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Mémoire de la présence Française au Maroc à l'époque du Protectorat
 
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 Au pays du paradoxe - MAROC -

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Paul CASIMIR





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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptySam 16 Aoû - 9:45

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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Mais pendant que je surveillais les premiers ouvriers et paraissais m'intéresser profondément à ces restaurations, purement superficielles, j'étudiais à loisir les fondations, les murs, les toitures dont la plupart étaient dans un état de délabrement effrayant. Cette méthode me per­mettait d'établir discrètement le genre de restau­rations que je pouvais entreprendre et de dresser le programme des travaux les plus urgents.

Le moyen était bon puisqu'il m'avait donné le temps de réfléchir et que, grâce à lui, je n'eus jamais maille à partir avec les Habous, les Tolbas, occupants habituels de ces lieux, ou la population. Mes ouvriers, régulièrement payés pour un travail qui leur plaisait, répondaient aux questions des passants : c'est « le moul Souirat », le Maître de l'Image.

Un jour vint où je pus interrompre les déco­rations les moins urgentes et travailler à la réfec­tion des fondations. Il était temps d'aviser si l'on voulait éviter les coûteux travaux auxquels avaient donné lieu les réfections des palais de Grenade, Car il était à redouter pour les Médersas de Fez ce qu'on avait pu déplorer pour l'Alhambra, les effondrements aux bases des édifices, le terrain étant rongé par l'érosion de l'eau des canalisations détruites.




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LA BEAUTÉ SAUVEE

J'étais allé deux fois à Grenade, entre temps, étudier avec M. Cendoya, le distingué conser­vateur de l'Alhambra, les formidables travaux que les Espagnols durent entreprendre pour éviter l'effondrement de murailles et de voûtes de plusieurs mètres d'épaisseur dans le terrain meuble, miné par les eaux, sur lequel avait été construit l'ancien Ksar des ancêtres de Boabdil. Ces travaux poursuivis pendant nombre d'années ont coûté plusieurs millions de pesetas.

A Fez, fort heureusement, les travaux souter­rains à effectuer étaient beaucoup moins impor­tants. Ils pouvaient se limiter à quelques dizaines de milliers de francs. Mais après avoir paré aux dégâts causés par les eaux du sous-sol, il fallait aviser à la réparation de ceux des eaux du ciel. Or, presque toutes 1rs toitures des Médersas étaient effondrées, les plafonds sculptés en majeure partie attaqués et pourris, comme à Saharidj et Mesbahïa. Ceux de la Bon Anania, d'Attarine et de Cherratine tenaient encore/ par un reste d'habitude.

Ce fut donc là le second stade de la réfection des Médersas. II fallut enlever les toitures avec mille précautions, remonter les plafonds sculptés, reprendre les murs dévastés par les infiltrations et lézardés, replacer le tout en utilisant tous les matériaux anciens qui n'avaient pas trop souffert et les tuiles vertes anciennes aux tons délicats.



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptySam 16 Aoû - 9:59


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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Le bord des toitures s'appuyait sur des corniches de bois de cèdre sculpté, reposant sur des consoles de même matière fort ouvragées.

Le gros œuvre ingrat terminé, il fallut refaire de l'art. Et c'est là que j'eus mes premières satis­factions véritables. Les ouvriers que j'avais découverts au début de mes travaux de répa­rations, deux vieux sculpteurs, avaient fait quelques élèves sans effort, semblait-il, et après quelques tâtonnements inséparables du début, ceux-ci travaillaient suivant les anciennes tradi­tions, en copiant si parfaitement les vieux modèles de corniches et de corbeaux ouvragés que l'œil le plus exercé et l'observateur le plus prévenu eussent difficilement distingué les parties an­ciennes de l'œuvre, de celles nouvellement replacées. Si bien qu'ayant eu toutes les peines du monde en 1913 à trouver deux sculpteurs dans tout Fez qui sussent convenablement les arcanes de leur métier, j'en étais arrivé en 1916 à pouvoir disposer d'une trentaine d'élèves comprenant plusieurs équipes travaillant chacune sous la direction d'un ma'alem, et qui pouvaient non seulement reproduire admirablement n'importe quelle partie des boiseries ornementées suivant la tradition ancienne, mais travailler économi­quement et ce qui, en matière d'entreprise, est bien la fin du fin, prendre part à ces adjudications instituées, chacun le sait, pour le plus grand bien des deniers de l'Etat.




199
LA BEAUTÉ SAUVEE


Maintenant que j'étais adopté par les Fasis comme « le médecin » des Mosquées et des Médersas et que tout doucement les gens naguère rébarbatifs s'étaient accoutumés à m'y voir péné­trer seul d'abord, puis avec quelques amis euro­péens, la coutume s'était établie do laisser |pénétrer ceux-ci dans les Médersas. Il suffit qu'ils apportent quelque tact dans leur visite et qu'ils s'abstiennent d'arborer avec trop d'ostentation des appareils photographiques aux heures con­sacrées à la prière.

Non seulement ces reconstitutions présentaient un incontestable caractère d'urgence, mais elles ont eu cet intérêt primordial de reconstituer assez rapidement une main-d'œuvre perdue, particu­lièrement précieuse pour la revivance dos industries d'art au Maroc.

Aujourd'hui les sculpteurs de boiseries, de plâtres ouvragés s'inspirent des modèles anciens, pris parmi les meilleurs morceaux décoratifs de la période des Mérinides et surtout des Saâdiens, où se retrouve tellement l'influence de la Renais­sance qui de l'Europe pénétra au Maroc au XVII° siècle, c'est-à-dire avec quelques dizaines d'années de retard.



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MessageSujet: Re: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyDim 17 Aoû - 16:32



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyDim 17 Aoû - 16:47

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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Par un effet de répercussion dont on ne saurait trop se féliciter, nous voyons reparaître, dans les nouvelles maisons indigènes que se font bâtir les riches citadins, ces éléments d'une décoration dont l'élégance et la beauté s'étaient singulièrement abâtardies depuis deux siècles.

A Marrakech, les caractères généraux de l'ar­chitecture des Médersas suivant ceux des Palais, d'époque Mérinide, les proportions en sont plus grandes, plus étoffées, moins mièvres que celles des Médersas de Fez. Les lignes en sont plus simples et plus larges, des piliers plus massifs remplacent les petites colonnes élancées qui sou­tiennent les arcs outrepassés des maisons de prière de la capitale septentrionale du Maroc. Les mosaïques y sont peut-être moins fines, mais souvent plus franches de tons. De grandes plaques de marbre sculpté s'inscrivent dans les cham­branles des portes. Au fond, les unes et les autres participent bien du même art, mais s'il y a ici plus de joliesse et parfois d'élégance, là il y a plus de noblesse et de force. A Marrakech comme à Fez, nous retrouvons, sauf le marbre, en plus grande abondance dans la ville du Sud, les mêmes matériaux disposés dans le même ordre, zelliges, cimaises, plâtres sculptés, bois ouvrés pour les corniches, les frises et les corbeaux. Mais dans la ville des Tombeaux Saâdiens tout est plus gras et possède peut-être plus de caractère.




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LA BEAUTÉ SAUVÉE


Ici et là mon rôle fut le même, celui que je m'étais choisi, dans lequel je me suis complu, et dont le seul mérite, si c'en est un, fut d'em­pêcher qu'on ne commît trop d'hérésies. Mon seul désir était et demeure qu'à l'égard des monuments de jadis, par quoi se raconte toute l'histoire de ce pays sur lequel tant de siècles ont passé sans y changer l'essentiel de la vie, les réparations indispensables ne soient point pires que l'injure des temps révolus.

A l'inverse de l'objet souvent louable qui peut inspirer des confrères de talent dont le but est de « faire un projet personnel », celui que je pour­suivais était de « repriser » l'édifice bâti voici six cents ans comme aussi do ravauder le tapis ancien offrant quelque intérêt décoratif. Je n'en ai pas poursuivi d'autre et je n'ai point souhaité plus haute satisfaction que celle de pouvoir me dire après la réfection de la porte des Oudaïas, que rien dans la silhouette extérieure de ce monument caractéristique de la puissance et du stylo almohade n'y pourrait déceler le rafistolage d'un architecte français du XX° siècle. Aussi bien, l'ordonnance intérieure de la salle du Trône ne diffère guère de ce qu'aurait pu imaginer l'architecte ...
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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyDim 17 Aoû - 16:56

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MAROC, PAYS DU PARADOXE


... marocain de Moulay Ismaïl ou de Moulay Abdallah, après l'adjonction, au Dar El Maghzen de Rabat, des corps de bâtiments nouveaux réclamés par la constante présence du Sultan Moulay Youssef.




203  



XIV


PALAIS DU SULTAN


Parallèlement à mes toutes premières inves­tigations dans les Médersa, menaçant ruine,  j'avais dû commencer une sorte d'inventaire des palais de la Couronne, plus sérieux que les vagues prospections de la première heure, effectuées presque en fraude.


A l'intérieur des hautes murailles rouges ceinturant les villes indigènes, d'autres murailles enfermaient soigneusement les compartiments et les agglomérations des châteaux impériaux que personne n'avait pu visiter en détail et que j'allais enfen pouvoir explorer, Désormais, j'étais là dans mon domaine, plus que partout ailleurs.

L'approche dévastatrice des militaires et des ingé­nieurs était moins à redouter, car, bien que régu­lièrement investi de la confiance des communautés religieuses et de celle de la Couronne comme architecte des Habous et de Sa Majesté le Sultan, ce n'est pas sans avoir aplani quelques difficultés, dévissé quelques protocoles millé­naires et autres bagatelles préliminaires, que je pus prétendre voir s'ouvrir les portes de bronze du domaine d'Allah et les portes de fer-blanc des habitations impériales.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyDim 17 Aoû - 17:00



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Aquarelle de Maurice Tranchant de Lunel.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyLun 18 Aoû - 8:36

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MAROC, PAYS DU PARADOXE

Je commençai d'abord par l'habitat des pou­voirs temporels, puisque c'est par eux, et en leur donnant satisfaction comme architecte et conser­vateur des nombreux palais, que je pourrais ensuite pénétrer officiellement dans les maisons de prière où j'avais fait quelques investigations aussi discrètes qu'officieuses.

Cet inventaire des travaux les plus urgents devait me demander passablement de temps et quelque patience. Et je n'ai point parlé de portes de fer à la légère. S'il existe en vérité une im­posante succession de triples portes bouchant hermétiquement tous les grands porches à baïon­nette, il me fallait encore compter avec les eunuques embusqués derrière chacune d'elles. Un palais chérifien est une invraisemblable agglomé­ration de bâtiments, de cours, de jardins, for­mant une véritable cité comme une ville impé­riale chinoise avec cette différence notable toute­fois qu'il y eut une unité, une base logique dans l'établissement des palais d'Extrême-Orient, qui fait totalement défaut dans l'autre.


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LA BEAUTÉ SAUVÉE

Pendant des centaines d'années, les représentants successifs de la dynastie mandchou ont habité les mêmes bâtiments, les mêmes salles que leurs prédéces­seurs avaient occupée, à l'inverse des sultans marocains qui éprouvent toujours une répu­gnance caractérisée à vivre sous les toits qui abritèrent le précédent sultan, et qui, dès leur accession au trône, bâtissent un nouveau palais à leur usage personnel.

Quelles sont les raisons de cette règle que l'on observe presque à chaque génération dans l'his­toire marocaine ? Orgueil, désir do vouloir éclipser l'œuvre laissée par le prédécesseur, émulation, horreur des lieux hantés par le souvenir de cer­taines tragédies de palais et de harem que les vieux serviteurs se sont transmis avec les grossissements et les déformations de la légende ? A quoi bon d'ailleurs vouloir percer le mystère et chercher l'origine de cette maladie, de la fièvre dont furent possédés les uns après les autres les successifs bâtisseurs impériaux.

A regarder les choses d'un peu haut, nos souverains n'en ont point usé différemmont et ce n'est pas leur faute s'il ne reste chez nous guère de traces des demeures royales antérieures à celle que fit élever saint Louis qui fut le dernier chérif de France, ...


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyLun 18 Aoû - 9:59

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MAROC, PAYS DU PARADOXE

..., bien que les matériaux dont nos ancêtres s'étaient servis fussent d'une matière autrement durable que le pisé, les briques, les plâtres grattés, les émaux et les bois ouvrés qui forment le fond et le décor fragile des plus belles constructions marocaines. Et cependant, sur la terre de France, peu de demeures royales sub­sistent qui furent construites avant la Renais­sance.

Au Maroc, toute l'histoire de l'art du bâtiment, à travers les dynasties, tient dans ce formidable ensemble de palais que constitue chacun des Dar El Maghzen, de Fez, de Mequinez ou de Marrakech.

Celui de la ville de Moulay Idriss qu'on aborde par Bab Guissa, datant de la dynastie des Maghraoua, et par Bab Dekaken qu'éleva le pre­mier des Mérinides, compte des centaines d'hec­tares. Après les trois premières cours successives du Méchouar où gisent quelques colonnes de style Béni-Mérin, on abordé, après avoir passé les lourds vantaux bardés de fer qui les séparent, une succession de couloirs à angle droit qui abou­tissent enfin à un patio vert dallé de briques émaillées où s'inscrit un grand bassin de marbre. Des jeux d'eaux partent d'une koubba soutenue par douze colonnes de marbre florentin établies suivant le dispositif des tombeaux Saâdiens de Marrakech dont nous parlerons plus tard.

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LA BEAUTÉ SAUVÉE

L'eau court et s'écoule de vasque en vasque jusqu'au bassin central rectangulaire où gît la carcasse rouillée d'un canot automobile qui depuis les dernières aimées du règne d'Abd-Kl-Aziz essaie en vain de s'y dissoudre.

Sur l'une des faces de la cour, un grand palais de briques roses sans toit aux ouvertures béantes, caprice inachevé de Moulay Hafid, visiblement inspiré de l'italien, dresse une façade inattendue, haute de plusieurs étages, barrée de ci, de là, de restes d'échafaudages couverts d'oiseaux qui lui communiquent vaguement la silhouette inquié­tante d'un monumental gibet de Montfaucon.

Sur les autres côtés du patio, des bâtiments aux toits de tuiles vertes, de style mérinide, offrent aux regards cet aspect revêche et renfrogné caractéristique des bâtiments construits pour des fins magnifiques et par la suite désaffectés.

Décors grandioses créés pour des scènes d'appa­rat : leurs portes monumentales aux vantaux rapiécés, aux ferrures rouillées no s'ouvrent plus que rarement, pour donner asile aux ballots d'étoffes mangées des vers, aux carcasses d'orgues, de pianos, de phonographes, de machines à coudre, de meubles crevés, aux cadres do miroirs brisés, aux armatures métalliques de lustres décorés, à tout cet invraisemblable bric-à-brac que devaient accumuler en monceaux énormes les fantaisies coûteuses, et lassées avant que d'être satisfaite, des sultans des avant-derniers règnes.


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MessageSujet: Re: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyLun 18 Aoû - 17:44

... L'eau court et s'écoule de vasque en vasque jusqu'au bassin central rectangulaire où gît la carcasse rouillée d'un canot automobile qui depuis les dernières années du règne d'Abd-el-Aziz essaie en vain de s'y dissoudre.... ( page précédente).


Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 Baasca49

Canal sur lequel canotait l'ancien sultan dans l'enceinte du Palais de Fez.

Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 Baasca50

Les canots automobiles du sultan Abd el Aziz.


Dernière édition par Paul Casimir le Lun 18 Aoû - 18:14, édité 2 fois
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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyLun 18 Aoû - 18:13

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MAROC, PAYS DU PARADOXE

Toutes les productions de la lustrerie, de la carrosserie, de l'ameublement pour rois nègres, choisies aux catalogues et expédiées au Maroc par douzaine ou par grosse sur l'ordre des femmes de Moulay Hassan, des favoris d'Abd-el- Aziz, achèvent de se dissoudre, de pourrir en des successions de salles dont les boiseries s'écroulent et les murs se lézardent. Des eunuques veillent jalousement sur ces extravagants amas d'oripeaux comme sur de fabuleux trésors.

Au sortir de cette cour et de cette théorie de palais vétustes, d'autres couloirs continuellement barrés d'autres portes, mènent à d'autres cours, encore plus vastes que les premières et, comme celles-ci, limitées par des bâtiments qui furent élevés par les sultans de la dynastie alaouite. Des inscriptions précisent parfois l'époque et le nom du potentat qui les fit ériger pour y tenir conseil avec son hajib, ses secrétaires, ou pour s'y retirer avec les favorites du moment. De nouveaux cou­loirs conduisent, sous de nouvelles voûtes, à de nouveaux ensembles, de proportions encore plus considérables que ceux jusque-là parcourus. C'est là que se tenaient les derniers empereurs filaliens, Moulay Sliman, qui vivant au temps de notre Révolution, refit l'unité du Maroc, au moment où Napoléon songeait à faire celle d'Europe sous son sceptre ;


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LA BEAUTÉ SAUVÉE



Abd Er Rhaman qui, après la défaite de ses troupes à Isly et le bombardement de Tan­ger et de Mogador par la flotte du Prince de Joinville, signait avec nous un traité d'amitié ; le Sul­tan Mohamed, contemporain de Napoléon III et Moulay Hassan qui, pendant vingt ans, multiplia les expéditions pour maintenir un ordre rigoureux dans toutes les régions du Moghreb.

Les magnificences de chacun d'eux s'y manifestent avec plus de certitude quo la sûreté de leur esthétique. Leurs architectes ont fait des emprunts le plus souvent désobligeants aux styles européens. Des détails d'ornementations s'accusent nettement de l'époque de la Queen Victoria, impératrice des Indes et reine des Bri­tanniques. Ils voisinent fâcheusement avec cet italien tarabiscoté de la seconde moitié du défunt siècle que la mission Campini apportait avec elle en prenant la direction de l'arsenal do la Makina.

L'intérêt de mes premières visites aux palais de Fez se nuançait de profonds regrets, moins imputables aux désaccords, à la  profusion des styles, au continuel côtoiement du superbe, du ridicule et du sordide, qu'à la constatation de l'insuffisance des ressources dont nos services allaient disposer pour essayer de sauver do la ruine, de la destruction par l'action combinée du soleil et des eaux, cette infinité de constructions dont les plus intéressantes au point de vue de l'art étaient presque partout les plus anciennes et les plus menacées.




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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyLun 18 Aoû - 18:24

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MAROC, PAYS DU  PARADOXE

La lente pourriture des siècles minait les plus beaux plafonds, les bois les plus finement sculptés, les stucs les mieux ciselés. Le désastre imminent était immense et .... inconnu. Jus­qu'alors personne n'avait songé à cette extraor­dinaire accumulation dé bâtisses et moins encore aurait-on pu supputer les sommes énormes que représenteraient l'entretien, la remise en état de ces monuments qui constituent cependant à peu près les seuls témoins de l'Histoire du Maroc à travers les dynasties chérifiennes et, comme elle, splendides et misérables aussi par tant de côtés.

Seul je pouvais juger, puisque seul je pou­vais voir cette énorme cité couvrant des centaines d'hectares, paraissant presque inhabitée, tombant lentement en poussière, et qu'aucun œil européen n'avait jamais pu explorer en totalité.

Et je songeais mélancoliquement que sur la liste civile du souverain, il avait été attribué deux cent mille francs au chapitre traitant des réparations à effectuer dans les palais du sultan !  II eût été inutile de s'attarder à des regrets stériles, et fou de tenter de tout sauvegarder à la fois ...


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LA BEAUTÉ SAUVÉE

Pendant que les eunuques, au cours de ces visites où je devais dresser un inventaire hâtif des travaux les plus urgents, faisaient circuler dans le dédale compliqué des couloirs, des cours et des passages secrets les nombreux occupants du palais sur lesquels mon regard ne devait point s'arrêter, je fis un choix sur ce qu'il convenait d'entreprendre pour éviter la chute des palais les plus intéressants.

Je dressais la liste des réparations d'extrême urgence dans les parties de l'ensemble où s'abrite toute cette mehalla de parents proches ou loin­tains, de familiers et de faméliques, de serviteurs, d'esclaves qui vit en marge de la vie, d'une exis­tence étrange, claustrale et silencieuse, dans les chambres dorées et vides, les cours sombres, les jardins resplendissants où, auprès des lions en­nuyés qui peuplent les ménageries et des paons faisant la roue sur les terrasses monumentales incrustées de mosaïques, les jets d'eau rient et dansent éternellement sons le soleil.



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyLun 18 Aoû - 18:27



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyMar 19 Aoû - 9:59




XV


UN PALAIS SAADIEN


Nous autres, gens de France, ignorons la géo­graphie ; c'est un fait constant et, à plus forte raison, l'histoire. Prenez cinquante Français, au hasard de la fourchette. Demandez à tous : « Qu'est le Maroc ? » La plupart des interrogés vous placeront Marrakech en Asie, ou peupleront Fez de Nègres mâtinés de Peaux-Rouges. En tout cas, pas un des cinquante n'admettra l'idée ba­roque qu'un pays aussi notoirement « sauvage » ait pu connaître, tout comme le nôtre, une histoire compliquée de dynasties successives, alternant la détresse et la prospérité ; que de grands souverains s'y soient succédé, les uns conquérants, les autres lettrés, et que des civilisations différentes les unes des autres aient pu s'ensuivre et marquer le pays de monuments à leur image.


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LA BEAUTÉ SAUVEE

Arrivant au Maroc, il y a si longtemps qu'il ne m'en souvient plus, je partageais probablement la générale ignorance de mes Concitoyens. Je ne prétends pas l'avoir, d'ailleurs, tout à fait aban­donnée, même   à l'heure qu'il est. Mais je sais pourtant que,  depuis l'époque  carthaginoise et romaine jusqu'à la race des sultans alaouites qui règnent actuellement, le Moghreb a connu bien des maîtres ; quelques-uns venaient de très loin : tels les califats de ces sultans omeyyades qui rece­vaient l'investiture de Damas ; d'autres répudiaient tout hommage à n'importe quel souverain et se proclamaient indépendants, tels les princes ber­bères et  Touaregs   qui furent, en somme, une réaction  contre la conquête arabe, voire contre l'Islam.

Et le seul fait à retenir de ces annales marocaines, souvent embrouillées, toujours confuses, c'est que les ancêtres de S. M. Impé­riale Moulay Youssef, notre présent sultan, ne monteront sur le trône chérifien. qu'au temps du bon roi   Louis XIII, soit exactement vingt ans après l'assassinat de Henri IV, en 1630. Ils suc­cédaient alors à une dynastie dite « saâdienne » qui s'était maintenue un peu plus d'un siècle sur le trône.

*
**

II est classique que toute dynastie appelée au pouvoir par la volonté des peuples ou par la grâce des dieux s'efforce d'abord de supprimer du mieux qu'elle peut tout souvenir de ses prédécesseurs.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyMar 19 Aoû - 17:12


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MAROC, PAYS DU PARADOXE

Louis XVIII, rentrant en France après les adieux de Fontainebleau, biffa Austerlitz et Wagram de l'histoire officielle, et data sa correspondance de la vingt-deuxième année de son règne. Les Alaouites, succédant aux Saâdiens, s'efforcèrent de persuader au Maroc que les Saâdiens n'avaient jamais existé. Ils disposaient, pour ce faire, de moyens plus étendus que n'en eut à sa disposition Louis XVIII. Celui-ci, le traité de Paris dûment signé, n'essaya point de raser de fond en comble les divers palais impériaux : l'opinion publique eût protesté peut-être trop vivement Le premier des Alaouites ignorait la presse d'opposition. Il sut agir en conséquence.

A Marrakech existait alors, à côté d'une nécro­pole saâdienne imposante, une demeure hérédi­taire digne des empereurs qui l'avaient habitée. Le tout disparut. De la maison des vivants rien ne resta, sauf quelques fondations indistinctes; et si l'on n'osa point, par pitié funéraire, traiter aussi brutalement les tombeaux, on les emmura de telle sorte que l'emplacement même en devint ignoré. Quelques descendants obscurs de l'an­cienne famille souveraine vivaient cependant encore. Ils étaient « cheurfa », c'est-à-dire descen­dants du prophète, à peu près sacrés ;

215
LA BEAUTÉ SAUVÉE

ils étaient, en outre, très pauvres, c'est-à-dire inoffensifs et résignés à l'être. On les épargna donc. On les oublia aussi. Et on continua de les voir, sans trop se soucier d'eux, pénétrer, par la mosquée voi­sine, dans l'ancienne nécropole où étaient enterrés leurs ancêtres. Eux mêmes continuèrent pieuse­ment d'y creuser leurs propres tombeaux. Les vendredis, ce qui restait de femmes saâdiennes venait pleurer selon le rite autour des dernières colonnes mi- écroulées.

*
**
Un soir d'entre les soirs, il y a quelques années, je me trouvais chez l'un des plus grands caïds du Sud. L'Atlas connaît de ces très hauts seigneurs qui réunissent la féodale puissance d'un duc de Bourgogne du temps de Charles VII avec les instincts délicats et l'ambition « artiste » d'un Cosme de Médicis ou d'un Stanislas de Pologne.... L'heure était alors mauvaise pour le pouvoir maghzani . Plusieurs monarques, proches parents les uns des autres, s'étaient assez brusquement succédé sur le trône de Fez. La République, tu­trice de ces empereurs chancelants, s'embrouillait dans Tordre de succession au trône.... J'en­tends dans le sens opportuniste de la chose. Et, parmi les grands vassaux dont je parlais tout à l'heure, quelques-uns se souvenaient peut-être que les Alaouites n'ayant pas toujours existé pouvaient très bien cesser un jour d'être.


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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Je ne fais là que supposer et mes suppositions sont, peut-être bien téméraires. II n'empêche que, le soir dont je parle, le grand caïd chez qui j'étais reçu, —nous causions Beaux-Arts et Littérature— se prit à m'entretenir avec insistance de ses défunts suzerains, les sultans d'autrefois, lesquels pour la plupart étaient sortis des rangs de leurs vassaux d'alors :

— Il y eut, par exemple, dit-il, des empereurs saâdiens....

Et après un silence :

— Pour vous, Français, qui aimez les belles choses... et qui savez y toucher respectueuse­ment, avec tout l'égard qui est dû à notre Foi... il y aurait des splendeurs d'autrefois, aujourd'hui oubliées ou cachées, que je pourrais révéler... Peu d'argent vous suffirait, je crois, pour sauver ces trésors anciens qui, sans votre intervention, tom­beront un jour ou l'autre en poussière.

Il se tut encore, puis, directement :

— Veux-tu voir? offrit-il.

Nous allâmes. La nuit tombait. Et c'est alors que je pénétrai pour la première fois dans ce que tout le Maroc appelle aujourd'hui « les tombeaux saâdiens ».


217
LA BEAUTÉ SAUVEE

On y entrait alors exclusivement par une poterne étroite percée au flanc mitoyen de la mosquée. L'expédition n'allait donc pas sans force difficultés. J'avais heureusement pour guide le plus puissant peut-être des seigneurs du Moghreb... avec qui même la loi religieuse a des accommodements

La mosquée traversée, la poterne franchie, quelques couloirs étroits se succédèrent. A la fin, je débouchai dans un enclos assez vaste, planté d'orties. Des tombes de marbre étaient là, Je trébuchai contre l'une. Trente pas plus loin, doux koubbas se dressaient dans la nuit. C'était là, sous ces toits singulièrement florentins d'appa­rence, que gisaient les sarcophages des empereurs de la dynastie morte, chacune de ces dalles recou­verte de marbre, A la lueur des lanternes, la sobre splendeur de ce tombeau, le plus magnifique à coup sûr de tout le Maroc, me remua jus­qu'à l'absolu silence. Décrire ici. la perfection des coupoles, la splendeur des plafonds do cèdre sculptés en ruches d'abeilles et dorés connue des reliures, la pureté des mosaïques; décrire surtout les douze colonnes qui supportent des koubbas, colonnes de marbre que la vénération des Croyants a polies à la base à force de baisers pieux, est chose impossible.


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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Et, d'ailleurs, je n'en vis d'abord rien, sauf l'irréprochable majesté de l'en­semble. Il fallut que le Caïd, mon hôte, m'entraî­nât par la main, jusqu'au bout du jardin planté d'orties, parsemé de stèles jusqu'à un grand mur crénelé, jalonné de hautes tours, qui bornait le jardin. Derrière cela, me fut-il dit, était le palais de la Bédia, qu'ont habité les empereurs  de la dynastie saâdienne.  Les Sultans alaouites  l'ont détruit. Il n'en reste rien.

Je songeai. Il me souvint d'avoir vu, quelques jours plus tôt, non loin de là, de singuliers sou­bassements entrecoupés de grands bassins rectan­gulaires comblés, qui semblaiaent témoigner d'une extraordinaire bâtisse, ruinée depuis des siècles et des siècles. Un grand palmier y a poussé tout seul, dernier hôte vivant de ce décombre. Je regardai le prince musulman, mon hôte.

— Quoi donc ? demandai-je, c'était là ce fabu­leux palais dont on parle, et qui était une forêt de colonnes, avec autant de chambres impériales que l'année solaire compte de jours ?

Le Caïd inclina la tête.

Il me souvint d'avoir trouvé, en effet, ça et là, dans tout le Moghreb et surtout à Meknès, des colonnes d'un marbre italien, d'un style italien aussi, et dont l'origine s'expliquait mal.

219
LA BEAUTÉ SAUVÉE

Et je compris que c'était là ces colonnes, jadis venues de Carrare à Marrakech, aux ordres des Sultans saâdiens, puis arrachées et dispersées aux ordres des Sultans alaouites. Et je crus, à la lueur des lanternes que balançaient les esclaves noirs du Caïd, voir leurs fantômes surgir de la nui!, à côté de la nécropole saâdienne presque intacte, et se réunir en ordre, comme pour ressusciter le palais avec ses ors, ses peintures, son ordre ciselé, ses mosaïques, ses faïences, ses vasques et ses bassins, tout cet ensemble dont le dessin gigan­tesque m'avait, naguère, confondu de surprise. Et je pensai à ce qu'il subsisterait de Versailles si une vague bolcheviste se prenait à passer par la France un beau matin.

Mais dominant toutes les autres ombres, comme le cyprès dépasse les mûriers du verger, venait Abou Ahmed El. Mansour, celui que l'histoire surnomme El Dhebi, le Doré, qui fut le maître de tout le Maroc, conquit le Touat et le Gourara, annexa le Soudan et Tombouctou, reportant les frontières de son empire au delà du Niger. Et c'est celui-là qui, après avoir muselé Fez la tur­bulente sous la triple et lourde menace des canons du Bordj Nord, du Bordj Sud et de Sidi Bou Nafa, rentrant à Marrakech y avait construit la Bédia.

« C'est le plus splendide édifice qui ait existé, dit El Oufrani, sur les terres musulmanes, surpassant en beauté les merveilles de Jaen et de Cordoue, justifiant les inscriptions admiratives de la koubba principale « El Khamsiniya », ainsi appelée parce qu'elle s'élevait à cinquante coudées au-dessus du sol. »


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MAROC, PAYS DU PARADOXE

Ces inscriptions disaient : « Les signes de beauté se manifestent dans les monuments et exercent leur fascination comme la prunelle dos beaux yeux. Ici est le vrai monde qu'habité le guide de tous les peuples de la terre, qu'ils soient loin ou rapprochés ».

Et mon rêve, nourri des légendes entendues et des souvenirs de lectures jusqu'alors engourdis au fond de ma mémoire, reconstruisait sans effort la demeure grandiose qu'El Mansour Es Saadi avait édifiée à l'époque de sa puissance afin qu'il pût demeurer comme un témoin durable d'une gloire que les écrivains contemporains disaient sans égale.

Et je voyais alors se profiler sur le ciel les hautes koubbas aux plafonds fouillés de stalac­tites dorées que supportait le quadruple faisceau des colonnes de marbre hautes et sveltes comme celles des tombeaux saâdiens et, comme celles-là, assemblées trois par trois. Les portiques élégants des pergolas réunissaient entre elles les palais se faisant face sur les quatre côtés de l'immense quadrilatère, et se reflétaient dans les bassins immenses.


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LA BEAUTÉ SAUVÉE


Et le miroitement des larges chemins de mosaïques entre les pièces d'eau prêtait à ces merveilles l'inconsistant aspect d'un mirage.

Les historiens de l'époque écrivent que lorsque la Bédia fut terminée, ses décorations et ses enjolivements achevés, El Mansour donna une fête magnifique à laquelle il invita tous les no­tables et les grands du royaume. On servit aux invités des mets de toutes sortes et des friandises variées, puis on leur fit des cadeaux et jamais auparavant on n'avait vu distribuer des sommes aussi considérables.

Parmi la foule dos gens qui prirent part à cette fête se trouvait un bouffon qui jouissait à cette époque d'une certaine réputation de sainteté :

- Que penses-tu de ce Palais, ô un tel ? lui dit El Mansour en plaisantant.

— Quand il sera démoli, il fera un gros tas de terre, répliqua le bouffon. El Mansour fut interdit en entendant cette réponse et en augura un sinistre présage.

Singulière destinée que celle de ce palais érigé par le plus puissant empereur de la dynastie saâdienne et qui ne devait pas survivre à cette même dynastie ; la Bédia dont la splendeur si grande, l'allure si haute, était à ce point évocatrice des triomphes d'un règne aboli, qu'elle hantait comme une menace, un reproche, un avertis­sement, le plus puissant sultan de la dynastie suivante.


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MAROC, PAYS DU PARADOXE

Et c'est pourquoi, Moulay Ismaïl qui, désespérant peut-être après les cyclopéennes réa­lisations de Mequinez de pouvoir jamais atteindre à une telle perfection, donnait en l'an 1119 (1610-1611) l'ordre de la détruire et de n'en point laisser pierre sur pierre.

Comme il en avait été ordonné, toutes les constructions furent démolies, les objets d'art mutilés et dispersés ; le sol resta ensuite en jachère, comme si jamais il n'avait été mis en valeur et devint un pâturage pour les bestiaux, un repaire de chiens errants, un asile pour les hiboux. Détail curieux, il n'y eut pas une seule ville du Maroc qui ne reçût quelques débris de la Bédia.

Mais depuis longtemps déjà et bien avant que n'intervînt la pioche des démolisseurs sur l'ordre de Moulay Ismaïl, la Bédia portait en elle le germe de la destruction future. Sa beauté, sa grandeur résument une ère de conquête et de gloire qui brille d'un trop fulgurant éclat pour être durable. Monument personnifiant la gloire d'un Sultan constamment victorieux, elle n'est plus au lendemain de la mort de celui-ci « la lumière du monde musulman dont les splendeurs — d'après les louanges hyperboliques du fki Abou Farès El Fichtali — effacent celles de Damas ».


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LA BEAUTÉ SAUVÉE


Ce n'est plus, sous le règne agité de son succes­seur immédiat, défendant âprement son trône tant de fois menacé par ses deux frères, qu'une grande flamme vacillante autour de laquelle se rassemblent les chefs des tribus encore fidèles au maître d'un empire qui se fissure, se fragmente et menace de se dissoudre.

Entre les hautes murailles roses et sur le dal­lage de marbre des patios du palais construit pour les cérémonies grandioses par quoi s'affirment la sécurité, la solidité et la prospérité des règnes, du sang coule. Une atmosphère de tra­gédie pèse maintenant sur l'immensité du châ­teau, sur le cordon des tours de veille trapues que viennent parfois battre le flot des révoltes, sur les miroirs d'eau et les jardins que les maîtres ne regardent qu'à de longs intervalles et sans les voir, la pensée tout entière absorbée par les mauvaises nouvelles de la guerre constamment allumée.

Et c'est la fin sinistre d'Abd el Malek assassiné, après une longue lutte contre les marabouts Dilaïtes et aussi celle d'El Oualid dont le royaume se limite au seul fief de Marrakech et qui meurt également assassiné. Avec Ahmed El Abbas qui, durant tout son règne, doit disputer aux siens les dernières provinces qui lui restent et qui est tué par trahison, c'est la fin de la dynastie saâdienne.


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MAROC, PAYS DU PARADOXE

Mais comme cette longue série d'épisodes tra­giques offre avec l'histoire de l'Europe, aux mêmes époques, d'étranges similitudes ! Le meurtre et la trahison guettent tous les maîtres des peuples. La Bédia n'est après tout qu'un théâtre comme les autres où se jouent presque aux mêmes heures des drames presque semblables. La Bédia n'est que la fleur tardive et transplantée sur le sol africain de cette Renaissance qui n'était pas seulement celle des arts, mais aussi celle des esprits, la rénovation des formules régissant les sociétés restées cristallisées pendant le Moyen âge.

Débordant d'Europe sur le seuil du continent noir avec les musulmans chassés d'Espagne par les rois catholiques et leurs successeurs, la Renais­sance ne portait pas seulement en elle cette soif de splendeurs, de raffinements et d'élégance, mais aussi cette rafale de  violences qui marquent comme des jalons sanglants sur la grande route de l'Histoire où tournoient les peuples, les fins tumultueuses, étranges et tragiques des Rois de France, comme Henri II, François II, Charles IX, Henri III, des empereurs d'Autriche rois des Espagnes et des Amériques, comme Charles-Quint et Philippe II, des Stuarts, ces Valois d'Ecosse et d'Angleterre.

Le palais de la Bédia a duré cent dix-sept ans.

225
LA BEAUTÉ SAUVÉE

Et c'est là une coïncidence singulière : ce nombre étant exactement celui de la valeur numérique des lettres de son nom. Il avait été terminé en 1002 (1594). « La durée, l'éternité, le pouvoir absolu n'appartiennent qu'à Dieu, le Souverain Rétributeur. »


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MessageSujet: Au pays du paradoxe : MAROC   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyMer 20 Aoû - 16:39



XVI


PALAIS DU SULTAN — MARRAKECH


C'est dans les semaines qui suivirent la défaite et la fuite d'El Hiba dont les hordes d'hommes bleus venaient d'être mises en déroute par la fou­gueuse intervention de la colonne Mangin, que s'effectua ma première visite au Dar El Maghzen de Marrakech.

Complètement abandonné depuis quatre ans, c'est-à-dire depuis l'heure où Moulay Hafid, Khalifa du Sultan à Marrakech se décidant à jeter le masque, se faisait proclamer émir, et marchait à la conquête de Fez, le Palais impérial de Mar­rakech présentait cet aspect de délabrement que j'avais constaté pour certaines parties de celui de Fez.

Rien n'y subsistait plus des constructions élevées par les premières dynasties, nul témoignage de la puissance almohade.


227
LA BEAUTE SAUVEE


Passé la cour du méchouar où se trouve le gros œuvre d'un palais moderne dont le style paraît avoir hanté le cer­veau de Moulay Hafid, puisqu'on revoit le même dans le grand patio vert du Dar El Maghzen de Fez, les premières cours adjacentes de belle ordonnance sont encloses entre des bâtiments du style solide des Mérinides. Les mosaïques des patios soulevées par le constant travail du sol miné par les eaux filtrant des conduites disjointes, y dessinaient des archipels bigarrés émergeant d'une sorte de lagune vaseuse. D'énormes amas de guano drossés par les vents et les pluies de plusieurs dizaines d'hivers, montaient à l'assaut des murailles et témoignaient de l'indifférence profonde des maîtres pour les parties les plus anciennes du Palais que n'habitaient plus que des myriades do pigeons sauvages.

Quelques silhouettes de vieilles femmes et d'eunuques meublaient divers recoins minables des bâtiments désertés qui avaient abrité jadis les rêves de grandeur des premiers Saadiens et que le caprice des Alaouites du XVIII° siècle a convertis depuis en cuisines, on buanderies, en magasins d'approvisionnement. Les lichens, les perce-pierre, les mauves avaient peu à peu poussé dans les fentes des murailles entre les tuiles et hâté la pourriture des solives, la destruction des plafonds.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 6 EmptyMer 20 Aoû - 18:00

228
MAROC, PAYS DU PARADOXE


Toute une partie de cette cité impériale où se trouvait notamment un grand patio fermé, inscrit entre quatre pavillons de la plus belle architec­ture saâdienne, achevait de se ruiner lamenta­blement sous l'œil indifférent des occupants.

Les derniers sultans, lors de leurs séjours à Mar­rakech, n'habitaient plus guère qu'un dixième de l'ensemble : un groupe de grands palais bâtis au cours des XVIII° et XIX° siècles autour d'un jardin immense planté de ci, de là, de hauts cyprès, dans le voisinage desquels poussaient en un étonnant pêle-mêle, des rosiers, des choux, des acanthes, des amandiers, des vignes et toute la tribu des mauvaises herbes. Tel était l'essentiel de ce qui m'avait été montré en fin de 1912 et de ce qui, au cours des années suivantes, avait été peu à peu réparé selon mes indications. Mais ce n'était encore qu'une partie, la plus importante, il est vrai, de cet ensemble : car quel que soit le grade hiérarchique de celui qui donne l'autorisation indispensable à la visite d'un Palais chérifien et la bonne volonté de l'architecte dûment qualifié chargé de porter remède aux injures du temps, il est des parties du Palais qu'il est presque impossible de connaître. Inertie, mauvaise volonté des eunuques ? Je ne sais, je constate simplement qu'il est des résistances passives qui déconcertent et lassent les patiences les plus éprouvées.

229
LA BEAUTÉ SAUVÉE

Aussi les choses restent-elles dans cet état de délabre­ment qu'elles gardent depuis des temps très anciens, jusqu'au jour où une tempête, un oura­gan, une pluie diluvienne déterminent l'écrou­lement d'un bâtiment ruiné sur la tête de ses occupants. C'est précisément ce qui advint au cours d'un séjour du sultan à Marrakech en 1915. Un matin de cette année, je fus demandé en toute hâte au Palais. Sa Majesté Moulay Youssef, prévenu de mon arrivée, me prit par la main et au mépris de tous les protocoles, dédaigneux de toutes les caïdas, sous l'œil consterné des eunuques, m'entraîna à travers cours, jardins, couloirs, portes et patios dans une partie des palais totale­ment ignorée de moi, pour m'y montrer un pavillon dont l'écroulement paraissait imminent Dans sa précipitation, le sultan n'avait pas voulu même prendre la précaution de « faire faire le chemin ». Nous croisions dans les cours quantité de femmes et d'esclaves qui s'enfuyaient éperdus dans toutes les directions avec des clameurs et de grands gestes et qui, à ma vue, se voilaient la face. Nous pénétrâmes enfin dans une grande construction dont la Koubba s'était en partie écroulée pendant la nuit précédente. C'était un palais d'origine mérinide, comme en témoignaient le style des boiseries, l'épaisseur énorme des murs et aussi les très beaux panneaux de marbre sculpté, his­torié d'inscriptions décoratives enchâssés dans la tranche de la porte ....




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