des jeunes fiancées berbères et en fit comme deux reptiles aux dessins bleutés, déploya tous les arcanes d'un rite.
Après avoir, un jour, apporté une offrande votive d'huile et d'œufs au marabout vénéré de sa tribu, elle s'étendit, pour la nuit, auprès de son tombeau. Elle repartit le lendemain, instruite en son art par la mystérieuse influence du saint.
Alors, elle a cherché la sève des ceps de la vigne, elle a brûlé le laurier rosé pour en faire une poudre de charbon. Elle a recueilli, au creux d'une coupe, le noir de la fumée de l'encens, et, de son aiguille acérée, elle a fait fleurir aux fronts des femmes, le « dessin qui rend fou d'amour ».
Dans la brûlure sanglante de ses millions de piqûres d'aiguille, elle a brodé les corps des femmes de l'infini de ses signes bleus.
Le mince dessin enlumine l'ovale du visage, courre sur les mains, les bras, la poitrine, le ventre et les jambes.
Chacune des figures est cernée, posée, finie. Chaque signe précis à sa signification et son nom. C'est un enroulement innombrable de signes magiques, conjurateurs, nés peut-être d'un rite d'initiation.
Mais le trouble vient précisément de ceci, qu'ils ne sont pas religieux.
Alors, ne sont-ils qu'un artifice de coquetterie, qu'un maquillage ?
Tous ces signes qui s'entrecroisent ces croix, ces étoiles, ces chevrons et ces dentelures, ne sont-ils faits que pour exalter de leurs méandres bleus, la blancheur des carnations ?
Imitent-ils la richesse des bijoux d'argent : les lourds bracelets, les larges fibules et les pendentifs qui couvrent toute la poitrine ?
Mettent-ils sur les corps des épouses la somptuosité des longs « telfaft » tissés, qui courent au ras des tentes et dont ils reproduisent les dessins ?
Mystère de cette parure inaltérable des femmes berbères que le temps, les ans font pâlir, mais que rien, jamais, ne peut faire disparaître, car elle est gravée dans leur chair, avec leur sang, des aromates et la sève des plantes de leurs montagnes.
Gilbert F. BONS.



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page manquante : Tatouages de femmes Berbères, composition de Gilbert F. Bons.



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- La citerne portugaise de Mazagan.

Les villes côtières du  Sud  Marocain

par JEAN GŒVAERS


Sans doute est-il naturel que la curiosité du touriste qui vient en Afrique du Nord, se porte principalement sur les villes et les régions où l'Islam d'une part, la Berbérie d'autre part, lui présentent leurs monuments, leurs types, leurs paysages les plus caractéristiques. Toutefois en dehors de la ceinture d'hôtels Transatlantiques qui, de Marrakech par Casablanca, Rabat, Meknès, Fez et les oasis du Sahara, menacent la dissidence marocaine, il existe d'autres lieux dignes à plus d'un litre de retenir ce touriste. Ce sont les villes qui s'échelonnent le long de la côte à partir de Casablanca jusqu'au Souss. Azemmour mise à part, ces villes sont pour nous, européens, d'émouvants témoignages de l'esprit d'aventure, de l'héroïsme, des hommes de notre race, qui, au cours des siècles passés, dans des conditions beaucoup plus précaires encores que celles que nous avons connues, osèrent aborder ce pays hostile à toute pénétration et, s'y établir avec une si admirable foi dans l'avenir qu'ils dépensèrent à leurs constructions la même peine, le même soin, le même souci d'art, que s'ils eussent bâti dans leurs propres pays. Mais il n'y a pas que les touristes venus d'outre-mer et qui ne font que passer, il y a les Européens établis au Maroc. A ceux-là, sans se permettre de leur conseiller de mieux apprendre le pays qu'ils habitent, peut-on au moins rappeler que ces villes de la côte sud du Maroc, offrent pour les mois chauds de l'année, un climat plus doux, des plages agréables, des excursions dont quelques-unes sont parmi les plus belles que l'on puisse faire à peu de frais. Tout à l'heure, j'ai cité Azemmour; il n'entrait pas dans mes intentions de parler de cette ville, mais j'aurais trop de regrets si je ne signalais au moins au voyageur parti de Casablanca et qui se dirige vers Marrakech ou Mogador, la grâce si délicate d'Azemmour posée comme une perle dont elle offre les tendres couleurs à l'embouchure de l'Oum er Rbia. On a comparé la situation d'Azemmour à celle de la kasbah des Oudayas ; comme celle-ci en effet, Azemmour est bâtie sur un rocher au bord du fleuve, mais ici, la ligne plus basse de la berge, le cours plus calme de l'eau, les tons plus doux de la roche, donnent à la ville un cachet plus paisible, plus ouvert et plus gai. La route, aujourd'hui traverse l'oued sur un pont. Il y a quelques années encore, il fallait un transbordement qui s'effectuait sur un bac indigène. Un peintre de mes amis me disait dernièrement le pittoresque bariolé qu'offraient ces transbordements. Sur la barcasse s'entassaient les hommes, les chevaux, les paisibles et encombrants chameaux chargés de lourds chouaris d'où débordaient légumes et fruits aux vives couleurs, puis, tout cela partait sur le fleuve limoneux, glissant en biais dans le courant vers la berge rouge et la ville dorée de soleil, sous un ciel d'un bleu très doux. Dépassons Azemmour, quelques kilomètres plus loin nous arrivons à Mazagan. Mazagan, aimable ville moderne propre et assez bien construite, voilà ce que se dit le touriste après avoir longé la belle plage où s'élève un casino réplique modeste de celui de Nice, après s'être rendu ...


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... compte de la situation favorable du port protégé, ainsi que la plage, contre les vagues de la barre, par un éperon rocheux.
A Mazagan, peut-être n'y a-t-il plus aujourd'hui un seul Portugais. Ce sont les Portugais, pourtant, qui au XVe siècle, construisirent la place forte dont les remparts se dressent intacts en avant du port. Place forte battue sur trois de ses faces par le flot, exposée jadis, sur sa quatrième face aux assauts répétés des tribus hostiles. La hauteur des courtines, savamment brisées, les quatre bastions d'angle qui les flanquent, évoquent d'eux-mêmes l'existence pleine d'angoisse qu'ont dû connaître ses occupants lorsque, après avoir colonisé la province agricole qui forme l'arrière pays de Mazagan,l' issue funeste de la bataille dite des Trois Rois en 1578, les contraignit à s'y retirer. Pendant deux siècles encore, ils vécurent dans cette étroite enceinte et ce ne fut qu'au bout d'un siège de trois ans. qu'ils l'abandonnèrent, lassés, plutôt que réellement vaincus. A l'intérieur des murailles de nombreux vestiges de la ville portugaise subsistent, les plus Intéressants ont été dégagés : écussons royaux aux armes du Portugal, restes de vieilles chapelles, une église de style jésuite et le donjon. Mais le monument le plus curieux est certainement la vaste citerne en sous-sol dont les dimensions sont justifiées par les longues disettes d'eau, auxquelles était exposée la garnison. Les voûtes de style gothique, dont les nervures réfléchies par la mince nappe d'eau qui recouvre le sol s'entremêlent harmonieusement, donnent à l'ensemble, une impression de force et la grâce qui évoque en même temps qu'un art militaire consommé, cette ardente foi religieuse que l'on retrouve dans toutes les constructions de cette époque. Les Portugais partis, les juifs s'installèrent dans la citadelle où ils sont restés et les arabes qui construisirent autour donnèrent à la nouvelle ville le nom de Djedida. C'est à la périphérie de cette Djedida, que la moderne Mazagan s'étend. Un vaste plan d'aménagement prévoit le développement de la ville en demi-cercle avec la citadelle pour centre. Il est vraisemblable que l'attrait de la plage conduira les Européens résidant à l'intérieur à se faire bâtir des villas le long de la route côtière. Dotée d'un port de dimensions modestes, mais qui est très bien abrité. Mazagan s'impose comme escale au tourisme nautique qui se développe d'année en année sur nos côtes. Que l'on m'excuse de ne pas parler de la campagne qui s'étend entre Mazagan et Safi. La richesse agricole de cette région, une des plus fertiles qui soit au Maroc, n'échappera pas à certains touristes et les incitera peut-être à rechercher à son sujet une documentation qui sortirait du cadre de cet article.
Quittant Mazagan, après 160 kilomètres d'une excellente route, on atteint Safi. Safi, construite à la retombée sud d'un plateau élevé, qui, du Cap Cantin au Bordj Nador, surplombe à pic l'Océan, s'étage devant nous dans toute sa blancheur dès l'arrivée. A partir de la vieille et imposante Kechla les quartiers descendent comme à l'étroit sur les flancs du ravin de l'oued Mahrouga, vers le golfe, tour à tour étincelant de lumière du soleil ou agité par les hautes vagues blanches et glauques de la barre. Au fond, la falaise du Nador ferme l'horizon.
Safi est restée de longues années fermée aux Européens, aussi l'importance relative du quartier arabe y est-elle très sensible.
Pourtant, plus que Mazagan encore, peut-elle être appelée la Portugaise. Occupée moins longtemps que les autres villes de la côte, elle n'en a pas moins été le chef-lieu d'un diocèse, dont une bulle du Pape Alexandre VI signée en 1499, déterminait les limites. A Safi. les vestiges de l'occupation portugaise sont assez dispersés, peut-être, à cause de la topographie même de la ville que défendaient suffisamment la Kechla et la forteresse du port. On y peut voir, en plein quartier arabe, les restes de plusieurs chapelles et le chœur de la cathédrale épiscopale (que les arabes avaient convertie en hammam pour les femmes). Cette cathédrale construite au début du XVIe siècle sous le gouverneur Joao Luiz par Don Nuno Mascarenhas était du plus pur style manuélin ainsi qu'en témoignent les arcs moulurés ornés d'écussons qui subsistent encore. Ainsi les témoins les plus curieux de l'épopée lusitanienne se cachent-ils à Safi parmi les constructions arabes plus récente. La Kechla elle-même a été remaniée par les Musulmans qui l'ont d'ailleurs décorée de magnifiques plafonds sculptés et peints.
L'activité de Safi, qui longtemps avait mis la ville au premier rang des ports marocains, s'était un peu ralentie depuis notre occupation à cause de l'éloignement des grandes voies du trafic moderne. Cette situation est à la veille de changer par suite de la découverte de gisements phosphatiers dans l'arrière-pays.


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Des travaux importants ont été commencés dans le port et d'ici peu, une voie ferrée reliera Safi à la grande ligne Casa-Marrakech. Le touriste n'attendra pas ces réalisations, si intéressantes soient-elles. Le charme de la vieille Safi, son curieux souk des potiers, les allées et venues de la foule indigène, le retiendront même plus d'un jour, sans doute.
Après Safi, si différente de Mazagan, voici Mogador au milieu de ses dunes, qui ne ressemble à aucune de ses deux sœurs. Mogador que l'on a appelée le Saint-Malo marocain à cause de la situation sur un cap rocheux et des deux îles qui ferment sa rade. Avant même que l'on ne rentre dans la ville on est saisi par le cadre si harmonieux qui l'entoure. Au Nord et au Sud, deux chaînes de hautes collines où le vert sombre d'une végétation forestière touffue tranche sur le rouge du sol, devant soi une plaine doucement ondulée s'abaisse progressivement jusqu'à un vaste cirque de dunes qui prennent parfois sous la lumière oblique du soleil une magnifique couleur dorée, au delà, l'Océan dont le rivage s'incurve suivant la ligne d'une belle plage adossée au rocher sur lequel est construite la ville blanche.
Je ne disputerai pas de savoir s'il y a lieu d'appeler Mogador la Juive, ou la Française. C'est en qualité de prisonnier du Sultan Mohammed ben Abdallah que notre compatriote, l'architecte Cornut, en traça les plans et y laissa quelques monuments sans cachet bien particulier à mon sens. L'épopée française fut marquée plus tard par la siège de la ville en 1844 par le prince de Joinville. Le vestige le plus glorieux et le plus imposant du passage des Européens est, ici encore, Portugais ; c'est la vieille fortification de la Squala, battue par les vents et les lames du large, flanquée de massifs bastions où s'alignent encore soixante vieux canons portant l'écusson royal d'Espagne.
De quelque intérêt que soient ici les monuments européens, j'avoue préférer à leur inventaire détaillé une simple promenade dans la ville. Etroites ruelles bordées de hautes maisons blanches, voûtes sombres qui font penser à des coupe-gorges et qui sont si paisibles ! Aux portes brillent les belles enseignes de cuivre des marchands de laine, d'orge, de sisal et les plaques des consulats. Quand je parcours certains quartiers de Mogador, je ne puis m'empêcher d'évoquer les comptoirs coloniaux de nos vieilles compagnies maritimes.
Je ne sais si le développement économique du Maroc moderne favorisera ou non Mogador. A part le commerce de laine, la nouvelle exploitation du sisal qui a pleinement réussi dans la région et quelques fermes dans le Chiadma, je ne crois pas que le pays soit particulièrement riche. Il est vrai que j'oublie la pêche exceptionnellement fructueuse sur la côte. Mais par la douceur de son climat, par l'agrément et la sécurité de sa plage, par la possibilité — peut-être unique parmi les villes de la côte — de magnifiques excursions, Mogador est certainement appelée à devenir un centre très prospère de tourisme. Il ne faut pas oublier que 170 kilomètres à peine la sépare de Marrakech où la population européenne fixée est déjà assez nombreuse et ira en augmentant. Marrakech a des étés très durs, mais en quelques heures d'automobile, on passe des 35 ou 40 degrés de la Djema el Fna aux 20, 25 degrés de la plage de Bab Sebaa. L'effort que poursuit le Syndicat d'Initiative pour retenir le passager par l'amélioration des hôtels existant, par la création d'un établissement balnéaire moderne (n'a-t-on pas réclamé l'autorisation des jeux), est certainement à encourager.
J'ai parlé tout à l'heure des excursions possibles autour de Mogador. Sans qu'il me soit possible de toutes les citer, il en est une des plus intéressantes, qu'il faut faire connaître. C'est celle du Djebel Amsitten. L'Amsitten est l'un des sommets qui bordent, à environ quarante kilomètres au sud de Mogador, le plateau des Haha. On y accède par la route de Mogador à Agadir, puis par une excellente piste automobile construite depuis peu par le Service des Eaux et Forêts. A mesure que l'on s'élève au milieu d'une végétation dense de thuias et de chênes verts, les vallées pittoresques des Haha se découvrent, parsemées de koubbas blanches et de villages, au nord s'étend, du Cap Sim à Mogador, la tâche jaune pâle des dunes ; à l'ouest, c'est l'Océan, dont l'horizon, de plus en plus reculé, disparaît dans le bleu du ciel. Enfin après avoir dépassé le marabout de Sidi Amsitten, la piste passe sur le versant Sud, l'on atteint le sommet — qui culmine à près de mille mètres — et dans l'est, par delà les plateaux désertiques des Ida ou Bouzia, surgit la puissante silhouette des cimes neigeuses de l'Atlas, seule la côte élevée du Cap Ghir empêche de voir Agadir. Le S.I. de Mogador édifie actuellement sur l'Amsitten une tour observatoire et un refuge aménagé.
Entre Mogador et Agadir, tout le pittoresque pays des Haha serait à visiter en détail. Je ne puis qu'indiquer ici la plage d'Imsouane, les cascades d'Imi n'Imzi et les magnifiques gorges de l'Assif Talmsoult auxquelles conduit une très bonne piste automobile; enfin, la basse vallée de l'Assif Ait Ameur et le village de Doumelt enfoui sous les palmiers et les lauriers-roses.
A Agadir, nous atteignons l'extrême-sud de nos possibilités touristiques. Bâtie sur le dernier bastion de l'Atlas, au-dessus de l'Océan, Agadir est à la porte du Souss. Quelques privilégiés iront visiter les jardins d'oliviers, le Dar Baroud de Taroudant et la curieuse ville de Tiznit dont l'architecture est déjà tout imprégnée de l'influence soudanaise, ils auront encore devant eux, pour les tenter, les chaînes brûlées de soleil de l'Anti-Atlas au-delà des
quelles commencent les oasis saharienres du Dra. Après avoir visité la kasbah d'Agadir, plus curieuse par sa situation que par son intérêt propre, et le village de Founti, ils pourront essayer de regagner Marrakech par Oued Issem, Bigoudine et Imi n'Tanout. Mais ici, il nous faudrait parler de tous les enchantements de l'Atlas !
Jean GŒVAERS.

Dessins à la plume de Th. J. Delaye.




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Les   Arts  Marocains  et  leurs  Industries

Chacune des manifestations de l'art marocain a sa technique propre, son caractère particulier, suivant qu'elle appartient aux deux grandes familles bien distinctes des artisans indigènes : les citadins et les ruraux, les uns et les autres éminemment artistes mais de traditions, de conceptions et d'origines différentes. Les premiers travaillant pour des maîtres riches et puissants ont leur inspiration assujettie au goût du faste et du luxe et leurs travaux présentent une grande variété de forme de lignes et de couleurs, les seconds, peuple autochtone de berbères sédentaires ou nomades se conforment dans leurs œuvres aux nécessités pratiques de l'existence et donnent à celles-ci une facture plus sobre.
Cette différence de « style » ressort surtout des tapis et des poteries qui constituent chez les ruraux leurs principales industries, celles des tissus de soie, les broderies demeurent pour eux un commerce de luxe qu'ils abordent rarement tandis que celui de la laine semble au contraire être leur apanage depuis des temps plus éloignés.
L'industrie citadine des tapis marocains semble s'être établie à partir du XVIIIe siècle et peut être avant ; elle s'inspire des spécimens importés d'Asie Mineure, tandis que la fabrication du tapis berbère autochtone lui est déjà antérieure de plusieurs siècles. Parmi les premiers, ceux de Rabat, de Casablanca, de Médiouna, sont les plus représentatifs des traditions orientales étrangères avec un grand développement de dessins courbes, une flore savante et ordonnée brillamment polychrome.
Les tapis berbères du Maroc Oriental, ceux du Moyen et Grand Atlas sont reconnaissables à leur aspect plus rude, à leur texture épaisse et à leur décoration purement géométrique ; ces caractéristiques sont généralement répandues, mais il arrive que la technique et la coloration des tapis ruraux changent suivant les tribus où ils sont confectionnés : tapis à toison blanche chez les Béni Ouaraïne, blanche avec des oppositions noires marrons ou brunes chez les Guigou, pelage fauve chez les Marmouchas, pourpre chez les Zaïans, composition géométrique alternée chez les Béni M'guild, monochromie flamboyante des Chichaouas semée d'arabesques syncopées (Haouz de Marrakech) ; les Glaoua sont polychrome ou bichrome (noir et blanc).
Enfin, les motifs rectilignes caractéristiques de l'art berbère, sont reproduits dans le tissage des tentures, des vêtements, des couvertures où ils se répètent par bandes parallèles à fond uni ou décorées d'ornements transposant ceux des tapis.
On retrouve sur les poteries marocaines, cette différence d'ornementation, linéaire chez les ruraux, d'une grande richesse de traits et de couleurs dans la décoration urbaine, toute de souplesse et de variété ; tandis que la technique des ruraux s'inspire de géométrie pure, la technique citadine trouve au contraire ses éléments décoratifs dans la stylisation d'une flore fantaisiste.
Comme celle des tapis, l'industrie des poteries berbères remonte fort loin et s'adapte à l'origine, à un caractère d'utilité domestique. Quelques tribus du Riff, du Zerhoun, notamment les Tsouls et les Branès la pratiquent encore sans modification aucune dans la main-d'œuvre. La confection de ces poteries dans les montagnes du Maroc Septentrional revient toute entière à la femme qui façonne à la main les vases et les plats servant aux besoins du ménage ; elle y apporte après dessiccation de l'argile, une ornementation ...


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... fruste de couleur brune ou rouge qui rappelle celle des poteries pré mycéniennes d'Asie Mineure.
L'essor de la céramique marocaine citadine serait dû aux dynasties almoravides et Almohades. au Xe et au XIe siècles à en juger par des découvertes récentes à Marrakech et à Salé d'un lot important de jarres et de margelles de puits vernissées analogues à celles qui ont été trouvées à Tlemcen et à Cordoue.
La céramique citadine principalement développée à Fès et à Sari est employée depuis l'époque Mérinide par la décoration architecturale sous forme de revêtements polychromes, de dallages en mosaïques, de bordures de tuiles vertes au faîte des palais des médersas, des mosquées ou des koubbas ; décoration utilisée de nos jours dans les demeures des riches notables et dont les motifs se retrouvent sur nos bâtisses modernes.
L'industrie citadine a fourni de beaux échantillons de faïence émaillée dont les principaux éléments décoratifs semblent être puisés dans l'art Hispano-Mauresque ou encore dans celui de la Perse et de l'Asie Mineure ; ces pièces que renferment de nombreuses collections et qui ont figuré brillamment à l'Exposition de la Manufacture Nationale de Sèvres ont consacré de longue date la renommée de la céramique marocaine.
Les mêmes sources d'inspiration orientale mélangées aux vieilles traditions, aux influences ethniques locales dont la persistance conserve aux formes de l'art marocain un caractère essentiel, se retrouvent dans l'industrie presque exclusivement citadine des tissus de soie et des broderies.
Les broderies marocaines offrent une grande variété de points particuliers à chaque ville ou région où elles sont exécutées.
Celle de Rabat, polychrome, traitée au point large et plat reproduit un feuillage épais et lustré ; celle de Fès est monochrome et se travaille au fil compté ; ses dessins géométriques sont d'une grande minutie. Meknès et Salé sont spécialisés dans la broderie au point natté d'une polychromie riante. La broderie de Chechaouene, s'inspire directement des traditions hispano-mauresques, tandis que celle de Tétuan au coloris éclatant étalé sur des étoffes de soie ou du taffetas de nuances vives, nous ramène à celles d'Asie-Mineure.
Ces broderies sont faites le plus souvent sur des tissus fragiles qui nuisent à la solidité et à la conservation du travail. Plus durable sont les lourdes et somptueuses broderies d'or, d'argent ou de soie sur les velours, les cuirs et les draps qui servent à la confection des coussins, des sacoches, des babouches de femmes et aux tentures murales.
Les cuirs du Moghreb ont de tout temps joui d'une grande renommée ; leur industrie, la plus active à notre époque et la plus empruntée, non sans dommages, par la fabrication moderne destinée à l'exportation, produit des objets divers tels que coussins, reliures, portefeuilles, sous-mains, etc...
Le cuir est repoussé, estampé au poinçon, enluminé, ou brodé de fils de soie, de métal ou de grosse laine. Les « Marocains » de Marrakech sont caractérisés par l'excision de cuirs préalablement teints; les tons vifs des motifs viennent s'opposer aux fonds incisés. C'est dans cette ville et à Fès que se retrouvent le mieux les traditions anciennes de l'industrie du cuir, dans les reliures enluminées ou dorées au fer.
La peinture très en faveur dans la décoration des boiseries, se retrouve sur les objets mobiliers de la maison : tables basses, étagères, divans, chaises de mariée, coffres et coffrets ; elle s'apparente par son inspiration, ses coloris, le choix de ses motifs aux enluminures à ornementation florale des livres et des manuscrits.
Les bijoux, le niellage et le damasquinage des armes, le travail du cuivre et du fer occupent une large place dans l'industrie du métal. Les dynasties almohades, mérinides et alaouites ont même utilisé le bronze dans la décoration des mosquées et des médersas. Certaines portes et lustres de cette époque, constituent de véritables œuvres d'art.
La ferronnerie communément employée dans la fabrication des grillages de fenêtres et des lustres reste fidèle aux traditions hispano-mauresques tandis que celle des objets de cuivre, très répandue témoigne dans les œuvres anciennes d'une certaine originalité ethnique.
Aujourd'hui, le travail du cuivre fournit en abondance des modèles courants affadis par un commerce mercantile qui s'en empare à l'usage des touristes et pour l'exportation : plateaux, braseros, bouilloires, aiguières : l'alliage du cuivre rouge et du cuivre jaune, donne heureusement encore de beaux effets de couleurs qui relèvent la banalité assez fréquente de la ciselure.
Les bijoux citadins sont presque uniquement fabriqués par des orfèvres juifs : leur technique et leur forme s'assimilent à celles de la joaillerie courante dans l'Afrique du Nord. Le filigrane d'or ou d'argent, ou plus modestement le cuivre doré ou argenté, les gemmes lourds et éclatants servent à composer ces bijoux d'une valeur de richesse et d'éclat plutôt que d'harmonie réelle et de goût. Certains bijoux de Fès et de Meknès qui s'inspirent de la Renaissance espagnole sont cependant d'une grande beauté sans atteindre encore à l'originalité profonde des bijoux berbères.
Ceux-ci sont en argent niellé, en filigrane soudé sur argent : de gros cabochons de même métal ou des pierres ordinairement rouges, les ornent avec des décors géométriques et floraux ciselés par masses, d'oppositions noires et blanches le plus souvent d'inspiration hispano-mauresque. Ces bijoux consistent en fibules, agrafes, frontals, bagues, bracelets de bras et de chevilles.
Ces arts divers qui viennent d'être cités sommairement affirmant la plupart un respect étroit des traditions millénaires et de leurs ...


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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 La_vie27

- Tapis citadin de Rabat (Collection du Musée des Oudaïas)

- De gauche à droite : quelques spécimens de tapis ruraux.
Tapis zaïane (Moyen-Atlas), tapis chichaouene (Haouz de Marrakech}, tapis du Moyen Atlas, tapis glaoua (Haut Atlas),
tapis à bandes parallèles du Haut Atlas.



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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 La_vie28

- Broderie de Meknès

- Broderie de Rabat au point plat — fabrication moderne.


... disciplines, trouvent de nos jours une orientation originale dans les premiers essais d'un art individuel qui échappe à l'abstraction habituelle de la décoration marocaine.
Quelques-uns, artistes bénévoles, sans aucune formation artistique, mais qui n'en témoignent pas moins d'une certaine habileté, ont révélé leur talent, dans des traductions picturales vivantes et pittoresques des scènes familières et du décor qui les entourent. Ils les ont reproduits sur des toiles, premières ébauches d'un art inédit avec l'audace ingénue et la fraîcheur d'expression des primitifs quant au trait et à la composition, mais on retrouve dans les coloris, le sens inné du peuple marocain pour tout ce qui est assemblage de couleurs.
En exceptant cette dernière manifestation d'individualisme, pour le moins inattendue dans l'art marocain, ses autres formes restent liées au passé ; leurs industries modernes continuent avec l'aide et la sollicitude du Service des Arts Indigènes à en assurer une reproduction fidèle aux techniques et aux modèles anciens.
L'atelier de fabrication du Service des Arts Indigènes reproduit les pièces anciennes qui forment sa collection ; les dessins et les maquettes, les mises en cartes de celles-ci sont largement répandus dans les milieux des artisans indigènes conservant ainsi à leurs travaux leur valeur d'origine et leur caractère local.
Les écoles professionnelles des Filles rattachées à la Direction Générale de l'Instruction Publique qui ont fonctionné dès l'établissement du Protectorat en 1912, complètent cette œuvre de vulgarisation et de rénovation en enseignant à leurs élèves, les techniques premières des broderies et de tissage. Enfin, les écoles professionnelles de garçons, préparent des ouvriers habiles dans les métiers d'ébénisterie, de marqueterie, de dinanderie et dans les travaux du cuir.
L'Ecole Professionnelle de fillettes musulmanes de Salé, notamment sous la direction de Mme Amor et de Mlle Bouillot a donné une poussée particulière à ces travaux qui marquent aujourd'hui des progrès surprenants. Des expositions annuelles, organisées par les dirigeantes dévouées de cet ouvroir permettent au public de se rendre compte de la valeur esthétique des ouvrages exposés et de leur adaptation savante et délicate à l'ornementation du costume féminin moderne, ainsi qu'à celle de la lingerie d'ameublement.
Dans le même ordre d'idée, l'initiative privée de Mlle de Lens établie à Meknès, a fait merveille.
Mlle de Lens s'est spécialement attachée a protéger les industries d'arts féminins et à leur donner un essor nouveau. C'est un véritable relèvement artistique que Mme de Lens, l'écrivain bien connue avait avant sa disparition prématurée si bien organisé ; sa sœur continue cette œuvre suivant les mêmes directives et obtient des résultats marquants. Grâce à elle, les broderies locales se réveillent et trouvent leur place et leur utilisation dans le décor et la parure de la maison et de la femme.
Les initiatives de cette artiste ont trouvé également une très heureuse utilisation de bien des vieux bijoux arabes dans les objets et accessoires de l'habillement féminin moderne. Tous ces débouchés nouveaux ont pu remettre en vigueur plusieurs de ces métiers locaux et donner une impulsion vigoureuse à l'activité de leurs artisans.
Dans le domaine commercial des industries de luxe et des arts décoratifs en général, plusieurs européens ont essayé avec succès leurs adaptations au goût du monde moderne.
Les outils et les techniques furent rajeunis, les matériaux soigneusement triés et sélectionnés, le soin apporté à la confection spécialement surveillé.
Des exemples particulièrement riches sur les possibilités futures se trouvent surtout chez un artiste superbe depuis de longues années établi à Marrakech : Jacques Majorelle.
Cet animateur infatigable et supérieurement doué a donné un essor nouveau aux arts du cuir dans cette région du Sud.
Aussi bien en broderies de soie sur des cuirs teints et tannés suivant les procédés européens, que dans ses travaux brodés de lanières polychromes ou ses objets d'ameublement, ce technicien s'est montré un novateur.
Dans un autre domaine, celui de la céramique un artiste ayant fait de brillantes étude à notre Manufacture Nationale de Sèvres, s'est attaché à renouveler les galbes, les harmonies de proportions et de couleurs ainsi que la qualité d'exécution des poteries communément appelées « de Safi ».
Dans cette ville, M. Lamali a créé non seulement une branche commerciale et artistique très importante, mais aussi une école professionnelle indigène fort prospère et admirablement dirigée. Les productions du céramiste Lamali ont connu à l'Exposition Coloniale un succès mérité et c'est par milliers que ces petites poteries élégantes, originales, ont été enlevées par des amateurs de bon goût.


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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 La_vie29

- Bijoux berbères du Moyen Atlas.

- Plat céramique de Fès.


Dans l'industrie du cuir sont à citer également les belles maroquineries de M. Lanke, titulaire d'une médaille d'Or à l'Exposition Coloniale, et destinées spécialement à l'exportation. M. Lanke a créé à Rabat de vastes ateliers qui occupent une centaine d'ouvriers formés à ce métier. Leurs procédés de poinçonnage et de décoration suivent rigoureusement la technique et l'inspiration artistique marocaine, employant à cet effet l'outillage et les modèles décoratifs familiers aux indigènes.
Le soin particulier apporté par cet artiste à la confection des objets de cuir leur assure une vente importante à l'étranger, au Danemark, en Angleterre, en Allemagne et en Amérique.
Les ateliers de M. Lanke produisent principalement des sacs à mains, des portefeuilles, qui joignent à leurs qualités de solidité et de composition pratique, un caractère d'art qui justifie leur vogue. De beaux coussins sont aussi fabriqués dans ces ateliers, en cuire multicolores, brodés et rebrodés de grosse laine.
Il convient de souligner l'énorme effort poursuivi dans les industries si vivantes du tissage des tapis. D'autres artistes s'occupent de cette spécialité marocaine, tel que Mme Boudin, installée à Rabat, dressant toute une équipe de « Maalmas » et de jeunes apprenties capables maintenant de lire et de suivre les maquettes au carreau de tapis de toutes régions.
La Société Africaine de Filature et de Tissage dont les ateliers conçus et bâtis à la moderne se trouvent aux abords de Rabat, travaille avec succès dans le même sens et obtient de merveilleux résultats de solidité, de finesse et de goût dans cette branche si intéressante.
Pendant que l'effort civilisateur et pacifique de la France se poursuit au Maroc, l'influence de la nation protectrice, dirigée aussi vers les Arts, continue à leur assurer l'appui matériel et les encouragements qu'ils trouvèrent, dès le début dans le haut intérêt que leur témoigna le Maréchal Lyautey. Le Service des Arts Indigènes a été spécialement créé pour recueillir tous les éléments des techniques, les soutenir, les classer, les conserver et les renouveler. Après avoir réuni des collections groupées dans des musées qui assureront leur conservation, ce service s'est occupé des directives à donner aux artisans. Les traditions de bonne méthode, de choix des matériaux et du soin à apporter à la confection des ouvrages, sont de nouveau inculquées aux maîtres-ouvriers, par des inspecteurs régionaux les visitant.
Une forme nouvelle de la vie artistique marocaine est également apportée par tous ces artistes européens que les arts décoratifs locaux ont attachés au Moghreb et qui enseignent de nouveaux thèmes à leurs nombreuses expressions.
Ce mouvement empêchera la cristallisation de ces arts multiples et particuliers du Maroc et leur donnera de ce fait le renouvellement qui est indispensable à toute vie artistique.
A ce point de vue aussi, le Maroc semble fort bien parti, et cette évolution ne paraît pas inférieure à celle qui se produit dans la vie économique du Protectorat.

Jane de MAZIERES.


Les ouvrages suivants parus sur les arts marocains ont permis la composition de cette élude sommaire, ainsi que les notes et documents graphiques aimablement communiqués par leurs auteurs :
« Les Arts Décoratifs au Maroc », par Henri Terrasse et Jean Hainaut (Laurens Editeur-Paris) ;
« Le Jardin et la Maison Arabe », par Jean Gallotti (Albert Levy, Editeur -Paris) ;
« Pour comprendre l'Art Musulman au Maroc », par Prosper Ricard. Chef du Service des Arts Indigènes (Hachette, Editeur).
Notes de M. Jean Baldoui, Inspecteur du Service des Arts Indigènes.


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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 La_vie30

COFFRES D'AUTREFOIS

Dans les dépenses du mariage de Blanche de Bourbon avec le roi de Castille, en 1352, sont mentionnés plusieurs meubles destinés au service du roi ou à celui de la nouvelle épousée. Le peintre du roi, Girard d'Orléans, auquel est faite la commande, se charge de la sculpture sur bois, ainsi que de la peinture. Le même artiste exécute pour Blanche de Bourbon :
...deux chaaires couvertes de velluau vermeil, l'une à dossier pour attourner ladite dame, l'autre pour soi laver, qui furent peintes d'azur et les têtes estannelées de fin or, ainsi qu'une demoiselle à attourner (on voit que le mot est depuis longtemps en usage) et une nécessaire couverte de cuir et enveloppée de drap: (1)
(Description de l'Afrique, tierce partie du Monde. Ecrite par Jean-Léon African. « De la grande Cité du Maroc » (Marrakech ). Tome I, page 203. (Description d'un palais).
Et en cetuyci y avait une belle chambre dont le diamètre est compassé en quadrature, ceinte de certaines galeries et fenetrages à claires vitres de divers couleurs, avec aucunes tables et armoires autour d'icelle, entaillées, peintes et dorées de fin or et pur azur en plusieurs partie.
Ces deux descriptions, faites à deux époques voisines, tenant compte du recul du temps, nous donnent pour les intérieurs et les meubles conçus et exécutés par des maîtres ouvriers d'origine et de religion différentes, des points de similitude qui nous permettent de supposer que les demeures des seigneurs de France et des maîtres de l'Islam étaient meublées de façon identique. A cette époque bien lointaine, la science n'avait pas encore modifié et transformé les occidentaux. Les médinas du Maroc d'alors et les villes des provinces françaises avaient beaucoup de ressemblances. Qui n'a éprouvé à Fès, cette impression étrange, angoissante, d'un retour en arrière. Vision moyenâgeuse inquiétante, de ruelles étroites et noires, saies, encombrées de gens affairés sans égard pour le promeneur, bordées de minuscules boutiques où se groupent les Corporations. De même, les bourgeois et les grands seigneurs de Fès avaient une vie matérielle sensiblement identique à celle de chez nous — mises à part, les coutumes religieuses.

Le coffre et la malle,
pour porter les materaz, les bahuts pour les sommiers de la chambre, le coffre pour les chauces et les sollers, les bouges (sortes de malles) à mettre les aisements, le bahut pour les espices.
devaient ressembler étrangement aux coffres ventrus et enluminés, sculptés et tournés, qui servaient à ranger vêtements et provisions des habitants des villes du Maghreb. Seigneurs et bourgeois du royaume de France ou de l'Empire du Maroc, vivaient et se déplaçaient de même façon. Les coffres « bauges » et « materaz » étaient bâtés sur des mulets et la famille partait sur les pistes magrébines ou sur les chemins de France, à cheval ou en litière, en escortant le convoi qui portait la richesse de la maison.
Dans son voyage de Fès à Dara, en 1507, Jean Léon l'Africain, nous décrit un intérieur de Fez :
...mettant dans les chambres des armoires du plus beau boys qu'ils puissent trouvé, de la longueur et largeur de la chambre — là où ils serrent les choses qui leur sont plus chères et agréables, après avoir fait peindre bien gentement icelles armoires. Et il y en a plusieurs qui les demandent de la hauteur de trois pieds seulement, afin qu'ils puissent asseoir et accomoder lit au-dessus (page 67, tome 2).
Ou encore :
Ils donnent aussi huit materas en estant mis quatre pour ornement sur les armoires qui sont aux angles des chambres (page 121) — (coutumes observées à contracter et faire mariage).
Ces armoires étaient des coffres. Peintes, sculptées, dorées ou simplement de bois brut de cèdre « le meilleur bois du monde » dit le chroniqueur, car il résiste aux vers et dure éternellement », elles devaient ressembler beaucoup aux coffres anciens, menuisés et façonnés par les maîtres charpentiers-huchiers, coffres peints et enluminés si le meuble était commandé par le seigneur, ou de destination religieuse. Il reste encore en France quelques-uns de ces témoins de l'habileté des maîtres huchiers d'autrefois. Ce sont des meubles religieux ayant échappé à la tourmente révolutionnaire.
L'armoire de l'église d'Obazine du XIIe siècle est de bois de chêne, munie de pentures de fer forgé. Quelques traces de la peinture dont elle était autrefois parée pour lui enlever son caractère primitif, sont encore visibles.
L'armoire de Bayeux était aussi ornée de peintures, sujets blancs sur fond rouge.
Celle de la cathédrale de Noyon, contemporaine de la première moitié du XIIe siècle, est la plus belle, entièrement peinte à l'intérieur et à l'extérieur sur toile marouflée et non pas directement sur le bois, comme les autres coffres.
A l'hôtel Carnavalet, se trouve un splendide coffre dont la peinture a entièrement disparu, mais qui est encore ornée de pentures splendides.

(1) « Le Meuble », par de CHAMPEAUX



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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 La_vie31

En haut : Armoire de l'Eglise d'Obazine. XIIe siècle. En plein bois de chêne, munie de pentures et de verrous à serrure. Il subsiste encore quelques traces de peintures.

Au milieu : Coffre en bois d'Arar, région de Rabat-Salé. Démarcation des coffres de la Renaissance espagnole. Sculptures et tournages. Sans ornementation de fer. Les coffres anciens devaient avoir la décoration sculptée entièrement peinte, et être exécutés par des esclaves chrétiens capturés par les corsaires salétins.

En bas : Musée Carnavalet. Coffre revêtu de pentures en fer XIIIe siècle, provenant de l'Abbaye de Saint-Denis. Ornementation dans le style de celle des portails de N.-D. de Paris. Devait être autrefois entièrement peint.


Nous voilà bien près du coffre de Rabat et de Salé. Celui-ci est en bois d'arar, les plus récents sont polis ou vernis. Mais il en reste encore de bien vieux, de bien délabrés, dont le bois aujourd'hui noirci, a dû supporter dans ses fines entailles l'or et l'azur.
En France, la sculpture sur bois jusqu'au XVe siècle et même au-delà, était entièrement peinte. Et on s'explique facilement l'enluminure venant rendre plus précieux un travail grossier, fait avec de pauvres outils comme on en voit encore dans les mains de vieux artisans indigènes.
Car les jeunes ont depuis longtemps adopté la varlope moderne, et sans un arrêté du vénéré Pacha de Fès, on entendrait les vieux murs sombres et luisants de la Médina, renvoyer les échos d'une barbare raboteuse mécanique.
J'aimerais voir notre service des Arts Indigènes essayer de renouer l'antique tradition et « faire peindre bien gentement icelles armoires ».
Que de choses délicieuses, d'harmonies discrètes n'y aurait-il pas à rechercher ; certains vieux auvents sculptés de Fès portent encore les traces bien effacées des peintures d'autrefois.
II faudrait ne plus penser aux infâmes bariolages de nos actuels peintres indigènes, couvrant les vieilles caisses d'essence, sciées et clouées sans art, d'horribles dessins dont la géométrie ahurissante n'est plus là que pour rappeler au touriste que les vieux maîtres de l'arabesque et du compas sont en train de s'éteindre au fond de leurs échoppes sombres, telles que Léon l'Africain nous les a si scrupuleusement décrites.
J. H. DERCHE artiste-décorateur.



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L'ADORATION DES MAGES

par REMY BEAURIEUX

A  ma chère petite  Monique.

Or, les rois mages ayant suivi l'étoile s'étaient rencontrés en un lieu qu'on  appela depuis   :   «  Lieu de la Rencontre  »,  puis, toujours sous la conduite de l'astre miraculeux, ils avaient fait route ensemble jusqu'à Bethléem. Maintenant, au terme de leur voyage, entrés dans l'étable au zénith de laquelle s'était arrêté le signe céleste, Gaspard, Melchior et Balthazar, s'étaient agenouillés devant la crèche d'un seul mouvement, et les gens de leur suite, ceux qui portaient,    comme     il est dit,   l'or et l'encens, les   avaient imités,   si bien que l'étable étant trop petite pour contenir  tout ce monde,  la lueur intense de l'étoile éclairait sur la neige du dehors des formes sombres d'hommes prosternés.
Auprès du divin berceau, Gaspard leva le premier la tête. La clarté surnaturelle qui émanait de l'enfant-dieu, mit soudain en lumière sa face large et courte sous un épais bonnet de fourrure, accentua le relief de ses pommettes saillantes et de ses dures mâchoires, et les bergers, qui étaient arrivés devant la crèche avant les rois, s'émerveillèrent de ses yeux bridés et cruels, de sa moustache rare, dont les pointes retombaient carrément sur le menton dès la commissure des lèvres, et de l'armure de mailles qu'ils voyaient briller par l'ouverture du manteau fourré de zibeline.
Gaspard avait son royaume en pays lointain, par delà le Pont Euxin et le Caucase, dans la direction du Nord-Est, et c'était un roi guerrier. A la pointe de brusque chevauchées, il avait conquis d'immenses pays, jalonné d'ossements des steppes qui semblaient n'avoir pour limites que l'endroit où cessait l'épouvante qu'il inspirait, posé ses bottes de feutre sur la nuque de cent rois, et quand ses devins lui avaient conseillé de suivre l'étoile qui le mènerait aux pieds du vrai dieu, il y était parti comme à une conquête, bondissant sur son petit cheval à poil rude, et à son cri guttural, ses gardes, dressant sur l'horizon des pistes la herse drue de leurs lances, s'étaient ébranlés derrière lui.
Et le roi Gaspard considérait avec stupeur ce nouveau-né allongé sur l'humble paille. Bien que, par politique et par politesse, il se contraignit à demeurer impassible, un trouble profond l'agitait. « Ainsi, c'était donc là ce dieu que ses devins lui avaient prédit, et vers qui l'avait guidé un astre errant. Mais ce dieu n'était qu'un tout petit enfant, un enfant aussi faible, aussi désarmé que ceux qui, après ses victoires, servaient de jouets aux cavaliers de ses hordes, et qu'ils fracassaient gaillardement après les avoir balancés par les pieds contre les murs des villes prises,  pour  faire  des
exemples    ou    simplement    p o u r   assouvir leur fringale de meurtres. Un bambin de cette  sorte  serait  le  vrai dieu ! Quelle dérision! Les  dieux ne   revêtent point   d'ordinaire   l'aspect de la faiblesse. Ils ne  reçoivent   pas   sur leur  corps    le    souffle tiède du bœuf  ;  ils ne sourient pas   comme souriait    celui-là    aux yeux   féminins   et   aux longues oreilles de l'âne,   mais   bardés   d'armures d'or et brandissant la lance ou le glaive, ils chevauchent des dragons à peine moins redoutables  qu'eux, écailleux,   ailés,   hérissés de piquants et crachant   le  soufre.    C'étaient ces dieux-là,  les siens   jusqu'alors,   qui pouvaient     en     bonne justice, poser leurs bottes   sur   la nuque   des rois   comme   lui.   Décidément, ses devins s'étaient  moqués   de   lui. Il les ferait asseoir sur le  pal  dès  son  retour. Déjà il allait se relever et repartir, prompt comme    une    bourrasque, quand le regard de l'enfant s'attacha soudain à ses yeux bridés et   fixa   les   prunelles d'Agathe   dure qui   faisaient baisser tous les fronts d'un regard à la fois si clair, si pitoyable et si souverain que Gaspard sût alors, que ses pensées avaient été comprises par cet enfant-sorcier, et qu'envahi d'une vague appréhension, il se rappela à propos le miracle de l'étoile   errante.   Après tout, si   cet   enfant était le vrai dieu, il saurait sans doute se défendre. Une sorte d'attendrissement s'emparait du roi barbare. Il lui semblait qu'il aurait éprouvé une volupté singulière à combattre pour ce berceau.


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La Vie Marocaine Illustrée 1932 - Page 2 02-la_10

- Ces lingots, le roi Melchior les contemplait avec avidité de ses yeux sombres et brûlants...


Sous sa pelisse, sa main rapide tâta la garde de jade du poignard courbe, s'assura discrètement que la lame jouait dans le fourreau. Alors, rassuré, il tourna légèrement la tête vers ses hommes et ceux-ci poussèrent en rampant vers l'enfant les lourds lingots d'or.
Ces lingots, le roi Melchior les contemplait avec avidité de ses yeux sombres et brûlants qui semblaient emplir toute sa face et qui contrastaient étrangement avec le paisible ruissellement de sa barbe blanche. Sa haute tiare brodée, la lourde chape orfévrée, sous laquelle pliaient ses minces épaules, ses belles mains lourdes de bagnes trop nombreuses, les parfums que le moindre de ses gestes dégageait de lui disaient assez l'Orient d'où il était venu. Son royaume était en effet du côté d'Ophir, au bord d'une mer dont les flots rejetaient sur les plages, le corail, l'ambre et les perles, sur les rivages de laquelle s'ouvraient des ports plus riches que Tyr, plus ornés que Corinthe, plus sûrs que Tarente, des ports faits pour recevoir toute l'opulence du monde oriental. Et lui, le vieux Melchior, que les plus riches d'entre les riches avaient élu roi parce qu'il était le plus riche et le plus avisé d'entre eux, il administrait avec prudence et froideur cet Empire que des convoitises étrangères et internes menaçaient sans cesse. D'habiles négociations, l'or à propos répandu éludaient la violence, désarmaient les haines, achetaient les secours ou les trahisons ; sa ferme patience et ses prestiges de magicien maintenaient les pauvres dans la sujétion des riches et dans l'oubli de leurs droits. Car il était vraiment un mage, héritier de traditions millénaires, versé dans les connaissances divines et humaines, rompu par une longue pratique à sonder les astres et les cœurs.
Il avait présagé l'arrivée du nouveau dieu, non sans une sourde inquiétude, et aperçu le premier l'étoile. Et tandis que sur son ordre les suffètes armaient sa galère dans le port, il se promenait sur le môle en attendant d'un air soucieux et pensif sous le grand parasol tenu haut par un esclave et dans le battement des éventails balancés sur lui qui avaient l'air de vouloir relaver la brise de mer. Maintenant, ses yeux détachés des lingots s'étaient posés sur l'enfant. En vérité, il ne pouvait pas douter qu'il fût bien un dieu, mais cette étable, cette paille souillée, et surtout ces bergers guenilleux qui se pressaient autour du berceau l'emplissaient d'une sourde irritation. A naître parmi cette crasse et cette misère, quel exemple donnait là le nouveau dieu ? Les pauvres n'étaient-ils pas déjà assez difficiles à contenir ? Etait-il bien nécessaire qu'un dieu vint les encourager et les exalter ? Sans doute, en y mettant le prix, il serait toujours possible de trouver des hommes habiles pour interpréter et pour trahir les intentions du dieu, et si les choses tournaient au pis, ou ne s'embarrasserait pas de scrupules, on s'arrangerait pour faire croire que le vrai dieu n'était qu'un faux dieu, et, au besoin, on ferait faire des miracles au Veau d'Or, un bon diable de faux-dieu, celui-là, et qui permettait aux riches de dormir tranquilles.
Soudain, sous la chape lamée d'or, les maigres épaules du vieillard frissonnèrent. L'enfant l'avait soudain fixé de ses yeux méprisants et narquois, et avec une si profonde clairvoyance, que Melchior crut entendre une voix qui lui disait : « 0 mage Melchior, tu es sans doute un fameux magicien, et tu peux faire prendre aux gens des vessies pour des lanternes, mais désormais, tu n'arriveras plus à abattre cette pauvreté que j'ai fait asseoir à ma droite ». Alors, le vieux monarque soupira. Il songea qu'on pourrait peut-être s'accommoder avec la bonté des pauvres, et que l'enfant-dieu l'y aiderait. Il baissa la tête et frappa dans ses mains, et aussitôt de beaux esclaves épilés et fardés comme des femmes, dont tous les gestes semblaient réglés par une invisible musique, vinrent déposer à la file, sur la paille de la crèche, des vases précieux remplis de cet encens mâle, plus précieux encore que les gemmes et que l'or. Cependant, le roi Balthazar riait de toutes ses dents blanches aux beaux esclaves, comme il avait ri à l'éclat des lingots du roi Gaspard, comme il avait ri aux rois mages ses collègues, quand il les avait rencontrés sur son chemin, comme il n'avait cessé de rire depuis aux yeux sombres des pâtres de Galaad, aux femmes qui remplissaient leurs cruches aux puits, aux poules et aux cochons de lait qui fuyaient en caquetant et en couinant à qui mieux mieux, devant son chameau ; à la neige pure de Judée, nouvelle pour lui, et à l'étoile qui le guidait. Et ce rire perpétuel était d'autant plus magnifique et plus blanc que Balthazar était noir, et du plus beau noir.
Son royaume était quelque part dans le Sud le plus lointain, au-delà des sources mystérieuses du Nil. et à vrai dire si Balthazar était réputé mage, il n'en était pas pour cela plus grand magicien. Tout son savoir en la matière, il l'avait tiré d'un vieux bouquin de physique amusante laissé dans ses états par un explorateur grec auquel ses sujets avaient fait un sort dont il vaut mieux ne pas parler dans une histoire de Noël. C'est dans ce livre qu'il avait appris à percer des sous avec une épingle, à frotter de sa hanche un morceau d'ambre pour attirer les bouts de papier, à dresser de fragiles échafaudages d'assiettes et à construire des siphons avec des fétus et des noyaux d'abricots. Ainsi, il avait ébloui ses sujets de ces prestiges un peu grossiers, et il s'en était ébaudi lui-même tout le premier, riant à pleines lèvres et à belles dents, quand les bouts de papier voltigeaient vers le manche de son spectre. Quand l'étoile lui était apparue, elle ne lui avait absolument rien appris. Il l'avait trouvée étrangement belle et luisante, et comme elle bougeait, il s'était pourvu à tout hasard, pour être à même de la suivre, d'une provision de myrrhe, afin de faire le troc en chemin, puis ayant fait lever d'un claquement de langue son chameau baraqué devant sa case, il s'était mis à la poursuite de l'astre errant, en riant de toutes ses dents blanches à la face du ciel.
Depuis qu'il était entré dans l'étable avec ses compagnons, il ne cessait de rire. Tout y était nouveau pour lui. Il riait à ce bébé rosé et blanc couché sur la paille dorée ; il riait à Marie, à ses longs cheveux qui n'étaient pas crépus comme les siens, aux veines bleues qu'on voyait courir sous la peau laiteuse de ses bras Il riait au bœuf qui était plus gros que ceux de son pays, à l'âne qui avait les yeux plus doux que ses onagres ; aux bergers, aux ...


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... vois, aux présents des rois, et surtout à la clarté mystérieuse qui montait de l'humble berceau. Ses gros yeux saillants roulaient sans cesse, démasquant à droite ou à gauche leur blanc strié de filets sanglants, et partout ils semblaient découvrir un nouveau sujet de joie et d'émerveillement.
« Qu'il était beau ce monde où la course d'une étoile conduit un roi au berceau d'un petit enfant ! Et cet enfant quel prodige ! Sans doute, il devait être né de l'étoile pour qu'une telle clarté émanât de lui, à moins qu'il ne fut le fils de cette femme si blanche, elle aussi, et si pure qui se tenait en adoration juste en face de lui. Quel fameux dieu ce devait être puisque les deux puissants rois avec lesquels il avait fait route, durant les dernières étapes, avaient prosterné leur orgueil devant lui et lui avaient fait des dons ».
Balthazar se l'appela alors qu'il lui restait encore un peu de myrrhe dans un sachet qu'il portait par précaution, suspendu à son cou. C'était là tout son viatique. Qu'importe ! Au retour, il chasserait en chemin pour vivre, ou bien qui sait ? Le petit dieu y pourvoirait. Il devait bien cela à Balthazar qui était venu de si loin jusqu'à lui. De ses mains souples, qui semblaient s'attacher aux objets plutôt que les saisir, il dénoua le cordon et jeta aux pieds mêmes de l'enfant, le sachet de cuir sauvagement brodé dans lequel on entendit craquer la myrrhe sèche, tandis qu'un parfum frais et balsamique emplissait l'étable. Et Balthazar rit encore, mais un peu honteusement cette fois, en pensant aux riches présents des autres rois. Sans doute, avec une si pauvre offrande, il n'emporterait de son voyage qu'une toute petite bénédiction. Mais il ne regrettait pas d'être venu : le spectacle en valait la peine. On ne voit pas tous les jours un petit enfant qui est aussi un dieu né d'une étoile ou d'une vierge.
Mais voici que l'enfant-dieu qui s était contenté de fixer les deux autres rois, essayait de se soulever sur la paille de sa crèche et même qu'il tendait ses petites mains vers la face noire et lippue, vers les plumes de couleurs vives plantées dans les cheveux crépus, vers les anneaux dorés qui pendaient aux oreilles et au nez de Balthazar, et voici qu'il rendait au large sourire du roi-mage, un sourire à la fois puéril et divin, car c'était en vérité un dieu fait enfant qui s'amusait fort de voir un nègre rire, et un enfant-dieu pour lequel l'adoration du roi noir était de beaucoup la plus agréable.
Rémy BEAURIEUX.


============================================

DÉPART



Je pouvais avoir quinze ans, quand on me donna un roman de Walter Scott dans lequel un ennemi de l'Orient réussit à se faire aimer de l'Orient. Le bon Walter Scott disait de son héros, Richard Cœur de-Lion : « Il revient de la mêlée, tout hérissé de flèches. semblable à une pelote d'aiguilles ». La comparaison avait tenté l'illustrateur. Je revois l'image : le géant, le barbare en côte de mailles, bien droit sur son cheval, distrait, comme étranger à ses blessures. Et je ne pouvais détacher mes yeux de l'épique pelote.
Nous voici, Européens de l'Ere nouvelle, de l'Ere de l'Affiche et du Jouet, sur les mêmes routes que toi, Cœur de Lion ! Criblés de ces mêmes flèches qui hérissaient ton torse de voyageur ! Nous voici, sachant de quelles nuées d'archers disposera toujours le profond Orient pour chercher le cœur naïf d'un fils des brumes quand il descend, lourd, opaque, vers les clairs pays de fièvre et de magie. Soupçonnant à notre tour le tragique du Voyage. Pleins de pitié pour qui s'en va, sourd, aveugle, muet, tous les pores bouchés, incapable de discerner le nouveau palier de l'épopée, l'inflexible vouloir des astres.
Un homme d'une certaine terre cingle vers une autre terre, vers d'autres hommes. Sur sa poitrine, plus de cuirasse, plus de croix. Pas de conjuration non plus dans son cœur secret, ni tacite, ni avouée. A son flanc plus de glaive. Pas même, à ses doigts, le bâton du pèlerin, pas d'aumônière à sa ceinture. Surtout, en son bagage, nulle pacotille, nul déguisement. Il ne vendra rien. Il n'achètera rien. Il ne voudra subjuguer, éblouir personne. Il ne jouera aucun personnage. Il ne se glissera pas dans la troupe de ceux qui suivent à la trace, langue pendante, la chienne Exotisme. Il ne cherchera à savourer ni clair de lune, ni fruits, ni lèvres. Il ne se dirigera pas d'instinct, vers les Ruines, pour reprocher éloquemment à la vie d'empiéter sur la mort. Il ne mirera pas sa distinction à d'autres distinctions. Bref, il se refusera à faire du voyage une délectation, pas plus l'allègre que la morose. Le bateau qui l'amena s'éloigne. Un moment, il le suit des yeux dans l'amer crépuscule marin. Il a compris que l'eau des prunelles est celle qui enferme le plus de secrets, celles où gisent les trésors de Simbad. Il ne désespère pas d'acquérir les yeux qu'il faut pour regarder dans les yeux l'habitant du nouveau rivage. Fuyant sa propre caricature, son semblable, son frère, un homme va tenter de parvenir à des hommes.
François BONJEAN.


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A MON CHIEN DIB

par L. DELAU

La nuit, humant le bled et louchant aux étoiles,
Seul devant l'infini, sans mystère pour toi,
Tu lances ton lugubre et lamentable aboi,
Cri d'un désir obscur incarné dans tes moëlles.

La nuit, couchés en rond sous quelque palmier nain,
Avec de petits cris, des soupirs et des plaintes,
Ils rêvent qu'ils verront un jour les choses saintes :
Une soupe, un chenil, un tout petit jardin.

Tu ne sais plus vers qui s'en va ce rude appel.
Ecoute : il est là-bas, bien loin dans la prairie,
Où l'orge, des flots bleus rappelle l'harmonie,
Des chiens à robe fauve errants sous le grand ciel.

Vois-tu, la liberté, pour eux, c'est d'avoir faim.
Quand on a gueule et ventre, il faut courir sans trêve
Et trouver son dîner, à moins que l'on ne crève.
Et, l'un fait, on devient l'esclave du prochain.

Pour leur faim et leur soif, ils n'ont pas, chaque jour,
Une écuelle odorante, une eau douce et limpide.
Jamais ils n'ont senti sur leur carcasse vide
Passer une caresse : on vit aussi d'amour.

Leur liberté consiste à n'avoir point d'amis.
A qui n'a pas de maître, au nez la porte est close.
Il faut être à quelqu'un pour être quelque chose.
Un homme libre, un chien errant, c'est l'ennemi !

Ceux-là n'ont rien. Leur niche est immense, pourtant.
C'est la tente des deux, où des clous scintillent.
Leur jardin, c'est la plaine, où les plaisirs fourmillent
Où l'on peut, à son saoul, courir après le vent.

Et pourtant, laissant là le maître qui te sert.
Tu partirais vers eux si je t'ouvrais la porte ;
Car c'est l'âme des gueux, tes frères, qui t'emporte,
Quand tu lances ton hymne aux échos du désert.

Mais qu'importé l'espace à qui n'a pas de chaîne !
Et puis, le bled pour eux n'est jamais assez grand :
La misère partout les guette, les surprend,
Vers elle chaque soir leur destin les ramène.

Je partirais aussi, moi qui ne suis qu'un homme.
Si les chiens aujourd'hui ne gardaient seuls le droit
D'être des vagabonds, libres comme des rois :
Un roi sans trône, c'est un chien sans chaîne, en somme.

Va ! ce qui nous importe après tout, homme ou chien,
Ce n'est pas de courir, toi le Moghreb stérile,
Moi le bled irréel d'où le destin m'exile :
L'idéal est un bled aussi : chacun le sien.

Mieux vaut, de sa prison, chanter la liberté,
Que regretter sa chaîne et pleurer sur sa niche
Quand on peut dans l'espace errer à volonté.
Libre ou captif, qui sait rêver est assez riche.



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MEKNES

Chant du Muezzin


La ville est là tout près dans la nuit calme et dense
Et rien ne fait prévoir l'approche du matin
Montant du frais vallon parsemé de jardins
De subtiles senteurs parfument le silence.

Le vétuste Aguedal aux cours interminables,
— Où de vieux pans de murs lugubrement dressés
Abritent dans la nuit les spectres du Passé —
Dort, gardien de secrets lourds et impénétrables.

Une paix infinie est sur toutes les choses,
L'âme s'ouvre à l'appel secret de la beauté,
Laissant sourdre une indicible sérénité
Comme un parfum suave et délicat de rose.

Soudain, on voit briller des lumières tremblantes
Qui percent la nuit sombre en haut des minarets :
Etoiles de la foi... célestes feux follets
Qui vacillent dans l'ombre, étranges, captivantes.

On se recueille... alors, berçant la rêverie,
Le chant clair des muezzins prend son mystique essor
Et s'élance vibrant dans le silence d'or
Puis retombe apaisé sur le peuple qui prie.

Profondes ou aiguës, tes voix sont frémissantes
Leurs accents fiers et chauds clament sans fin d'Allah
L'éternelle grandeur, échos de l'au-delà
Qui étreignent les cœurs de leur ferveur prenante.

Eclatante prière... poème ineffable
Flottant comme un grand vol de pétales légers
Qui se posent sans bruit et viennent apaiser
Les âmes implorant le seigneur exorable...

Puis lorsque l'aube au loin monte et blanchit les âmes
Une à une les voix s'éteignent doucement,
Et quand le dernier cri sur la ville descend
L'on vibre longuement de ces clameurs sublimes...

C. LEBAULT, Maître es Jeux Floraux.

LES  LUMIERES  DE LA  VILLE


Mon amante m'a dit : Viens sur cette colline ;
C'est là, rappelle-toi que j'ai connu ton cœur.
Anfa s'est endormi : la cité s'illumine ;
Allons ce soir encore tenter quelque bonheur.

Le ciel laisse couler l'ineffable blancheur
Des rayons indolents d'une lune opaline
Et l'Océan patient qui ronge avec lenteur
Les vivants et les morts berce la nuit divine.

Lumières du travail, lumières du plaisir
Lumières des chagrins, lumières du désir
Lumières des grandeurs, lumières des misères

Lumières du cercueil, lumières du berceau
Nous voici tous les deux pour un amour nouveau
Appelant la même ombre ou les mêmes lumières

Maurice NORMAND.


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