Ce Maroc bien aimé
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Mémoire de la présence Française au Maroc à l'époque du Protectorat
 
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 Promenades à Marrakech

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Paul CASIMIR





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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyDim 14 Sep - 18:34

20

L’âne mis en vente fraternise avec l’âne porteur qui attend somnolent la fin du souk, heure où il lui faudra remporter les invendus. Contre le mur de la ville, se tiennent accroupies à même le sol des femmes derrière un étal de cotonnades, de cordons de laine. On domine toute cette foule remuante du haut du monticule, fait de déjections desséchées et par cela même purifiées, dont la pente, le jeudi, est couverte de tapis aux couleurs vives que le grand soleil rend plus éclatantes encore. Au fond, au-dessus des remparts de la Médina El Hamra, « la Ville Rouge » s’allonge la bande noire, déchiquetée, que font les arbres de la palmeraie.

Bab Ahmar était la porte par laquelle entrait le Sultan et son cortège quand il venait résider à Marrakech; c’est en effet le chemin du Méchouar et du Palais. Le Pacha, descendu de cheval, l’attendait à la porte; il se prosternait pour rendre l’hommage traditionnel au Maître et lui remettait la ville. Comme le Mellah est proche et qu’ils avaient besoin de la protection du Sultan, les gens en robe noire et calot noir étaient toujours nombreux sur son passage pour le saluer très bas. Dès que le cortège a atteint le Méchouar et que le Sultan est entré dans son Palais, les cavaliers au galop de leurs chevaux excités faisaient parler la poudre dans une fantasia de plus en plus désordonnée. Aujourd’hui, le Sultan et son cortège arrivent à Marrakech par la poterne et l’avenue de la Koutoubia.

*
* *

Le colonel H. de Castries, dans la revue « Hespéris » donne l’histoire de SIDI BEL ABBES, le grand patron parmi les SEPT PATRONS DE MARRAKECH.

Entre le fidèle et Dieu, il n’y a qu’un seul médiateur, a dit en se désignant le Prophète Mahomet. Mais on ne peut empêcher le mortel, surtout lorsqu’il est miséreux et que son seul soutien est d’aspirer à un monde meilleur, de s’adresser pour conter sa misère et ses espérances à quelque saint et lui demander par la prière d’intercéder en sa faveur auprès de Dieu. A chacun de ces intermédiaires, nombreux en terre musulmane, il est attribué un pouvoir surnaturel qui lui est propre, pouvoir qu’on qualifie communément au Maroc du terme de « baraka ». Leurs tombeaux sont visités fréquemment, en groupe ou isolément.

Les sept patrons de Marrakech ont été choisis et désignés vers 1690 à la demande du puissant Sultan Alaouite, Moulay Ismaïl, parmi les saints dont les kouba se dressent dans les cimetières en dehors ou à l’intérieur des remparts. Ils font l’objet d’un pèlerinage traditionnel, ziara, qui commence par le tombeau de Sidi Abou Yacoub Youssef, près de Bab Ghmat, en dehors des remparts à l'est qui, lépreux lui-même, devint le patron des lépreux.



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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyDim 14 Sep - 18:45

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On suit le rempart intérieurement jusqu’à la mosquée d’Aïlen, puis on revient à l’extérieur pour atteindre Bab Khemis au nord; on traverse la Médina en visitant les uns après les autres quatre tombeaux et l’on sort par Bab Roob pour finir avec Sidi Es Sobeïli, dont la kouba est adossée au rempart à l’ouest de la ville. On a visité ainsi les « Sebatou Redjel », — les sept hommes de Marrakech.

La zaouia de Sidi Bel Abbès est tout contre Bab Taghzout qui fut autrefois dans les remparts la porte nord de la Médina. Passée Bab Taghzout, se trouve tout de suite à droite le porche du quartier, puis la belle porte de la zaouia surmontée de dessins ciselés dans le plâtre avec au-dessus un auvent sculpté auquel le temps a donné une couleur brune. A droite et à gauche, accroupis ou adossés se tiennent des mendiants qui en sont comme les gardiens. La porte ouvre sur un long couloir sombre où de chaque côté sont de sombres boutiques de cierges et de bougies. Pour se protéger du reflet du soleil violemment blanc et dur à l’extérieur par contraste avec l’obscurité du couloir, les négociants ont placé à mi-hauteur de la porte une claie de roseaux qui masque en partie les belles ciselures dans le plâtre et presque entièrement l’auvent de bois. Heureusement que le temps fait aussi son œuvre, s’alliant à l’insouciance des hommes ; la claie de roseaux est en partie détruite et une autre partie pend lamentablement pour tomber bientôt. Puissent les hommes ne jamais les remplacer, de façon que la belle porte montre sans voile, sa beauté. On voit, après le long couloir sombre, une petite place en pleine lumière et au fond un portique très blanc qui est l’entrée à la fois de la mosquée, de la zaouia et du sanctuaire ; mais au bout du couloir est tendue une chaîne de fer ; c’est que le passage n’est permis qu’aux fidèles musulmans. La véritable cour des miracles !

Sidi Bel Abbès est le patron des aveugles et en général de tous les miséreux, estropiés ou êtres faibles. Je n’avais devant moi que boiteux, manchots, teigneux en haillons ; les aveugles, eux, ignorants des choses, se glissent le long du mur, se tenant à la suite les uns des autres par un bout de chemise ou la main sur l’épaule : six aveugles ainsi conduits par un borgne, c’est-à-dire sept miséreux avec un seul œil pour les dirige r; quelques aveugles sont conduits par un enfant insouciant. Tous demandent en chœur l’aumône au nom de Sidi Bel Abbès. Avec l’intervention d’un jeune étudiant de la zaouia, j’ai pu passer sous la chaîne de fer et m’avancer assez près de la porte et de la cour de la mosquée malgré les cris et les injures d’un être difforme gesticulant comme un fou.

La légende de Sidi Bel Abbès nous a été contée un soir de printemps, tandis que nous étions assis sur les marches de l’escalier du Palais de Djebel Lakdar qu’entoure un beau jardin d’orangers à la fois en fleurs et en fruits ; cette légende avait été rapportée par le domestique, Ahmed, elle est ainsi :




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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyDim 14 Sep - 18:48



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Fontaine El Mouasine
Les Balançoires




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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyDim 14 Sep - 18:54

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« Sidi Bel Abbès était allé en dehors de la ville s’asseoir au bord d’une séguia qui coule dans les jardins. Il était resté là tout un jour dans la solitude méditative ; vers le soir, la faim le rappelant à la réalité des choses, il allait regagner sa demeure quand, dans l’eau courante sur laquelle il s’était penché une dernière fois pour en boire une gorgée dans le creux de sa main, il vit flotter une figue; il la prit et, en savourant sa douceur, il remercia le ciel de venir ainsi calmer sa faim; alors il resta la nuit près du ruisseau et, dans ses prières, il demanda à Dieu de lui donner le moyen de soulager les souffrances des hommes miséreux qu’il voyait autour de lui. Au petit jour, il remonta le cours du ruisseau dans l’espoir de trouver, penchés sur l’eau, les figuiers d’où le fruit qu’il avait eu la veille était tombé. Il arriva ainsi dans un jardin; sur le pas d’une petite maison une vieille femme était assise. Après les salutations d’usage, assuré que la figue provenait bien de son jardin, il dit le but de sa visite : «de payer le prix de la figue que j’ai mangée».

Mais la vieille aveugle lui répondit :

« Ce fruit était d’une valeur incomparable et tu dois me le rendre ou alors trouver un autre moyen de me récompenser ».

Rentré dans sa demeure, Sidi Bel Abbès médita longuement, voyant toujours l’image de la vieille femme dans son jardin ; parmi les malheureux, il jugea que les aveugles l’étaient le plus, eux qui n’ont jamais connu ou ne connaîtront plus la lumière qui donne la beauté aux choses et fait trouver la vie meilleure. C’est donc aux aveugles qu’il devra rendre la valeur incomparable de ce fruit qui lui était venu, par intervention divine, d’une femme aveugle et, de ce jour, Sidi bel Abbès accueillit les aveugles à sa demeure.

Mais un bienfait ne reste pas isolé et, à son tour, Sidi Bel Abbès reçut des offrandes des plus favorisés de la vie qui lui demandaient sa bénédiction ; ainsi, il put mieux secourir ses pauvres de jour en jour plus nombreux. »

A côté de la légende, il y a l’histoire vraie telle que la rapporte le colonel H. de Castries : Sidi Bel Abbès « Sebti » était, comme l’indique le qualificatif ethnique qui s’ajoute à son nom, originaire de Ceuta où il naquit vers 1130 ; savant précoce, il s’était fait remarquer par ses actes de vertu. En 540 de l’hégire, il quitta Ceuta quand cette ville tomba aux mains des Portugais ; il se dirigea vers le sud du Maroc et, devant Marrakech, il s’installa sur le haut du rocher du Guéliz, en véritable reclus. On l’y venait voir et il fit des miracles. Le Sultan Yacoub El Mansour l’Almohade, frappé de sa piété, lui donna dans la Médina une Médersa pour qu’il puisse y enseigner. Avec son rigorisme dans la pratique religieuse. Sidi Bel Abbès était généreux aux miséreux et toujours donnant sa préférence aux aveugles. Sa renommée s’est conservée dans la suite des temps.




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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyDim 14 Sep - 19:00

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A sa mort et pour perpétuer ses bienfaits, un grand mausolée près de la zaouia lui fut élevé par le Sultan Moulay Ismaïl qui voulait ainsi faire pardonner les horreurs commises à la prise de la ville. La zaouia, le mausolée et la mosquée sont devenus la cité des aveugles et autres malheureux et chaque jour, le mercredi en plus grand nombre, ils viennent en invoquant son nom y chercher une aumône qui est prise sur les offrandes faites en argent par les pèlerins.

Je suis certain que les conteurs de la place Djemaa-el-fna répètent aux Berbères, attentifs, et naïvement crédules qui font cercle autour d’eux, beaucoup plus de légendes populaires sur Sidi bel Abbès du genre de celle rapportée par Ahmed, que la vie réelle du saint si édifiante fût-elle.

Après Sidi Bel Abbès, le pèlerin visite Sidi Ben Sliman, puis Sidi Adbelaziz, Sidi Abdallah et Ghezenani, mieux connu sous le nom de Moulay el Ksour car son mausolée est dans le quartier des ksour; le pèlerinage finit avec Sidi Ad Rahman Es Sobeïli, le septième patron dans l’itinéraire.

Au pied du rempart rouge que longe le chemin allant à Bab Roob se tient accroupi un vieux mendiant sur le passage des petites caravanes qui, de la campagne, portent du bois, du charbon, de l’herbe fraîche, des légumes au marché de la ville. A chaque caravane, le mendiant se lève et s’approche de l’ânier : « Par les Saints de Marrakech, ô porteur de bois (de charbon, d’herbes fraîches, ou de légumes), la bénédiction sur toi dans toute la ville » et le porteur de bois, de charbon, d’herbes ou de légumes répond à cette bienvenue en laissant une vieille racine, un morceau de charbon, un peu d’herbe ou un légume et ce sera pour le mendiant une parcelle de sa récolte journalière « au nom des sept patrons de Marrakech ».

Dans une vieille demeure du quartier de Berrima, on m’a conté une petite histoire sur Sidi Bel Abbès. Une vieille femme était dans un jardin près d’une fontaine et puisait de l’eau ; ses compagnes lui montrent, marchant vers elles, le saint Sidi Bel Abbès. Comme la vieille est incrédule, elle dit : « Si tu es bien celui qui fait des miracles, ajoute donc un peu d’eau dans cette tasse qui est pleine jusqu’au bord et sans qu’il puisse en tomber une seule goutte ». Tout bon thaumaturge doit avoir de quoi répondre. Sidi Bel Abbès prend une petite rose, à peine éclose, à laquelle il coupe la tige à ras du calice et la place tout doucement à la surface de l’eau qui n’a point tremblé ; puis de ses doigts, qu’il a trempés à la fontaine, il laisse tomber quelques gouttes sur la rose.


*
**


Pour VISITER MARRAKECH, il faut aller à sa fantaisie, au hasard des ruelles qui réserveront toujours au touriste des scènes imprévues et renouvelées.




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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyDim 14 Sep - 19:02


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Minaret de la Koutoubia et les poupées



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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyLun 15 Sep - 10:44

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Le guide suivra et ne devrait intervenir que pour faciliter une négociation avec le boutiquier si on ne peut lui parler dans sa langue, pour une explication sur une scène locale, la description, et l’histoire au besoin des monuments, palais, médersa, mosquées, l'art d’une fontaine, devant lesquels on passe ; pour ramener sur le bon chemin si l’écart était trop grand et finalement reconduire à l’hôtel. Mieux vaut aller à sa guise, un peu à l’aventure, suivant l’attirance d’une ruelle et l’on ne sera jamais déçu ; si l’intérêt manque un moment, il est toujours possible de revenir en arrière, de reprendre une ruelle à droite plus tôt que celle de gauche. Les scènes de la rue ? — ce sont les vendeuses de pains, accroupies à même le sol le long d’un mur, la marchandise à leurs pieds ; sous leurs voiles, elles attendent l’acheteur, sans impatience, puisqu’elles bavardent entre elles. C’est le potier qui disparaît derrière les amphores et les cruches en terre où l’ombre des claies de roseaux qui couvrent la ruelle font des dessins en damiers. Ce sont les teinturiers du carrefour pavoisé de lainages ou de cordons aux couleurs surprenantes par leur éclat, tendus d’une échoppe à l’autre au-dessus du passant. Ce sont des chaudronniers, noirs au fond de leurs boutiques noires qui devant le feu, frappent durement sur l’enclume d’où s’échappent des étincelles pétillantes. C’est le souk aux chemises d’enfants suspendues au devant de la boutique, nouveaux drapeaux à la couleur tendre. Ce sont les miséreux qui vont en groupe devant une mosquée pour demander au Saint à qui elle est consacrée, un peu moins de misère et un sort meilleur dans l’autre monde. Ce sont encore des femmes qui vendent de vieilles hardes, broderies et menus objets. Scènes que l’on ne saurait décrire, car elles se renouvellent : cortège se dirigeant vers une fête où les femmes, en suivant les hommes, portent sur leur tête d’énormes corbeilles qui contiennent un trousseau de mariée ou les mets d’un festin ; groupe de femmes tenant comme des drapeaux la tige de roseau d’où pendent des écharpes de soie ou des ceintures et qui vont ainsi en pèlerinage près d’un sanctuaire.

Une phrase est ciselée dans l'auvent de bois d’une fontaine : Echrob ou Chouf, « Bois et regarde » ; bois d’abord pour calmer ta fièvre et ensuite, tu regarderas plus sainement ma joliesse. D’un autre côté, près des teinturiers, la fontaine El Mouassine, de dimensions et de forme uniques dans le Maroc, est surmontée d’un portique, continuant les trois grands bassins abrités par des voûtes; ici, tous peuvent boire, hommes et animaux.

De la ville nouvelle pour gagner la Médina, j’ai suivi d’abord la route qui passe les remparts à la poterne et pris de suite, à travers les jardins qui semblent s’étendre jusqu’au pied de la mosquée Koutoubia ; le minaret rougeoyant sous le soleil couchant apparaît entre les arbres ou disparaît derrière eux suivant les détours que font les allées. Dans ce jardin, tout est silence ; les hommes en burnous vont en groupe, mais sans parole ou voilant leur conversation, comme s’il fallait laisser en repos les arbres dont nulle feuille ne bouge et les longs palmiers qui sont figés dans leur élan vers le ciel.




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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyLun 15 Sep - 10:54

25

La place Djemaa-el-Fna, à cette heure douce d’un soir d’automne où la nuit commence à descendre, est toute animée des mouvements de la foule, des chants et des musiques. C’est le moment où l’on aime s’attarder en se mêlant aux cercles que font les auditeurs et curieux autour des conteurs ou des charmeurs de serpents, autour des jeunes danseurs chleuh aux yeux chercheurs. C’est la fin de cette fête qui se tient chaque jour sur la place ; elle semble prendre à cette heure un caractère plus intime. Les gargotiers préparent des fritures de viandes, de beignets sous les toiles à l’ordinaire tendues contre le soleil, mais qui les ont abrités aujourd’hui de la pluie tombée par ondée. Bientôt les clients viendront un à un s’asseoir sur une caisse qui sert de siège contre une caisse qui sert de table et, avec lenteur pour mieux faire durer le plaisir, ils tremperont du pain dans le bol de soupe chaude qu’ils avaleront ensuite avec de fortes aspirations, ou bien ils retireront de deux doigts les morceaux de foie et de viande grillés, enfilés sur une broche de bois. Les marchands d’oranges, de citrons, de grenades vont plier leurs toiles sous lesquelles ils s’abriteront pendant la nuit.

Le jour disparaît; mais je ne verrai pas ce soir la féerie du couchant, quand l’horizon devient rouge comme sous un vaste incendie. Il y a bien un jeu des nuages contre la lune qui s’efforce à paraître, car le vieil astre défunt ne saurait manquer de promener dans l’ombre « sa face ou son profil d’or » qui fait partie intégrante d’une nuit africaine. Mais de cette taquinerie de nuages, il suit une légère ondée. Il fait sombre à six heures en décembre. Cependant, LES SOUKS où nous cherchons un abri ont conservé toute leur animation et c’est bien mieux à cette heure, dans le cadre local, puisqu’on n’y croise que des gens en burnous, bourgeois attardés ou Berbères de la montagne, allant d’une boutique à l’autre avant de se décider au dernier achat.

Les marchands originaires du Sous trônent accroupis au- dessus des fruits secs, amandes et noix décortiquées, figues toutes racornies, henné pilé. La lumière électrique tombe du plafond et l’ouverture qui donne dans un réduit noir forme écran derrière eux ; ils sont là depuis le matin. Pour descendre ou remonter, sans amener une catastrophe dans l’agencement si bien en équilibre de leurs marchandises, ils ont dû faire une longue enjambée et s’aider de la corde qui pend du haut de la boutique. Ils attendent, isolés, le client qui peut se présenter encore le soir ; alors, avec une longue cuillère de bois au bout d’une longue tige, ils puiseront dans les tas de noix, d’amandes ou de henné, livreront cela en un paquet de papier, recevront l’argent — et ils n’auront bougé que leurs bras, le corps toujours figé sur les jambes repliées.



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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyLun 15 Sep - 10:56



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Danseurs sur Djemaa el Fna



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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyLun 15 Sep - 15:03

26

On passe une porte de quartier, on entre dans le domaine du noir ; ce sont les forgerons et maréchaux ferrants dans leur réduit sombre. Ils sont venus des régions du Drâa ; leur peau est noire, la chemise bleue noire ; ils sont comme des ombres qui s’agitent devant la clarté rouge du fourneau.

Le passage que l’on prend à droite, au carrefour de ruelles, devient de plus en plus sombre et l’on entre définitivement dans la nuit et la boue. A voir en face la lueur qui sort par les portes des magasins, on reconnaît la placette où, dans la journée, on vend toutes sortes de denrées, légumes et fruits, beurre, grains et aussi du charbon, du bois, de la chaux, où dans les coins siègent des gargotiers miséreux. Mais ce soir, sous le ciel nuageux, elle est déserte. La clarté des boutiques est le seul point d’orientation ; on entre dans le petit souk qui réunit les échoppes où brillent des poignards et des fusils, et les magasins plus vastes où sont amoncelés les tapis, tentures et broderies. Sous la lumière électrique, les objets ont une couleur plus vive, les cuivres ont plus d’éclat. Par un raffinement qu’ils ont imité des magasins de la ville nouvelle, les marchands ont placé de petites ampoules invisibles dans les vitrines où brillent alors les bijoux berbères.

C’est l’heure agréable dans les souks. On a tout son temps, on flâne dans le calme de la fin d’une journée ; on reste volontiers assis dans la boutique devant l’amoncellement des tapis pliés, sans rien dire, en ne pensant à rien : l’heure inactive.

Par la ruelle des potiers, on reprend ensuite l’allée principale des souks. Les trois grands halls parallèles entre eux sont toute clarté. Au bout de perches, devant les échoppes, pendent les soies des foulards, mouchoirs et robes ; la vive lumière qui sort de la boutique passe à travers les étoffes, dont elle prend la couleur et elle devient ainsi rouge, verte, bleue ou jaune, toutes teintes très vives s’harmonisant entre elles et les souks à cette heure paraissent ainsi parés pour une fête. Au fond, il y a une voûte qui, par contraste, est sombre ; elle ouvre sur la ruelle des savetiers. Là, c’est la grande confusion dans une clarté indécise ; entre la prière de l’Acer et celle du Moghreb, vendeurs circulent dans la foule, acheteurs calculent et se réservent encore. Le va-et-vient est incessant des dellal, les crieurs publics, qui se font un passage entre les hommes en burnous serrés à ne pouvoir bouger, car la ruelle n’a pas deux mètres de largeur. Les dellal vont, se glissent sans ménagement, un bras en l’air en montrant une paire de babouches dont ils crient le dernier prix offert ; ils sont les intermédiaires entre le petit artisan sans boutique et l’acheteur qui espère avoir un prix meilleur. Les boutiquiers dans leur échoppe, semblent complètement étrangers à la bousculade devant eux ; ils savent bien qu’ils auront ce soir les belra invendues et qu’ils les auront à bon compte ;




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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyLun 15 Sep - 15:08

27

ils lancent de temps en temps un prix pour tenir le vendeur en haleine ; peut-être sont-ils de connivence avec lui et finalement la meilleure affaire pour le passant eût été encore de s’adresser aux boutiquiers ; il pourrait au moins tâter longuement le cuir des savates avant de se décider. Car le dellal, lui, semble pressé et les babouches au bout de son bras passent rapidement par-dessus les têtes.

Mais il faut tout de même sortir de ce marché animé et se frayer un passage en acceptant d’être jeté tantôt à droite, tantôt à gauche. Voici une voûte qui nous libérera ; elle donne sur le souk des cuivres. La ruelle est plus calme, à peu près sombre, car les marchands s’apprêtent à fermer boutique et la lumière qui sort d’une lampe à acétylène va mourir ; elle laisse cependant deviner les formes des objets de cuivre ou de bronze, brûle-parfums, chandeliers, cruches à eau ou à huile, boîtes diverses, théières, mechmars et bouilloires. Alors, on arrive au bout de la ruelle, du côté des épiciers et merciers ; là, le lumignon est une bougie posée sur un bocal de bonbons ou de poivre rouge, ou bien une mèche toute primitive qui brûle sur la nappe d’huile d’un récipient de verre. Mais, c’est la fermeture aussi, il faut aller plus loin. Les boutiques des artisans de broderies de cuir, ceintures et babouches, selles et harnachements sont déjà fermées. Puis on gagne à nouveau la principale ruelle, celle qui nous ramènera tout droit sur la place Djemaa-el-Fna. Elle est encore éclairée, parce qu’elle est aussi un passage de quartier à quartier et les boutiques sont lumineuses de leurs ampoules électriques. Il y a les échoppes de vanniers où on trouve de hautes corbeilles pyramidales, les tebouks qui servent à abriter des mouches les mets de viande ou de légume, les gâteaux ou les fruits; elles sont encapuchonnées de cuir rouge ou vert.

Le jeune Marocain qui a suivi inlassablement mes pas à travers les souks, bien que je ne lui aie volontairement prêté aucune attention, semble sur le point de triompher de mon indifférence; sa patience aura-t-elle une récompense ? Je m’arrête en effet, devant le vannier, je tourne et retourne une corbeille. Si j’achetais, ce guide improvisé deviendrait porteur; alors il a un espoir et le moment est peut-être venu pour lui d’être indispensable pour quelque monnaie.




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Charmeurs de serpents



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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyLun 15 Sep - 15:18

28

C’est encore le SOUK DES ARMES, petit carrefour de ruelles qui se coupent en croix ; échoppes où brillent les fers et les cuivres et l’argent des longs fusils, des poignards, des poires à poudre.

Il y avait au fond d’une de ces petites échoppes un vieux marchand à barbe blanche ; je ne sais plus son nom, l’ai-je même jamais su ? et pourtant il m’appelait son ami et je lui répondais de même. J’ai appris un jour qu’il était mort parce que sa boutique était occupée par un autre vieux, plus indifférent. Dès qu’il m’apercevait, il m’adressait un sourire, comme on fait entre vieilles connaissance s; il savait au surplus que j’accompagnais souvent des amis qui devenaient pour lui des acheteurs intéressants ; on discutait d’ailleurs peu le prix, parce que, comme il disait, nous étions des amis et qu’il ne fallait pas discuter de choses aussi futiles devant d’autres amis. Il avait un geste du bras pour marquer la force et le prestige qu’il nous attribuait et ce prestige, pour lui, était fait du nombre de dames qu’il voyait autour de nous. Je l’ai toujours vu assis, sur la planche-comptoir de sa boutique, le panneau de fond couvert d’armes et de poires à poudre faisant derrière lui comme une panoplie belliqueuse. Ainsi, son buste courbé sur les jambes, lui donnait l’apparence d’un petit vieillard. Mais un jour, à l’heure de la prière de l’asser, les jambes glissèrent les premières de la boutique, maigres et longues et redressées, firent de mon ami le marchand, un corps haut de taille qui me dépassait de la tête; c’est la seule fois que je le vis debou t; je ne reconnaissais plus ainsi, le vieillard ramassé sur lui-même trônant dans sa boutique comme un bouddha, mais un bouddha à la mimique animée par la parole, les yeux et le geste pour défendre la valeur et la pureté des objets qu’il présentait.

Il y a aussi Abdallah, plus spécialisé dans la vente des bijoux, bagues et bracelets de bras ou de pieds, broches, colliers, et parures de cou ou de front. C’est un grand diable croisé de noir, à la parole timide et douce ; il est originaire de la région du Drâa. De temps à autre, il disparaît des souks de Marrakech; il est alors dans le sud au delà de la montagne, à la recherche de bijoux chez les gens des tribus amies et nouvellement ralliées, ou bien dans les villes de la côte, car il trafique aussi comme courtier auprès des marchands de Casablanca et de Rabat. Quand on lui demande un bijou, il n’en indique jamais le prix et attend toujours celui qu’on lui offre ; s’il convient, il laisse le bijou ou bien, le remettant dans la boîte de bois, il s’excuse de ne pouvoir vous satisfaire. Dès qu’il me voit entrer dans la ruelle, il ouvre un coffre de bois au fond de la boutique, car il sait qu’immanquablement, j’irai causer avec lui ; il a pour moi, dit-il, toujours un bijou inédit, d’une région encore plus éloignée d’au delà de l’Atlas. Nous en discutons le prix; j’arrive toujours à avoir l’objet et Abdallah a toujours un bénéfice qui le contente.

Quand on a passé les souks, on se trouve dans une ruelle découverte et l’on se dirige vers trois hauts palmiers et la kouba aux tuiles vertes qui couvre la mosquée Ali Ben Youssef ; elle fut élevée ainsi que la médersa Ben Youssef par Abbou Hassan El Merini.




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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyLun 15 Sep - 15:25

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Les portes se font vis-à-vis sous le passage couvert d’un plafond décoré. La médersa reconstruite en 1562 rappelle en raison de son plan rectiligne la médersa Bou Anania de Fès et sa porte de bronze est aussi à l’image de celle de Karouyine. Par un long couloir, on arrive devant une grande cour carrée dallée de marbre blanc; au milieu, le bassin rectangulaire reproduit dans son eau, l’image de la belle porte à l’encadrement de plâtre ciselé avec les linteaux et frises en bois de cèdre qui est celle de la salle des prières. Au-dessus s’ouvrent sur la cour, les petites fenêtres des loges des étudiants.

Non loin de la Médersa Ben Youssef est la maison sur courette du Chérif Mohammed Belkhayat. C’est un négociant à barbe blanche, fier et méticuleux de sa personne, qui semble faire réellement une grâce en recevant ses visiteurs. Il y a dans sa maison une première salle où son domestique vend un peu de tout ; mais le Chérif s’il sent dans l’acheteur un connaisseur, daigne le conduire dans une salle retirée où il montrera avec une indifférence simulée les objets d’une réelle valeur artistique et historique; il n’en faut guère discuter les prix, ou rabattre légèrement le prix demandé ; mais si on exagère, on est reconduit avec calme et hauteur dans la salle des objets ordinaires et là, abandonné aux mains du domestique. Le Chérif est un grand seigneur qui semble se séparer difficilement ou bien au prix qu’il entend obtenir, des bijoux, armes, soieries, auxquels il montre un attachement d’artiste.

*
**

Comme l’est à Fès la Médersa Karaouyine, à Meknès la porte El Mansour, à Rabat la Tour Hassan, LE MINARET DE LA KOUTOUBIA est le monument principal de Marrakech que l’on aperçoit à trente kilomètres du col de Djebilet quand on vient de la côte Atlantique; il est aussi le signal vers lequel se dirigent les Berbères descendus de la montagne.

Il y eut deux MOSQUEES KOUTOUBYN, et toutes deux construites par le même Almohade, Abd el Moumen, quand il se rendit maître de Marrakech et du Moghreb. Du côté du terrain dénudé et bossué de monticules, on remarque sur le mur nord-ouest de la mosquée qui seule subsiste, des vestiges d’arcs marquant le support des nefs et un arc mieux tracé en briques qui aurait été l’appui du mihrab ; dans le terrain vague existent des excavations qui sont deux citernes reliées par un canal effondré. Le « Kitab el Istiqça » (dans la revue « Hespéris », 1924) rapporte en effet « qu’Abd el Moumen bâtit une mosquée et ajouta une autre mosquée de même étendue ou plus grande sur l'emplacement d’un palais et ainsi se trouve, entre les deux mosquées, le minaret. »



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Pavillon de la Ménara



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La mosquée disparue fut la première construite en 541 (1146), dès l’arrivée des Almohades à Marrakech ; la seconde, l'actuelle, est contemporaine de la mosquée de Tinmel dans la montagne de Goundafa sur les bords de l’oued N’Fis et fut construite sur l’emplacement du Dar el Ahajar qui fut le palais des Almorávides de sorte que toutes traces en ont volontairement disparu. Le mihrab de la première mosquée ruinée aurait été mal orienté, celui de la mosquée qui subsiste seule a, en effet, une inclinaison légèrement différente ; c’est ce qui expliquerait la construction de cette deuxième mosquée de façon à corriger l’erreur d’orientation de la première ; le minaret commencé par Abd el Moumen, se trouva donc entre les deux mosquées. On est ainsi d’accord avec le texte arabe.

Mais on trouve une autre explication : la mosquée primitive aurait été détruite à la suite du massacre des rebelles qui y étaient en prières et, pour effacer la honte de ce geste sanguinaire d’un Sultan, une autre mosquée aurait été construite tout contre les ruines de la première. Quelle est la part de vérité ? Le nom donné à la mosquée « Koutoubia » vient de ce que des vendeurs de livres s’installaient aux portes de la mosquée, « Mosquée des Livres ».

Abou Yacoub el Mansour, le successeur d’Abd el Moumen, acheva la construction du minaret de la Koutoubia qui serait donc antérieur, au moins pour sa partie inférieure, à la Giralda de Séville et à la Tour Hassan de Rabat construites aussi par Yacoub el Mansour.

Les dynasties qui se sont succédé ont tenu à apporter à la mosquée des modifications, à la fin du siècle dernier principalement, de sorte qu’on trouve des décorations et des architectures bien différentes. Seul le minaret solidement dressé, a supporté les siècles et la fantaisie des Sultans ne s’y est pas attaquée. Le lanterneau est couvert d’une coupole bosselée que surmontent, enfilées à une tige de fer, trois boules dorées offertes par le Sultan sur sa cassette personnelle. On peut voir le minaret sous différents aspects, selon le point où l’on se trouve : tour désertique au-dessus d’un cimetière, ou bien tour gracieuse, mais toujours imposante, à travers les arbres touffus ou les longs palmiers, ou bien plus près les cyprès noirs qui s’échappent du jardin de Dar Moulay Ali lui donnent une poésie romantique. Le ton en est différent suivant l’orientation : côté pluie ou vent les faces ont une teinte grisaille, sombre à la tombée du jour, tandis que les faces ensoleillées sont claires avec des reflets roses ou roux.

Le vendredi, jour des dévotions, à midi c’est un va-et-vient d’hommes en burnous blanc, le haïk sur la tête; ils vont pour prier puis, dans le même silence sortent de la mosquée ; ils paraissent très petits au pied du haut minaret.
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La mosquée de Bab Doukkala, au nord de la ville, est de la même époque que celle d’Ali Ben Youssef; elle fut construite par la sainte femme, mère du Sultan El Mansour el Dehebi; elle est simple, en pisé gris rose avec un minaret de briques.

*
**

Le PALAIS DU SULTAN est à l’extrémité méridionale de la ville, entouré de maisons basses et assez délabrées du quartier de Berrima ; le Mellah, faubourg où sont enserrées les familles juives, en est proche comme le Mellah de Fès est près du palais impérial dont il cherche la protection. On contourne le palais en quittant la place des ferblantiers où se trouvent les artisans juifs, en suivant un couloir le long d’un mur crénelé ; il y a là une porte qui ne s’ouvre que lorsque le Sultan réside à Marrakech. La porte principale, de pierres et d’entrelacs symétriques, donne sur le Méchouar, grande place nue entre les remparts sur laquelle débouche la route d’est en ouest de Bab Ahmar à Bab Skiba. C’est là que venaient camper les gens des tribus à l’occasion des fêtes, aussi au départ ou au retour des harkas.

La construction de la KASBA date duXVIII° siècle. Quand le petit-fils d’Ismaïl, le Sultan Mohammed ben Abdallah (1757-1790) qui fit de Marrakech sa capitale, reconstruisit la ville, il employa comme ouvriers des renégats espagnols et le style des monuments s’en ressentit, avec les encadrements colorés qui remplacèrent l’art arabe. La kasba contenait, non seulement le Palais du Sultan, mais aussi les habitations des fonctionnaires et il y avait un Pacha pour diriger ce Dar el Maghzen.

D’ailleurs, toutes ces cours, tous ces jardins étaient contenus dans une vaste enceinte comme étant dépendances mêmes du Palais. Certaines parties des jardins sont actuellement ouvertes, auxquelles on a laissé cependant le nom d’Aguedal qui veut dire « réservé au Sultan », où un chemin est tracé à travers les oliviers centenaires et les orangers pour le passage des voitures. Le Djenan Redouan est le verger replanté par Moulay Abderrahman vers la moitié du siècle dernier, délices préférées des Sultans qui y menaient volontiers leurs favorites. Les pièces d’eau existaient déjà sous les Sâadiens.

Ce qui frappe dans le JARDIN DE L’AGUEDAL, c’est la régularité des plantations qui se prolongent sur plusieurs kilomètres vers le sud; il a été planté en 1148 par le premier Sultan Almohade Abd el Moumen Ben Ali ; il fut agrandi et embelli par les princes sâadiens. Par les allées, on longe ainsi les deux grands bassins qui retiennent pour l’irrigation des jardins, l’eau menée par un canal depuis la vallée de l’Ourika. Un des bassins, le moins grand a, en son milieu, un îlot d’où s’élèvent gracieusement des ifs ; l’autre est dominé par un bâtiment actuellement en ruines, où l’on peut cependant encore par un escalier aux marches usées, atteindre la terrasse.



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Cour de Dar Beïda



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La vue s’étend au sud par dessus les jardins qui semblent ne plus finir, vers les cimes neigeuses de l’Atlas ; du côté nord et au delà du bassin, sont des jardins encore et au-delà les minarets de la ville. Dans une salle voûtée de ce belvédère en ruines, subsiste un canot à vapeur qu’un Sultan faisait aller, pour son plaisir sportif, et la récréation de ses femmes favorites, sur l’eau calme et bleue du bassin. Comment ce lourd canot a-t-il pu être porté de la côte Atlantique dans ce jardin en suivant les pistes difficiles et traversant les oueds ? Pierre Loti nous donne la réponse, car il a vu porter de Tanger à Fès comme cadeau au Sultan Moulay Hassan un lourd canot de six mètres contenu dans une caisse de bois, mise sur les épaules d’une quarantaine d’indigènes,

« telles on voit dans les bas-reliefs égyptiens de ces choses énormes portées par des hommes en blanc aux jambes nues ».

Il y a d’autres bassins disséminés dans le jardin où le soir se reflètent decrescendo les coloris du soleil couchant. On peut aller longtemps sous les oliviers ; tout y est paix et repos, les arbres semblent figés, seuls témoins de fêtes splendides sous les jeux des lumières. Le Consul Chénier et, avant lui, El Oufrani, rapportent qu’au jour des fêtes des sacrifices, l’Aït el Kébir, le Sultan Moulay Er Rechid Ben Ech Chérif monta son cheval difficile qu’il lança par les allées du jardin ; il le poussa avec tant d’ardeur qu’il ne put maîtriser l’animal et, dans une allée d’orangers, le Sultan se brisa le crâne contre une branche ; il mourut ainsi en mars 1672. Un poète a dit alors : « la branche de cet oranger a tué notre iman seulement par jalousie de sa taille svelte, car parmi les arbres aussi il y a des envieux. »

A cette époque de mars, les orangers sont en fleurs et montent du jardin de l’Aguedal des parfums qui grisent.
En 1915, j’allais sous les vieux oliviers, dont les branches courbées faisaient une voûte ombreuse ; il y avait un petit pavillon de bois aux vives couleurs placé sur le canal qui répartit l’eau dans les jardins; c’était, m’a-t-on dit, le PAVILLON DE LA FAVORITE, salle unique, entourée de colonnettes formant galerie que fermait un treillage de bois à travers lequel, de l’ombre intérieure, on pouvait voir de tous côtés les jardins et les haies fleuries des hauts géraniums et des rosiers grimpants. On ne peut voir aujourd’hui le pavillon de la favorite qui reste caché dans la partie de l’Aguedal, entourée d’un mur et qui est réservée à Sa Majesté le Sultan.

Par les allées ombragées, on arrive à DAR BEIDA, beau palais de pierre et de marbre qui est actuellement l’Hôpital Militaire Maisonnave. C’est au Sultan Moulay Hassan (1875-1894) qui résidait volontiers à Marrakech qu’est dû l’agrandissement de Dar Beïda entouré des vergers de l’Aguedal. Dar Beïda, la Maison Blanche, est une suite de palais avec de hauts pavillons d’angle qui sont des tours de veille, de belles kouba au toit pyramidal de tuiles vertes surmonté de boules d’or, de larges cours dallées de marbre.



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L’une a une pièce d’eau en forme d’étoile reliée par de petits canaux à deux autres bassins carrés de plus petites dimensions. Les grandes salles donnent sur les cours directement ou par des galeries à arcades. Ici, c’est une haute vasque de marbre et le dessin de zelliges qui l’entoure reproduit encore une étoile ; la troisième cour a un bassin aux cinq côtés irréguliers.

A l’extrémité sud du jardin de l’Aguedal, on voit de petits bâtiments où le Sultan Sidi Mohammed avait installé une sucrerie de cannes et une poudrerie. Tout le jardin est entouré de murailles qui ont, de distance en distance, des bastions où se rouillent avec le temps de vieux canons sans affût. C’est un contraste guerrier avec le calme du parc de verdure où roucoulent les tourterelles et sifflent les merles.

Mais il y a aussi l’autre pavillon de la favorite, celui aux tuiles vertes, plus spécieux, peut-être moins intime, sur les bords du bassin de la MENARA, dans lequel il se reflète merveilleusement. Il est encadré de trois hauts cyprès, sentinelles noires qui gardent cet enclos ; car les petites portes de chaque côté donnant sur le pourtour dallé du bassin sont toujours fermées ; il faut frapper et l’on entend ensuite le grincement des verrous que tire un gardien silencieux.

Le pavillon, orienté au nord, est fait pour les plaisirs; il serait dû à Moulay Abderrahman (1822-1859), vers l’époque de la prise d’Alger. Une salle unique au rez-de-chaussée où devait se tenir la domesticité, et une pièce avec quelques enjolivures sur les murs au premier étage donnant sur le large balcon qui semble surplomber l’eau du bassin unie comme un miroir. Le jardin d’oliviers et d’orangers qui encadre à la fois le bassin et le pavillon est du XVII° siècle, selon une relation de voyage de la Mission hollandaise venue à Marrakech en 1641 auprès du Sultan Sâadien, Abou Zidane. L’eau qui passe sous le pavillon est déversée dans le bassin par deux énormes coupes en forme de coquille ; elle est amenée par des conduits souterrains de l’Atlas dont on voit au sud les cimes neigeuses qui, à la tombée du jour, prennent des teintes successives, rose tendre, mauve, puis gris et vert à l’approche de la nuit.

J’ai assisté là, pendant une nuit d’été, à une fête de la lumière ; la grande salle du bas était garnie d’énormes lanternes de verre et les torches aux bras des domestiques noirs promenaient leurs flammes enfumées ; sur le bord du bassin, l’eau, miroir sombre, reflétait les boules de feu qui se penchaient sur leur propre image puis semblaient la fuir. Tam-tam, flûte, chant, c’est la fête de la nuit. Est-ce ainsi que le Sultan, au siècle passé, recevait la favorite ? La salle supérieure, avec son balcon sur la pièce d’eau, évoque des scènes plus intimes de rêverie et de volupté ; peut-être y avait-il aussi, dans la cour en bas, des musiciens ou des chanteurs pour étourdir les amants et exaspérer les sens.



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Palais du Sultan



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On me dit, mais c’est certainement une légende, qu’un Sultan, au matin, faisait jeter dans le bassin la favorite d’une nuit. Il l’avait choisie, sans doute, parmi les jeunes femmes qui, pour son plaisir, s’ébattaient et s’attardaient dans l’eau et par leur grâce, tentaient de se faire désirer.

« Eau pure du bassin, miroir immobile, dis-moi ma beauté. »

Pourquoi donc la favorite de la nuit n’était-elle pas aussi savant que l’imaginative Schérérazade et n’ajoutait, au matin, un nouveau conte au conte du matin précédent, et cela péndant mille et un matins ?

« Eau claire du bassin, ta fraîcheur repose, reçois-moi qui suis lasse, en effet. »
ainsi avait chanté Bilitis, la petite courtisane grecque.

Il y a là, au coucher du soleil, des jeux de lumière enchanteurs; le ciel est rouge d’une teinte de sanguine derrière les hautes tiges et les plumeaux des palmiers qui y font toutes sortes de dessins.

Dans le jardin d’oliviers et d’orangers, derrière l'Hôtel de la Mamouia, est un petit pavillon carré couronné d’une terrasse que l’on dit aussi celui d’une favorite ; il n’a pas de bassin au pied de ses murs. Par de belles nuits de printemps, les étoiles s’allument une à une, à pouvoir compter les premières et bientôt, elles emplissent le ciel immense ; le gros cyprès s’allonge plus noir que le ciel, puis, au travers de la terrasse, quand la lune se lève, elle y projette sa grande ombre. Nuits déjà chaudes, claires, ardentes ; il monte du jardin des parfums mêlés de toutes les fleurs de mai venus des orangers, des citronniers, des rosiers surtout, car rien n’égale le parfum des roses dans la nuit. Du quartier tout proche de Sidi Mimoun, arrivent des chants et de la musique ; il y a toujours une fête quelque part dans les nuits de Marrakech.

*
**

On arrive au MECHOUAR soit par la ville et le quartier de Berrima, soit par le chemin qui longel'Aguedal. Le Mechouar est l’audience publique qui a laissé ce nom au lieu où elle se tient. C’est dans cet enclos de murs que le Sultan, lorsqu’il résidait à Marrakech, prenait quatre fois par semaine contact direct avec ses sujets. Il était à cheval à l’ombre du parasol porté par un de ses serviteurs, seule marque d’ailleurs le distinguant de ceux qui l’entourent, vizirs, caïds ou chefs militaires, tous couverts de lainages blancs. A ces audiences, le Souverain reçoit le courrier qu’on lui porte des diverses régions de son empire et, ainsi, il est tenu au courant de ce qui s’y passe ; il donne des ordres aux caïds, à ses secrétaires, à ses officiers; puis il rend la justice, jugement sans appel et exécutoire sur-le-champ.




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Tous peuvent exposer leur cause par écrit, ou par personne de confiance; cependant, pour se présenter à ces audiences publiques, il fallait nécessairement apporter un présent proportionné aux moyens du demandeur et surtout à l’importance de la demande; de ces circonstances, les préposés du Souverain étaient au surplus les seuls arbitres.

Le principe est fort bon : exposer directement au Souverain les faits dont on a à se plaindre, exaction d’un caïd, abus d’autorité, etc...; mais la suite ? sur l’heure on a raison; rentré dans sa tribu, on est à nouveau en présence avec le chef local ; alors ? — le plaignant aura à se plaindre au Mechouar plus souvent de son voisin que de son chef.

Le Mechouar eut aussi des heures tragiques. C’est devant les portes du Palais que fut porté, supplicié, le Père Juan en 1631 et placé sur un bûcher. Lorsque les flammes montèrent, le Père se redressa, il fut alors frappé par les pierres que la foule lui jetait et achevé d’un coup de barre de fer asséné sur le crâne. A l’endroit même, le corps fut enseveli sous les décombres du bûcher et les déblais de terre. Peu après les restes furent pieusement recueillis par les chrétiens, placés dans un coffre de bois et cachés dans la prison ; quand les circonstances le permirent, le coffre fut porté en Espagne.

C’est au Mechouar que les Sultans recevaient les Ambassades où les grands personnages que leur envoyaient jalousement les pays d’Europe. Aujourd’hui, les cérémonies officielles se passent sur la route qui, de la ville nouvelle du Guéliz et par la poterne, va dans la Médina ; alors, depuis cette poterne percée dans les remparts jusqu’à la hauteur de la mosquée de Koutoubia qui doit être de toutes les fêtes, sont de chaque côté formant une haie vivante et bariolée, les femmes dans leurs belles robes blanches ou de couleurs vives portant au bout d’un roseau des poupées à leur taille ou bien simplement des soieries, des ceintures, de façon que tous ces objets qui ont touché leur corps, reçoivent au passage du Sultan, du Résident Général, ou autre grand personnage, la baraka, c’est-à-dire la chance heureuse qu’ils ne peuvent manquer de jeter sur les fidèles et aimables sujets de l’empire chérifien.

Le point du parcours le plus pittoresque est la brèche dans le rempar t; il y a là des indigènes perchés sur le haut de la muraille, ou accroupis sur la pente du monticule qui descend vers la route ; d’autres, du côté du jardin, sont avec moi à califourchon sur la murette dominant les femmes qui, à nos pieds, reposent à même le sol comme de gros paquets de linge blanc, leurs poupées aussi en attente appuyées contre la murette.



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Porte du Palais du Sultan



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MessageSujet: Promenades à Marrakech   Promenades à Marrakech - Page 2 EmptyMar 16 Sep - 8:31

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Les poupées sont des étoffes de soie très voyante, des robes en général, agrémentées de foulards multicolores ; tout cela agencé sur des tiges de roseau croisées qui donnent la forme d’un mannequin de grandeur naturelle ; les poupées sont jaunes, roses, bleues, vertes, mais les blanches sont les plus nombreuses ; quelques-unes ont une tête faite d’une boule de toile bourrée de paille, de linge ou de laine, sur laquelle on a peint des yeux noirs, une bouche rouge-sang et un trait vertical marque le nez ; cette tête est couronnée de fleurs, d’herbes fraîches ou d’un foulard.

Le canon tonne. Tout le monde se redresse ; les chevaux aux harnachements de vives couleurs sont impatients. La Poterne marque l’entrée de la ville indigène et le cortège s’y arrête pour respecter la tradition. En effet, un fonctionnaire marocain s’approche du personnage que l’on reçoit aujourd’hui et, au nom de la ville, lui présente la bienvenue sous la forme d’un bol de lait, de dattes et de gâteaux. Puis, le cortège se remet en marche.
Après son passage, c’est de suite, comme pour toutes les fêtes indigènes, la débandade, la cohue ; chacun va au plus pressé.

Il y a parmi les femmes, des jeunes, des vieilles, des noires groupées généralement par quartier de la ville. Elles défont leurs poupées qui pesaient à leurs bras, mettent voiles, robes et foulards en un paquet bien serré qu’elles porteront en équilibre sur leur tête, ou bien sous le bras, et elles partent vers leurs demeures lointaines. C’est très curieux ce long cortège de femmes qui vont d’un pas inégal, ayant sur l’épaule les croix légères que forment les deux bouts de roseau dépouillés des étoffes. Une tête de poupée au bout de la mince tige dégarnie paraît comme une tête de guerrier rapportée en trophée au retour d’une victoire.

23 novembre 1934. — Quel est ce grouillement de foule blanche au pied de la tour de la Koutoubia ? foule concentrée, grossie rapidement de points blancs qui semblent glisser sur le sol. Nous nous mêlons à elle, car de suite nous avons su que Sidna, pour commémorer la fête de son accession au trône, allait entrer dans Marrakech en cortège traditionnel ; et présidera la prière dans la grande salle de la mosquée de Koutoubia. Tout le long du couloir que suivra le CORTEGE DU SULTAN, entre le jardin d’orangers et le mur de clôture du Dar Moulay Ali, sont alignées, serrées, pressées, formant un long ruban blanc, les femmes voilées. On entend la musique, clairons, fifres et tambours et les cuivres bruyants; le cortège arrive et la bousculade reprend encore plus fortement, car il faut défendre sa place. Voici les cavaliers, la fanfare particulière du Sultan, les notables à cheval et, dominant le cortège, le parasol de couleur amarante qui avance au-dessus comme un drapeau. « Sidna, Sidna » murmurent mes voisins impatients. En effet, le Sultan Sidi Mohammed, hiératique sur son cheval noir, est suivi de ses Ministres et entouré de ses serviteurs noirs.



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