Ce Maroc bien aimé
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Mémoire de la présence Française au Maroc à l'époque du Protectorat
 
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 Au pays du paradoxe - MAROC -

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Paul CASIMIR





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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyJeu 7 Aoû - 10:01

128  
MAROC, PAYS DU PARADOXE


; on devinait la marche rageuse de l'action en suivant la direction des hululements des femmes courant de terrasse en terrasse, poussant des youyous aigus pour exciter les guerriers, hur­lant aussi à la peur, obéissant à cet instinct de la femme arabe pour qui tout est occasion de pousser des cris et qui manifeste aussi bruyam­ment le plaisir, la joie, la terreur et la mort.

Toutefois, je n'ai pas eu le loisir d'examiner très longuement le spectacle impressionnant d'une recrudescence de la bataille à la fin du jour, l'extension des désordres que marquaient les vociférations croissantes des femmes enivrées de massacre, espérant de nouvelles proies. II me fallut descendre pour prendre ma part d'un frugal repas organisé avec les provisions de route de l'Ambassade par Mme et M. Regnaultqui, (toute la nuit, avec un dévouement inlassable, se pro­diguèrent, assurant les vivres pour tant de per­sonnes rassemblées et les rescapés qui arrivaient peu à peu.

La nuit passa dans ces alternatives, les visions successives du salon de l'Ambassade abritant une quarantaine de personnes et de la veillée sur la terrasse dans le hourvari de la bataille. Le lendemain, dans la matinée, un apaisement semblait se faire et pendant le déjeuner, le Ministre me demanda si je me chargerais d'une mission assez scabreuse au Mellah.




129  
LA BEAUTÉ EN DANGER

Conduites par leurs instincts de pillards, les bandes de révoltés et les tribus voisines de Fez rameutées au canon s'étaient jetées sur le Mellah dans l'espoir d'y razzier l'or et les bijoux et d'y violer les femmes. Pillés par ces hordes et sans défense, les juifs avaient pu se réfugier au Dar El Makhzen, au cours du 17 et du 18 au matin. Le Mellah partiellement détruit par la canonnade, menaçait ruine en plusieurs endroits. Enfin évacué par les pillards, les juifs pouvaient y rentrer. Ils demandaient instamment à re­prendre possession de leurs maisons, mais il était urgent, avant de laisser ces dix mille occu­pants réintégrer leurs demeures, de s'assurer que les constructions pourraient encore leur offrir un abri. Il convenait de faire abattre, immé­diatement les murs menaçant ruine, de prévoir aussi un programme de consolidations pour !e reste. M'adjoignant quelques camarades, je partis.

II était peu commode de se rendre de Fez-El-Bali au Mellah par Bou-Jeloud et Fez  Djedid. Ce fut donc a travers le palais de Bou-Jeloud appartenant au Sultan, à l'abri des murs et des sou­terrains aboutissant au Dar El Makhzen, que j'arrivai au Mellah. Un spectacle d'horreur s'offrait. Partout des cadavres dans les décombres des maisons éventrées, le désordre indescriptible révélateur du sac d'un quartier où ce que la fureur des pillards pouvait avoir laissé intact avait été de nouveau bouleversé par le canon.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe : MAROC   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyJeu 7 Aoû - 10:08

130  
MAROC,  PAYS DU PARADOXE


Des jarres de beurre rance voisinaient avec des tentures et des débris de meubles recouvrant à demi les corps ensanglantés. Dans ce paysage de désolation, quelques animaux faméliques erraient, Chats et chiens se disputaient des pourritures. Un air putride flottait sur cet abandon. En quel­ques heures, une compagnie du Génie abattit sur mes indications les pans de murs qui présen­taient du danger pour la sécurité et jetèrent bas les maisons les plus branlantes. Une allée des­sinée parmi les décombres fut l'origine de la rue relativement spacieuse qui dessert le Mellah actuel. Après une éclaircie assez courte, la pluie recommençait à tomber. Vers cinq heures, au jour déclinant, la compagnie du Génie retournait à son campement dressé dans un coin de terrain déblayé, près de la brèche du Mellah. Je reconduisis l'officier qui la comman­dait jusqu'à sa porte, A ce moment, l'idée me vint de savoir ce qui se passait au camp de Dar Debibagh, que depuis deux jours, la bataille avait séparé de nous.

L'entreprise pouvait paraître hasardeuse. Ce­pendant, le grand aqueduc qui amène les eaux au palais m'offrait jusqu'à mi-chemin de Dar Debibagh l'écran d'une sécurité relative sur ma gauche.




131    
LA BEAUTÉ EN DANGER


Sur la droite de la route que je devais parcourir, le terrain était assez découvert pour que je me pusse croire à l'abri de toute surprise.

Je calculai que si je pouvais sans grand danger arriver jusqu'au bout de l'aqueduc, de là un temps de galop me mettrait rapidement hors de la portée des fusils ennemis. Mettant ce projet à exécution, j'arrivai sans encombre jusqu'à l'extré­mité de l'Aqueduc, puis je mis mon cheval aux allures vives. Au moment où je poussais ma monture dans la partie découverte, j'aperçus à une centaine de mètres devant moi et venant à ma rencontre, un Européen vêtu d'un caoutchouc noir dont le capuchon baissé lui masquait lee visage. Avant d'arriver à sa hauteur, je vis cette silhouette rejeter brusquement en arrière son capuchon, lever les bras dans un grand geste d'appel et se mettre en travers du chemin pour me barrer la route. J'eus beaucoup de peine à retenir mon cheval lancé et à ne point bousculer l'homme. Mais au moment où ma bête ployée sur les jarrets se cabrait, j'aperçus dans l'encadre­ment du capuchon les traits de Guillaume.

Je me penchai sur lui avec le même élan qui le jetait sur moi, pour répondre à son geste affec­tueux et nous roulâmes tous deux dans une mare de boue. Mon cheval démonté s'arrêtait.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyJeu 7 Aoû - 10:12



Evénements de Fez. - 17-18 et 19 Avril 1912

Vestiges du bombardement du Mellah.

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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyJeu 7 Aoû - 10:17

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MAROC, PAYS DU PARADOXE

Je ne pensai pas plus à le reprendre qu'à me garer du feu possible des rebelles qui pouvaient être sournoisement embusqués dans les taillis et nous descendre à loisir. Tout à la joie débor­dante de retrouver un camarade pleuré dont la pensée n'avait cessé de me hanter douloureu­sement durant ces longues journées et la précé­dente nuit, il me semblait qu'une sorte d'invul­nérabilité nous était assurée. D'un même cri, nous avions manifesté l'un et l'autre et la joie et l'étonnement de nous trouver vivants. On m'avait annoncé sa mort chez Biarnay et lui, après deux tentatives pour connaître mon sort, n'ayant vu revenir aucun des messagers qu'il m'avait dépê­chés, n'avait pu qu'en déduire que j'avais cessé de vivre. C'est dans un geste d'affectueuse étreinte par quoi les hommes traduisent mieux qu'avec des mots leurs sentiments profonds que nous reprîmes, bras dessus, bras dessous, la route de la Médina.



X


LE PROTECTORAT


Le 19, la ville était reprise. Le pays en état de siège, commandé par le général Brulard. Finie la conquête pacifique du Moghreb ! Après cette émeute, l'occupation devait se faire par les armes. Le ministre était remplacé par un militaire, et nous apprenions par le télégraphe, deux jours après, que le générai Lyauley avait accepté d'assumer la pacification du Maroc.

Après la grande joie de nous être retrouvés et les conversations qui durèrent, interminables, pendant des nuits au cours desquelles Guillaume et moi nous nous étions contés les détails de notre odyssée, puis remémoré la multitude des faits ayant précédé et amené la catastrophe, l'heure vint de nous séparer une seconde fois.



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyJeu 7 Aoû - 10:35

134
MAROC, PAYS DU PARADOXE


L'ambassadeur attendait son successeur à Fez, et je trou­vais correct de ne point l'abandonner. Guillaume devait rester attaché aux débris de son tabor dont il allait reprendre le commandement sans enthou­siasme. Je n'entrevoyais plus pour ma part, avant une date lointaine et indéterminée, la reprise de mes fonctions.

Certainement, il fau­drait renoncer à demeurer à Fez où je n'aurai plus rien à faire, au moins pendant quelque temps. Je repartirais donc. L'aurais-je cru moi-même : c'est sans aucun soulagement que j'aban­donnais ces lieux où je venais de passer des jour­nées aussi angoissantes ? Car cette ville où j'avais vécu tant d'heures délicieuses, où, en l'été de 1911, j'avais goûté tant d'impressions exquises, où j'avais vu cette foule naguère si accueillante et si joyeuse en cette nuit du 27° jour du Ramadan, m'apparaissait aujourd'hui sacrée comme un tombeau.

Tant de figures aimées s'y étaient effa­cées, que je ne verrais plus, et que j'avais croi­sées dans toutes ces rues, tous les êtres sympa­thiques reposant maintenant dans le cimetière de Dar Debibagh où le nombre des croix et des dalles mortuaires s'était si rapidement accru. La ville entière me semblait appartenir à ces morts. Elle m'avait séduit par son mystère, et par les joies d'artiste qu'elle m'avait données; je lui appartenais de toute la force des souvenirs douloureux que, désormais, elle renfermerait pour moi.




135
LA BEAUTÉ EN DANGER


Mais mon heure était finie ou reportée si loin !

Un militaire était nommé résident général qui n'aurait cure de l'œuvre que deux années d'obser­vations et d'études avaient préparée et que je définissais clairement en moi. Quel était cet homme ? Sans doute se soucierait-il fort peu de conserver les monuments et les sites, et de pro­téger, autrement qu'avec le sabre, un pays qu'il lui fallait d'abord conquérir par la force. Tel était mon état d'esprit. Toutefois, avant de quitter le Maroc, je voulais revoir Meknès, le panorama qu'on découvre du Zerhoun, et faire aussi mes adieux au galant homme qu'était le général Dalbiez et qui m'avait si aimablement accueilli, en 1911, dans son Etat-major.

J'étais à Meknès lorsque l'annonce de l'arrivée du général Lyautey vint nous surprendre. A marches forcées, il arrivait. Il fallait en prendre son parti. Le lendemain matin, il devait avoir accompli à Aïn Norma sa dernière étape. Il serait dans la soirée à Meknès et l'État-major de la colonne irait à sa rencontre. Le général Dalbiez m'offrit de faire cette promenade à cheval. J'ac­ceptai, d'autant plus volontiers que sans me l'être défini très nettement, j'étais anxieux. Je ne pré­voyais pas, toutefois, qu'il sût mon existence, mais Guillaume qui l'avait connu l'année précé­dente à la division d'Oran m'avait dépeint en termes élogieux : le militaire, l'homme, l'organi­sateur.



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyJeu 7 Aoû - 10:41



Quelques officiers instructeurs dans les Tabors marocains

avant les événements de Fez en Avril 1912.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyJeu 7 Aoû - 10:50

136
MAROC, PAYS DU PARADOXE


Il faut ajouter à ceci que Guillaume, qui paraissait désireux de ne point s'attarder au com­mandement de son tabor — il n'avait certaine­ment pas des raisons semblables aux miennes pour s'arrêter longtemps dans ce cadre aux dou­loureux souvenirs — m'avait remis des lettres pour des officiers de l'entourage du général.

Au début d'une radieuse après-midi de ce prin­temps marocain, je vis un fanion émerger d'une escorte composée d'un peloton de spahis pied à terre, chevaux en main. Le nouveau Résident général entouré de son état-major finissait de déjeuner. Le général Dalbiez lui présenta les officiers qui l'accompagnaient et mon tour vint de lui être nommé.

Grande fut ma stupéfaction quand le général parut éprouver un certain plai­sir en entendant prononcer mon nom. D'un pas il fut sur moi, me prit par les deux épaules et me dit : « Enfin, je vous trouve. Vous êtes l'homme que je cherchais et voulais joindre au plus vite. On m'abîme le pays, on m'éreinte Rabat par des bâtiments informes. Si vous voulez rester avec moi, je vous demande en grâce de veiller à ce que l'on cesse cette dévastation pendant que j'aurai, moi, durant au moins deux ans, la tâche des opérations militaires et de pacification de ce pays. »




137
LA BEAUTÉ EN DANGER

A cheval! En route. On rejoint Meknès au galop, dans la poussière. Parfois on s'arrête pile : le général Dalbiez présente des officiers. Un mot du général. Puis un autre temps de galop. Autre arrêt : des caïds présentent leurs hommages. On repart. Nouvel arrêt brusque. D'autres notables. Et, entre ces bonds successifs qui nous amènent sous la ville de Moulay Ismaïl, le général Lyautey m'appelle parfois près de lui. Dans le bruit de la course, il m'interroge. J'entends mal ce qu'il me demande. Mais je comprends le sens de ces ques­tions. Dans ses paroles et dans ses gestes, je lis qu'il me demande le moyen d'assurer au plus vite la conservation de ce pays : « Voyez cette cas­bah! Voyez cette belle porte, ce minaret ! Quelle couleur ! Ce serait un crime de détruire cela. »

Au milieu des allocutions qu'il adresse aux officiers venus le saluer, pendant que l'inter­prète traduit les phrases nettes qu'il adresse aux notables indigènes, son œil s'accroche sur un détail pittoresque du pays que, d'un geste, il me signale.

Et pendant les jours de route, qui, de Meknès, nous séparent de Fez, vivant à ses côtés, je m'aperçus que toutes mes craintes de naguère étaient vaines et que ce militaire, loin de rien vouloir raser ou supprimer, désirait au contraire tout conserver.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyJeu 7 Aoû - 10:57

138
MAROC, PAYS DU PARADOXE


Possédant un sens parfait de toutes les inestimables valeurs que représente­raient pour les artistes ce que d'autres hommes eussent considéré comme d'insignifiants vestiges de l'histoire marocaine, c'était l'homme qui pou­vait tout comprendre et me permettre de réaliser ce que j'avais le plus ardemment souhaité.

Disposant d'un tel appui, j'avais désormais la certitude, non seulement que rien ne risquait d'être perdu de mon travail de plusieurs années, mais encore que j'allais trouver en lui la force d'action créatrice d'exécution. Je devais voir, en effet, par la suite, que sans marchander sa signa­ture nerveuse —cotte signature, image graphique de son caractère, aux deux y incisifs et volon­taires — le général devait sauver les murs de Rabat, de Fez, de Marrakech et tant d'autres choses déjà promises, sans son intervention, à la pioche dévastatrice des démolisseurs.





XI


LES VILLES


Investi de mes nouveaux pouvoirs, j'allais com­mencer à réaliser. Jusqu'à ce moment, au Maroc, j'avais vu les fêtes et la guerre. Je ne prévoyais pas quel genre de nouvelle bataille il m'allait falloir livrer. Bataille sournoise contre l'Admi­nistration, car, ainsi que me l'avouait un député de Paris et non des moindres (il prit souvent la parole avec l'autorité que lui confère une com­pétence reconnue en matière coloniale), un Gou­vernement ne peut faire une colonie que contre le Parlement et non avec le Parlement. Il ne me fallut pas dix ans pour m'apercevoir qu'un Rési­dent ne peut organiser une colonie que contre l'Administration et non avec l'Administration. Bien que d'allure paradoxale ceci n'est, hélas! qu'une vérité. Quand, dans l'espace d'un éclair la tête a décidé, il faut avant la réalisation, que s'ébauche toute l'organisation matérielle des pro­jets qui demandent à être rédigés, dessinés, tapés, soumis en un mot au broyage de meule des petits rouages administratifs qui, d'ailleurs, n'exécutent leur besogne que suivant des règles dites de travail et qui ne participant pas à l'idée générale écrivent des minutes, dessinent, calculent en fonction des salaires qui leur sont attribués.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyJeu 7 Aoû - 11:00



FEZ

BAB DEKAKEN

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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyJeu 7 Aoû - 11:09

140
MAROC, PAYS DU PARADOXE


Ceux-ci sont en vérité trop maigres pour qu'en échange vous puissiez demander aux gens qui s'en trouvent affligés, d'avoir du génie, de l'allant et surtout de la compréhension. Au-dessus de cette machine lente, indifférente, compliquée, se trouve un organe dit de centralisation, décoré, comme il convient, du titre pompeux de Secrétariat géné­ral, et dont les décisions sont réputées sans appel.

Le Secrétaire général n'est pas forcément un financier, mais il discute finances avec, sinon autant de compétence, du moins autant d'autorité qu'un financier professionnel. Etant rien moins qu'ingénieur, il discute travaux publics, ouvrages d'art avec les idoines, et naturellement fait triompher son point de vue. N'étant pas méde­cin, moins encore hygiéniste, il n'en tranchera pas moins en dernier ressort les questions d'orga­nisation sanitaire. Fermé à toute compréhension artistique, moins peut-être encore par définition que par tempérament, il jugera avec une suave naïveté des couleurs et des formes et, en termes définitifs, finira par vous imposer son esthétique.




141
LA BEAUTÉ EN DANGER


En politique indigène, et parce que bourré des plus lourds rudiments de l'Administration fran­çaise, il se prononcera catégoriquement sur les questions berbères où les spécialistes ne s'avan­ceraient qu'avec d'infinies précautions. C'est donc, à proprement parler, la centralisation de l'incompétence. Pour résoudre ce problème appa­remment difficile, il y a deux solutions : ou bien appeler à cette fonction un homme d'esprit omniscient, mieux un homme d'esprit tout court, ou bien une inconscience. La seconde formule est évidemment d'application plus facile.

Pour en terminer de cette digression qui risque d'ailleurs de ne rien apprendre à personne et pourrait m'entraîner vers un sujet — je l'avoue­rai sans honte — au delà de mes compétences, je dois en revenir, suivant l'ordre chronologique des choses, au début de l'ère militaire du Protec­torat naissant.

Au cours de l'été de 1912, c'est avec des Colo­niaux et des escouades du Génie que je bouleverse à Rabat quelques arpents de vignes autour d'une petite villa acquise du consul d'Allemagne, pour y dessiner la demeure provisoire du Résident et établir les premiers repaires de notre Adminis­tration future.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe : MAROC   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyJeu 7 Aoû - 11:23

142
MAROC, PAYS DU PARADOXE


J'aurais mauvaise grâce à m'étendre sur les difficultés qui ont pu surgir à ce moment, attendu que toute l'aide possible nous fut toujours apportée par nos braves soldats. Ils nous fournirent ce dont ils pouvaient disposer.... Et le Général m'ayant enjoint de construire les premiers bureaux dans le style du pays, de manière que rien ne pût jurer avec l'ambiance ni déshonorer trop cruellement un paysage dominé par la masse imposante de la Tour Hassan, il me fut octroyé des planches et des tôles ondu­lées. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je finis par m'en contenter. Par bonheur la nature est, en ce pays, prodigue de ses dons. Un judi­cieux emploi des géraniums roses, des bougainvilliers, des plombagos arrange bien des choses et cache assez vite les horreurs dites architectu­rales.


L'important était, une fois cette première installation assurée, de sauvegarder l'ensemble caractéristique des sites du vieux Maroc, c'est-à-dire de prendre d'urgence une série de mesures propres à assurer la conservation des cités féo­dales. II fallait courir au plus pressé ; il eut été convenable d'être partout en même temps. Il importait d'installer à la fois militaires, fonction­naires, colons, en dehors des villes anciennes qui n'eussent point tardé à être gâtées sans remède par de très bonnes gens douées de la meilleure volonté.




143
LA BEAUTÉ EN DANGER


La création de nouveaux centres s'imposait donc de toute urgence.

Casablanca poussait comme un champignon. J'obtins qu'on changeât l'emplacement primitivement choisi pour la gare, de façon à ce que les voies du chemin de fer fussent placées en dehors de la ville projetée. Un boulevard extérieur partant non loin des Roches Noires devait aboutir près de la T. S. F. J'obtins aussi que les terrains des collines Ither et Provost fussent momentanément réservés. Une autre grande ligne perpendiculaire à la gare et se diri­geant vers le port était ries lors sommairement tracée. Elle doit s'appeler maintenant le Boule­vard de Lorraine. Dès 1913, le Service Prost s'installait, mettait au point cette première esquisse et faisait de Casa, qui s'était annoncé tout d'abord comme une agglomération cacopho­nique, une ville tout à fait honorable.

D'autres villes connurent des destins plus agités avant de trouver une assiette que les temps futurs se chargeront de reconnaître défini­tive. Toutefois à Fez, Meknès et Marrakech, je pus indiquer, sans me heurter à trop d'objections, l'emplacement des centres.

A Fez, le plateau de Dar Debibagh s'imposait au choix.



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyJeu 7 Aoû - 11:25

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La Tour Hassan - 1914

in " RABAT, La naissance d'une capitale par Victor CAMBON."
( article reproduit dans la rubrique "Revues et Livres - IV  - Textes et Documents" ,
sous-rubrique "Morceaux choisis" )




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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyVen 8 Aoû - 15:59


144
MAROC, PAYS DU PARADOXE

La grande cruciale de communication Tanger-Fez-Casablanca-Oran peut trouver son point de jonction par la plaine du Saïs, sur ce plateau abondamment pourvu d'eau, placé à souhait relativement à la ville indigène qu'il commande économiquement et stratégiquement. La station du railway à Dar Debibagh peut amener à une proximité suffisante de l'antique Zaouïa, entourée d'une double ceinture de nécropoles et de jardins au relief tourmenté, l'élément essentiel de l'ou­tillage économique favorisant les mouvements commerciaux et l'afflux croissant du tourisme. Le chemin de fer ne doit effleurer Fez qu'en un endroit, à Dar Debibagh. Il doit ensuite s'écarter de l'agglomération indigène autant que faire se pourra.,, pour rejoindre par la vallée de l'Iinnaouen, Taza et l'Algérie.

Que quelques mercantis européens se faisant depuis quelques années les avocats de certains propriétaires fasis qui n'ont point échappé à la tarentule de la spéculation réclament avec cette naïve audace qui est le propre de toutes les inconsciences et de toutes les ignorances une, sta­tion de chemins de fer à Bab Ftouh, rien de plus naturel.



145
LA BEAUTÊ EN DANGER

Ces gens sont dans leur rôle, tout comme leurs mandants qui se voilaient la face, en bons pharisiens, lorsqu'en 1905 on racontait en ville que les femmes d'Abd-El-Aziz se livraient aux charmes de la bicyclette et qui, à vingt ans d'intervalle, admettraient volontiers qu'on installât une station de métro sous les fondations de Qaraouïine, si cette installation devait avoir pour conséquence de faire monter le prix des terrains aux environs du fondouk de Nedjarine.

Mais qu'il se trouve des gens de gouvernement pour perdre leur temps à discuter de pareilles sornettes est infiniment moins drôle. Rien ne dit encore qu'on laissera commettre cette absurdité, mais il est assez significatif que depuis deux ans la question posée sur le tapis n'ait pas été résolue une fois pour toute par la négative. S'il est humain et normal que les quelques propriétaires européens et indigènes qui détiennent par héri­tage ou par acquisition récente un morceau de terrain aux environs du Bordj Sud souhaitent voir prendre une grosse plus-value à leurs pro­priétés, il est suprêmement ridicule de laisser leur imagination se donner carrière sur cet objet. En admettant, par une hypothèse absurde qu'il puisse être fait droit à leurs réclamations et qu'on en arrive à créer une station de chemins de fer à Bab Ftouh, examinons-en en gros les consé­quences : C'est d'abord le jaillissement hors du sol d'un quartier nouveau, d'une voirie, d'adduc­tions d'eau et d'égouts pour lesquels il faudrait des crédits nouveaux — qu'on ne trouverait qu'en les empruntant à la liste de ceux qui sont attri­bués à la ville européenne de Dar Debibagh.




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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 4 EmptyVen 8 Aoû - 16:13

146
MAROC, PAYS DU PARADOXE


Ce serait découvrir saint Pierre déjà fort insuffisam­ment vêtu pour recouvrir saint Paul, établir au mépris du principe qui veut que les villes euro­péennes de l'intérieur soient nettement distinctes et séparées des villes indigènes, une verrue fata­lement laide, hétéroclite, défigurant irrémédia­blement un site que nul ne peut modifier sans commettre plus qu'un crime, une faute de goût.

Qu'on ne vienne pas prendre comme argument valable de l'infériorité en laquelle se trouvaient par rapport à ceux des quartiers de la ville haute, les habitants des quartiers de Tamdert et de la Doua. Pendant des millénaires, les uns et les autres se sont fort bien accommodés du défaut de rues, de l'absence de routes et de voies ferrées. Le fasi qui se rend à mule du Tala à Dar Debi­bagh s'y transportera par le même moyen tout aussi bien de Bab Ftouh ou de Bab Guissa. Au surplus, que ceux des Marocains qui seront férus à ce point de progrès qu'ils ne puissent vivre sans chemin de fer à leur porte, aillent habiter Dar Debibagh. Nul ne leur a contesté le droit d'y acquérir des terrains pour y installer des fondouks aux environs de la gare du Tanger-Fez.




147
LA BEAUTÉ EN DANGER


Pousser notre effort sur un point dans chaque ville c'était logique, c'était le bon sens : aussi ne parviendrai-je jamais à comprendre que dans les hautes sphères de l'Administration il y ait eu un moment d'hésitation pour le choix de l'emplace­ment des cités nouvelles à créer auprès des villes marocaines.

Autour de chacune de celles-ci il existait assez de terrains maghzen pour canaliser les bonnes volontés des constructeurs et juguler, si besoin était, les appétits des spéculateurs dès qu'ils apparaîtraient démesurés.

Fort heureusement, la nature qui fait bien les choses, et qui semble avoir prévu certaines bévues des hommes qui ne savent pas fermement vouloir, a créé de telles impraticabilités autour de Fez-El-Bali que devant les difficultés à vaincre pour enlaidir ce vieil et admirable joyau, les ingénieurs et bâtisseurs de viaducs et de ponts regarderont par deux fois à la dépense. Ils seront conduits par le rugueux obstacle des impossibilités financières à s'arrêter définitive­rnent au seul projet logique et viable en matière d'urbanisme dans la région de Fez : porter tous leurs efforts pour le développement de la cité nouvelle uniquement, exclusivement à Dar Debi­bagh.

Mais, si Fez a été à ce point protégé par la nature, que les calculs de la politique de mos­quée soient encore impuissants à l'enlaidir et les intérêts de quelques groupes particuliers à l'em­puantir, sous prétexte de commodité et de modernisme, il est une autre ville moins bien défendue par la nature des terrains s'étendant autour de ses murailles séculaires.



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Vue de la ville de RABAT et de l'embouchure du Bou-Regreg

Cliché Jules Gervais-Courtellemont. - 1913 -


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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Elle avait trop d'espaces libres et propres à son facile enlai­dissement. Elle eut trop de parrains : elle on est morte.

Trop de parrains, car qui l'eût cru ? Ce seront successivement un inspecteur général des finances, un inspecteur adjoint, un maître des requêtes que leur initiation aux arcanes du Grand Livre ou du Conseil d'Etat auront, par une grâce toute particulière, et par cela même plus inattendue et plus remarquable, préparés aux connaissances spéciales de l'urbanisme. Ils décréteront tour à tour et souverainement sur le choix de l'emplacement des futurs quartiers administratifs qui eussent dû, en bonne logique et par voie de conséquence, déterminer l'empla­cement des quartiers commerçants de la ville nouvelle.

Rabat, que j'avais connue en 1907 et 1908 toute blanche dans sa double ceinture rosé et verte de remparts et de jardins, avait reçu déjà les pre­mières atteintes des barbares. Un militaire n'avait-il pas proposé, le plus sérieusement du monde, de jeter bas le mur des Andalous, s'éten­dant de Bab-Teben à Sidi-Maklouf, pour établir en son lieu et place un spacieux boulevard dont les matériaux se fussent trouvés ainsi tout trans­portés à pied d'œuvre ?



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LA BEAUTÉ EN DANGER

Une dépêche impérative du Résident général dont j'avais dû provoquer l'intervention avait seule empêché le désastre.

Mais le cimetière d'El Alou « s'ornait » déjà de quatre bâtisses élevées avec une rare célérité par le Génie dans le plus pur style de caserne 1845. Il ne pouvait être question de jeter bas ce qua­druple échantillon d'une architecture aussi manifestement utilitaire. Je dus faire revêtir à la hâte ce bâtiment d'une carapace un peu moins disparate. Il en résulte ce que l'on voit encore aujourd'hui : des constructions dont l'aspect extérieur ne correspond qu'imparfaitement à la distribution intérieure et qui rappellent assez bien ces noix mal venues dont le noyau trop petit se trouve traîné dans une énorme écorce de brou.


Mais la ville nouvelle restait a créer. Et il semblait bien qu'avec un peu d'esprit de suite et de bon sens mis au service de tout ce dont on disposait par ailleurs de vastes espaces doma­niaux, et la disposition particulièrement heu­reuse de ces terrains montant en pente douce comme un très vaste amphithéâtre, depuis l'Océan jusqu'à la crête de la colline bornant l'horizon à la limite du Grand Aguedal, il eut été facile, sans demander un arpent de terre aux particuliers, d'y dresser la Résidence future et les bâtiments administratifs autour de quoi tout naturellement se fussent groupés les divers quar­tiers de la cité nouvelle.



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MAROC, PAYS DU PARADOXE


La Rabat des Européens, la ville commerçante, pouvait être construite tout entière sur des ter­rains maghzen.
L'ensemble d'un seul tenant qui composait le Grand Aguedal où les sultans d'au­trefois faisaient camper les mehallas en vue des expéditions d'outre-mer, mesurait quelque cent hectares. En laissant pour les dépendances du Palais Impérial — disposant déjà des quelque cinquante hectares du Petit Aguedal — vingt-cinq hectares du Grand Aguedal, on disposait encore, d'environ 750.000 mètres que l'Etat pouvait, au fur et à mesure des besoins, vendre aux parti­culiers désireux de bâtir, en leur imposant tout tracé et largeur de voies, toutes servitudes qui eussent paru convenables.

Les propriétaires de terrains s'étendant entre la ville ancienne, le Bou-Regreg et la vieille muraille des Almohades, des indigènes pour la plupart, et qui. ne tenaient nullement, à celle époque, à tirer de ces vastes espaces plantés de vignes, un autre parti que celui auquel ils étaient dévolus depuis des siècles, auraient volontiers consenti à donner gratuitement le terrain nécessaire au tracé des routes qui pouvaient relier le fleuve à la ville européenne.



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LA BEAUTÉ EN DANGER


Celle-ci se fût trouvée tout entière groupée dans l'Aguedal et pouvait communiquer avec le quartier naissant de l'Océan par quelques voies largement tracées dans les jardins d'orangers.

A Meknès, la colline, se trouvant en face de la ville, dans les oliviers, offrait un site remar­quable.

A Marrakech, ii fallait absolument détourner l'ancienne piste, qui, du Nord, pénétrait directe­ment par Bab Khémis et, s'engouffrant vers les bazars, traversait la ville jusqu'à Djemaa-el-Fna. Il fallait donc détourner la route de Casablanca sur le Gucéliz où le camp militaire s'înstallerait obligatoirement, aménager l'arrivée, du côté de Bab Rob, entre la casbah et la place Djemaa El Fna. Marrakech, dans son immense enceinte, offrait de vastes espaces vides que la colonisation remplirait fatalement un jour, mais il fallait que la ville indigène restât indemne.

Le comique devait apparaître et n'y manqua point dans l'exécution de ces premiers tracés. Seul avec un secrétaire, un dactylo militaire et un chaouch, je dessinais sur des bouts de papier dos projets qui devaient être réalisés sur des centaines d'hectares. Les chefs des municipalités d'alors, des officiers de coloniaux, de tirailleurs, disposant de la double puissance de leurs attribu­tions civiles et militaires, auxquelles se joignait une grande bonne volonté, faisaient une besogne où l'activité le disputait et l'emportait de beau­coup sur la compétence.


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Aquarelle de Tranchant de Lunel


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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Entre autres détails amusants, il me souvient qu'à Marrakech, je fus, le jour même de mon arrivée, emporté dans un galop furieux à la suite d'un officier commandant aux destinées de la ville, vers le champ de nos travaux futurs. Au milieu d'un terrain semi-désert et semi-oasis, nous nous arrêtâmes, entourés pour l'étonnement  des palmiers et des oliviers, d'un nombre imposant de mokhaznis et de cavaliers. Là, le commandant de la municipalité m'exposa le résultat de son travail : au centre d'un grand cercle, tracé sur le sol, la conférence eut lieu.

— Voici, me dit le brave à trois galons, le centre de la ville. Vous voudrez bien remarquer qu'il est exactement placé au point que vous m'aviez indiqué. Je lance vers la droite, vers la gauche, au Sud, à l'Est et au Nord toutes ces avenues. Et il les indiquait successivement du geste de sa cravache. En effet, une vingtaine de grandes voies rayonnaient autour de nous, et tel Louis XIV, roi soleil, au centre de ses rayons, il me décrivait son œuvre. Des flots de poussière rouge s'élevaient sous la pioche des équipes de Sénégalais des bataillons coloniaux.





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LA BEAUTÉ EN DANGER



Sous leur effort, cet immense et mystérieux espace revêtait tout à coup la forme d'une tarte gigantesque divisée en autant de triangles que d'avenues, me rappelant ces gâteaux trop petits pour le nombre des invités et qu'on a divisés en morceaux micro­scopiques pour que chacun ait sa part. Cet étalage d'avenues eût été suffisant pour une ville de six cent mille âmes. Il est vrai que des historiens réputés sérieux attribuèrent au Marrakech d'autrefois une population de cinq cent mille individus. Rien ne défend, de penser que l'avenir lui réserve une semblable fortune.

Le mieux, est vraiment l'ennemi du bien. Je me vis à la veille d'être submergé par les bonnes volontés commises au tracé des villes nouvelles. Le fléau allait s'étendre à tout le bled. Et le Ser­vice des plans des villes qui, ïà Casablanca, à Meknès, paraît vraiment bien avoir saisi, la. situa­tion et qui, venu pour six mois eu mission pour mettre d'aplomb les projets primitifs est arrivé seulement maintenant, après neuf ans de travail raisonné, intelligent, incessant, aux pre­miers résultats appréciables, voit encore aujour­d'hui, comme à Fez et comme à Rabat, son œuvre battue sérieusement en brèche.


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XII

LES RÉSIDENCES


En 1912, quand le Résident s'installe, quand se dessinent en pensée les premiers éléments de la méthode du gouvernement fort qu'il veut établir au Maroc, il n'entend aucunement faire table rase des méthodes qui, dans le passé de l'Empire chérifien, semblent avoir donné les meilleurs résultats. Il faut, lui semble-t-ii, adapter aux nôtres les méthodes de gouvernement anciennes en usage au Maroc ; ce, tout au moins pendant une période de transition qui peut durer plusieurs années, c'est-à-dire pendant le temps consacré à pourvoir ce pays, au cours de sa pacification, des moyens modernes de communication qui seuls, par ailleurs, ont permis cette centralisation des services du gouvernement dans les capitales européennes.




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LA BEAUTÉ EN DANGER


A vrai dire, il n'y a pas ici une capitale. Il y a des capitales.

Ce sont les villes impériales : Rabat, Fez, Marrakech. Adoptant donc les méthodes anciennes du pouvoir chéri­fien, qu'expliquent l'histoire et la géographie du Maroc, le Résident général, qui gouvernera avec le Sultan, se déplacera chaque fois que les obli­gations de sa politique feront apparaître la nécessité de ces déplacements.

Les avantages du système ? Le général Lyautey me les avait brièvement définis à peu prés en ces termes :

« Casablanca ne peut pas être le siège de la Résidence, Ce sera la grande ville euro­péenne qui vit d'une existence spéciale, sans liaison politique intime avec la vie marocaine. Là est le débouché du Maroc : le port. Ce serait une grande erreur que d'y établir mes services. Nous devons être un organe répondant aux besoins généraux du pays. En ce lieu, an milieu de la grosse animation européenne, débordés par l'ambiance, nous deviendrions forcément, fata­lement, organe municipal et presque rien autre chose. D'ailleurs, le Sultan ne veut pas y habiter.

- Donc l'établissement du centre des services administratifs s'impose à Rabat, Rabat est tradi­tionnellement une des capitales de l'Empire. Nous respectons cette tradition parce que ce respect est une des forces dominantes qui mènent ce pays.


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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Pourquoi Rabat, plutôt que Fez ou que Marrakech ? Parce que ces deux autres villes impériales sont, dans l'êtât actuel des com­munications, pratiquement inaccessibles ou au moins d'un accès difficile el que tous ceux qui débarquent au Maroc doivent pouvoir s'adresser, dès le débotté, aux services centraux de la Rési­dence. Donc Rabat, situé à quelque quatre-vingt-dix kilomètres de Casablanca, reliée à cette ville ait plus vite par la route, le chemin de fer, ni trop près, ni trop loin, me convient parfaite­ment.

— De là, nous verrons et jugerons avec la mêne impartialité des besoins de toutes les régions du Maroc : celle du  centre, Meknès et le Rharb ; celle du Nord, Fez et Taza; celle du Sud, Marra­kech.

— Toutefois, si les services s'installent à de­meure à Rabat, me dit encore le général Lyautey, il faut que nous, c'est-à-dire moi, mes cabinets, mes directeurs — il  faut que nous, ce groupe résidentiel, soyons essentiellement mobiles. Nous organiserons Fez à Fez, et Marrakech — également sur place — à Marrakech. En conséquence, pré­voyez les éléments indispensables à l'établissement immédiat du groupe résidentiel dans les trois villes impériales. »




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LA BEAUTÉ EN DANGER

Ici, mon intervention pouvait être utile. J'avais fait depuis deux ans une sorte d'inventaire des lieux, malgré les portes fermées, dont quelques-unes s'étaient ouvertes sous des impressions différentes, dans des circonstances diverses. J'avais vécu successivement dans les trois villes. Je connaissais mieux que par ouï-dire les res­sources qu'elles pouvaient offrir pour asseoir les bases des installations demandées.

A Rabat, où il fallait aviser à l'immédiat, c'était extrêmement simple. Je devais tout consti­tuer, de toutes pièces : il n'existait rien.

Une petite villa -— l'une des rares habitations construites à celte époque dans les jardins et appartenant au consul d'Allemagne — fut achetée dès l'arrivée du Résident. C'était bien peu de chose. Quatre pièces habitables, un arpent de vigne. Là j'installai ce que tous ceux qui vin­rent au Maroc pendant ces dix dernières années connaissent de la Résidence. Le « village nègre », dont j'ai déjà parlé et qui dans nos évaluations premières devait durer deux ans, abrite encore l'essentiel des services.

Ne déplorons pas trop cette application nor­male de la règle du provisoire dont la longévité est en fonction rigoureusement inverse de la courte durée pour laquelle il était établi. Car dans la villa primitive, remontée d'un étage et flanquée sur deux de ses côtés de deux grands bâtiments en bois, renfermant :  l'un, la salle à manger et le salon de réception; l'autre, les cabi­nets civil et militaire, il fut fait une formidable besogne de gouvernement, des décisions furent prises, qui devaient décider du sort du Maroc aux premiers jours de la guerre.


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Le général Lyautey


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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Plus d'Histoire et non de la moins glorieuse s'est élaborée dans cette maisonnette quelconque, couverte d'une luxueuse et mouvante décoration de plantes grim­pantes, à l'intérieur de laquelle les tapis marocains, les grandes cartes, la bibliothèque du Général, ses objets familiers et les souvenirs rapportés par lui d'Indochine, et de Madagascar dissimulaient la modeste qualité des matériaux.

En d'autres bâtiments s'établiront les services diplomatiques, ceux d'état-major, les finances, les travaux publics ; j'en passe et des plus impor­tants... Et ce petit groupement de baraques en bois recouvertes de tôles ondulées, dissimulées sous un chaume de palmier nain et prestement habillées d'un vêtement de géranium-lierre et de bougainvilliers, fut certainement l'endroit où les erreurs de l'Administration et les intrigues deé cour se trouvèrent le mieux et le plus délicate­ment masquées sous des enchevêtrements de lianes fleuries aux corolles étincelantes.

La « baraka », qui présidait aux destinées du jeune protectorat, voulut qu'aucun incendie éclatant au milieu de cet amas de boîtes d'allumettes ne vînt simplifier l'administration en anéantissant archives et dossiers.




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LA BEAUTÉ EN DANGER


Un seul bâtiment brûla, en une heure, comme une torche, mais ce fut notre popote.

Disgracieusement élevée sur pilotis, elle dissi­mulait sous son plancher un matériel impression­nant, toutes ces choses utiles qu'à l'ordinaire on relègue, chez les bourgeois, à la cave ou au gre­nier. Et lorsque dans l'effondrement total du brasier, la glacière de l'office et le piano du salon s'abîmèrent, ils écrasèrent le cochon promis aux agapes de Noël, et qui protesta bruyamment d'être grillé deux mois trop tôt. Les cris du malheureux animal couvraient la voix du chef du Quartier général, ordonnant que l'on déroulât immédiate­ment le long tuyau de la pompe fraîchement arrivée de Paris. Malheureusement, le tuyau de ladite pompe en réserve sous la popote, naturel­lement, pour être plus à portée de la main, flambait en compagnie du cochon, du piano et de la glacière...

Qui sait si l'avenir ne fera pas regretter le passé des bocages multicolores du Bois sacré !

Transplantée dans la nouvelle et fastueuse de­meure dont le style composite pourrait combler d'aise tout à la fois un roi nègre et quelque Dufayel, l'Administration va s'installer en maitresse aux Touargas, confortable, dominatrice et sereine dans la pierre et le ciment armé et aussi dans ses meubles.


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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Tant qu'elle s'abritait sous des bâtiments précaires et modestes, démontables et modifiables autant que des dahirs, elle pouvait paraître aussi relativement légère et souple qu'il convenait aux besoins d'un Etat à ses débuts et dans la période intéressante — la seule — des innovations. Mais maintenant ? Enfin, le Maroc a prouvé qu'il possédait des trésors insoupçonnés d'adaptation facile. Nos mœurs comme nos yeux finiront par s'habituer à la formule néo-barba-resque de l'architecture de transition, orgueil de l'Administration protectrice, tout ainsi que nos oreilles se sont accoutumées successivement à la musique de Wagner, de Debussy, de Ravel, de Dukas et de Darius Milhaud, que certains décla­rent déjà déplorablement classiques.

Mais laissons s'asseoir et mûrir les grands projets et les vastes réalisations d'Etat sous les pergolas de ciment armé que les printemps de l'avenir fleuriront. Et passons à Fez.


La tâche que j'allais aborder sur ce point était quelque peu délicate. Car l'architecte devait éta­blir un diagnostic, en la circonstance plus diffi­cile que celui d'un médecin appelé à soigner un malade dont il ne parle pas la langue. Celui-ci se bornera à considérer l'état physique de son client.





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LA BEAUTÉ EN DANGER



II me fallait savoir la psychologie du mien, et pour l'installer à sa convenance, ne rien mécon­naître de son tempérament, de ses méthodes de travail et de ses manies. Comme c'était un homme de gouvernement, d'esprit parfois paradoxal, encore que génial, il me fallait faciliter dans toute la mesure du possible sa besogne, en ne composant pas pour lui des installations allant directement à l'encontre de ses idées et de son goût qui n'était pas toujours celui de tout le monde et moins encore le mien.

Précisément c'est parce que les goûts du géné­ral Lyautey différaient des miens sur bien des points, que le problème était assez difficile, II n'en était, par contre, que plus intéressant. Ses données, dans leurs grandes lignes, les voici : il faut un pied-à-terre pour le Résident général à Fez, un autre à Marrakech. Cela comporte, outre le logement du Résident lui-même, celui de ses collaborateurs accoutumés de travail, c'est-à-dire le cabinet militaire, le cabinet civil, le cabinet politique, le cabinet diplomatique, sept ou huit inspecteurs généraux et directeurs, des secré­taires, des dactylos, des téléphonistes, des ordon­nances.

Ce pied-à-terre, pendant les quinze jours ou les trois semaines de séjour du Résident général, doit permettre de recevoir toutes les délégations régionales.


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Fontaine dans la cour intérieure d'un palais marocain


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