| | NOTES DE LECTURES | |
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Pierre AUBREE Admin
| Sujet: Edith WHARTON Sam 16 Juin - 9:28 | |
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Dernière édition par Pierre AUBREE le Dim 31 Mai - 8:49, édité 3 fois | |
| | | Pierre AUBREE Admin
| Sujet: André CHEVRILLON Jeu 31 Mai - 18:12 | |
| André Chevrillon Marrakech dans les palmes On redécouvre André Chevrillon (1864-1957) qui fut, à l'ère des Empires, un voyageur immensément cultivé, curieux des grandes civilisations d'Asie et d'Orient. Le Maroc occupe une place à part dans son œuvre. Fn 1906. il publia chez Hachette un beau récit "Un crépuscule d’Islam", où il raconte sa découverte fascinée de la vieille capitale religieuse et mystique. En 1913 et en 1917. il parcourut à nouveau le Maroc. mais dans un cadre plus officiel. à l'invitation de Lyautey qui s'efforçait de séduire les écrivains avec les réalisations du jeune Protectorat, Mais Chevrillon sut toujours préserver sa liberté d'analyse. Plus que Casablanca et le Maroc côtier. c'est le Sud qui l'intéresse. et particulièrement Marrakech. la grande ville africaine. dont il put observer des traits encore purs de toute influence extérieure. En 1919. il réunit en un volume, "Marrakech dans les palmes", les récits de ses deux voyages à l'intérieur des terres dans un pays féodal, guerrier, et farouchement attaché à son indépendance. - Édisud a tenu à inaugurer par ce livre à l'écriture somptueuse son programme de réédition de livres oubliés ou méconnus qu'il importe de redonner au lecteur, dans leur version intégrale. Préface de Jean-François Durand (Montpellier 3) Préface
Relire Chevrillon (1864-1957)
Le Maroc occupe une place a part dans l'œuvre d'André Ghevrillon, que l'on redécouvre enfin après plusieurs longues années d'un relatif oubli (1). En 1905, à une époque cruciale qui vit le pays s'ouvrir davantage à l'étranger, Chevrillon séjourna à Fès, sur l'invitation de Georges Saint-René-Taillandier, ministre de France à Tanger, alors en mission diplomatique dans la vieille capitale. Chevrillon a raconté cette première découverte du Maroc dans un riche récit," Un crépuscule d'Islam", publié chez Hachette en 1906. Ce qui fascina d'emblée l'écrivain, c'est la persistance, dans le proche voisinage de l'Europe, d'une culture qui avait su préserver des traits religieux, des styles architecturaux, des modes de vie d'une profonde originalité. Chevrillon s'intéressa, certes, comme Pierre Loti plus de dix ans avant lui(2), à la "couleur locale" et au pittoresque de scènes de rue qu'il sut rendre avec un art parfaitement maîtrisé de la description. Il fut très attentif à ce qu'il put saisir, comme subrepticement, de la manière d'être des vieilles familles citadines où demeurait quelque chose de la sensibilité raffinée de la vieille Andalousie. Mais l'écrivain voulut aller plus loin, découvrir davantage l'essence d'une culture, dans sa continuité historique et ses valeurs singulières. Il comprit ainsi l'importance de l'Islam, dont il perçut, immédiatement la fonction identitaire. Cet intérêt porté à la dimension religieuse doit beaucoup à la culture historique de Chevrillon, à ses lectures attentives de Michelet, de Taine, de Macaulauy, de Quinet, qui tous s'intéressèrent aux architectures intérieures des grandes cultures, dans lesquelles ils analysaient un certain rapport à l'absolu, spécifique, irréductible : de là des différences stylistiques essentielles, d'une civilisation à l'autre, des façons d'être, des manières de penser qui sont comme la marque de la fascinante diversité du monde. Mais les cultures et les religions mêmes traversent des phases d'apogée et de déclin : le Maroc, en 1905, semble menacé de décadence et de stagnation, comme immobilisé dans des formes ancestrales qui lui donnent d'ailleurs sa pathétique beauté. Quelques-unes des plus belles pages de Chevrillon s'attarderont sur la splendeur des crépuscules, non sans exprimer la lancinante nostalgie des antiques modes de vie qui s'éteignent. Huit ans plus tard, Chevrillon sera invité "officiellement" dans un Maroc nouveau, quelques mois après la signature du traité de Fès qui entérine l'influence française(3). Il visitera Rabat, Casablanca et enfin Marrakech, dans ce Sud encore mystérieux qui était le but de son voyage. Quatre ans plus tard, en pleine guerre mondiale, Lyautey l'invitera à nouveau à l'occasion de la foire de Rabat, en novembre 1917. Ce sont donc deux récits de voyage que Chevrillon réunira sous le titre Marrakech dans les palmes, et qu'il publiera en 1919 chez Calmann-Lévy(4). Ce livre, souvent cité, méritait une réédition intégrale, tant pour ses qualités d'écriture que pour son intérêt historique. Chevrillon fut obsédé dans toute son œuvre par le brusque basculement du monde que l'on peut observer tout au long du xix" siècle et au début du xxi", dans le sillage d'une révolution industrielle qui allait bouleverser, de façon inéluctable, les antiques équilibres géopolitiques et culturels. Il était d'ailleurs l'observateur idéal pour bien mesurer l'ampleur mondiale de ces transformations, qui sont l'arrière-plan historique de tous ses récits, et leur donnent une profondeur de champ que n'ont pas toujours les écrits des voyageurs contemporains. Le milieu familial de l'écrivain explique pour une large part l'originalité de son regard. Chevrillon naquit le 3 mai 1864, à Ruelle, en Charente : son père fit une carrière d'officier d'artillerie de la Marine. Sa mère, Sophie, était la sœur d'Hyppolyte Taine. À la mort subite d'Isidore Chevrillon, le célèbre historien veillera personnellement à l'éducation de ses neveux. André Chevrillon a raconté cette partie de sa vie dans un beau livre, qui est un témoignage historique de première main, Portrait de Taine. Souvenirs (Arthème Fayard, 1958). André et son frère Louis seront élèves de l'École Alsacienne. Après des études à Louis-le-Grand et à la Sorbonne, André passa une agrégation d'anglais (il fut reçu premier en 1887), avant d'entreprendre une thèse sur Sydney Smith. La double culture, française et anglaise, d'André Chevrillon, lui donna certainement les outils indispensables à la compréhension d'une époque passionnante par les changements spectaculaires de l'ordre du monde qu'elle vit, en quelques décennies, se dessiner. Le premier grand voyage d'André Chevrillon le conduisit tout naturellement en Inde, d'octobre 1888 à janvier 1889 (juste avant qu'il ne soit chargé de cours de langue et littérature anglaises à la faculté des Lettres de Lille en février 1889). D'autres périples, outre les voyages marocains déjà évoqués, le conduisirent aux États-Unis, en Asie, en Egypte et en Palestine, dans le Mzab algérien. Chacun de ces voyages était précédé de longues et minutieuses lectures, et se concluait par des livres" qui aujourd'hui encore retiennent l'attention par leur art de la synthèse, la vigueur d'une pensée nourrie d'une culture à la fois précise et globalisante. Nul doute que cette œuvre, au fil des rééditions, va occuper à nouveau dans le paysage culturel français la place qu'elle mérite. Dès le chapitre I de Marrakech dans les palmes, "La route : Casablanca naissante", Chevrillon trace un saisissant tableau d'une occidentalisation du monde qu'il ne cessera de décrire dans sa fondamentale ambivalence. L'historien qui est en lui comprend que celle-ci est inévitable, à partir du moment où des forces nouvelles, économiques, techniques, qui modifient radicalement l'antique rapport au temps ou à l'espace, commencent leur irrésistible ascension. Ces forces sont avant tout matérielles : ce sont celles du commerce mondial, de l'industrie lourde, de la métallurgie, des armes : elles sont au cœur de l'histoire moderne des grandes nations impériales, la France, l'Angleterre, et elles creusent un fossé, qui est d'abord technique, entre cette partie du monde qui les vit naître et les antiques civilisations davantage soudées par des valeurs religieuses, attachées à des modes de vie dont Chevrillon salue, comme Pierre Loti avant lui, la beauté et la richesse. Sans que le terme soit prononcé, Chevrillon comprend que ces forces nouvelles vont rendre possible un type inédit de domination : celle-ci s'exercera du nord vers le sud, des nations industrialisées vers les nations agricoles et pastorales, des sociétés saisies par la mobilité et la rapidité du temps industriel vers les cultures "immobiles", dont l'immobilité est d'ailleurs fascinante, comme un reflet splendide de quelque paradis perdu. Mais il faut mesurer le prix, extrêmement coûteux en valeurs humaines et culturelles, de cette "grande transformation(6) qui est, pour emprunter un terme de Jules Michelet, la plus récente "fatalité" du monde moderne. Le Maroc que Chevrillon a découvert et aimé, dès 1905, est à l'épicentre de cette grande transformation. La ville neuve de Casablanca, démesurément grandie en quelques années et dont Chevrillon mesurera, d'un voyage à l'autre (de 1913 à 1917), l'évolution exponentielle, est un exemple frappant de ce choc des cultures que ses récits décriront. Ce qui est en cause, c'est essentiellement une manière pré-industrielle de vivre le temps et l'espace, comparable en cela à ce que durent connaître l'Occident médiéval ou l'antiquité classique, et d'autre part les nouvelles temporalités, parties d'Europe et d'Amérique, et vouées à conquérir la planète. Ces nouvelles temporalités sont marchandes : elles ne reconnaissent plus les anciennes valeurs spirituelles, qui ne se cotaient pas en Bourse et échappaient à l'argent. Elles méprisent les univers intérieurs, les spiritualités, dont Chevrillon aimera à retrouver les formes encore vivantes aussi bien en terre d'Islam que dans l'Asie bouddhiste. En 1913, à Casablanca, il observe le combat inégal qui s'engage entre "la dernière des sociétés musulmanes dont le type était resté pur" et un autre principe d'organisation sociale, pragmatique, utilitaire et fonctionnel. "Infection ou remède héroïque"? À propos de la pénétration française, c'est la question que pose Chevrillon dans ce livre, qui tantôt s'attardera sur les beautés menacées du Maroc ancien et tantôt décrira, non sans un certain stoïcisme, les réalisations d'un Maroc naissant transformé par l'influence des idées et des rationalités venues d'Europe. L'opposition est aussi celle d'un monde esthétiquement beau mais historiquement affaibli voire anémié, et l'énergie "américaine" qui se dégage des villes neuves, dans une atmosphère de pionniers, dont Chevrillon reconnaît la grandeur tout en montrant ce qu'elle est amenée à détruire. Dans un premier temps en tout cas, avant que ne se précise le visage du Maroc nouveau, ce sont les aspects négatifs qui semblent dominer : « C'est bien d'une inoculation qu'il s'agit; et son premier effet, trois jours à Casablanca suffirent à nous en convaincre, c'est l'abcès, avec sa fièvre, ses troubles, sa purulence ». Chevrillon décrit avec répulsion quelques-uns des effets de cette fièvre spéculative qui fait surgir Casablanca de la plaine littorale : Bourse et "foire aux terrains", démoralisation générale du peuple marocain, désagrégation sociale, qui "algérianisent" le comportement et les gestes mêmes d'un grand peuple naguère libre. La tentation est alors d'opposer ce nouveau Maroc, méconnaissable, à une société plus traditionnelle : « II faut venir ici, où tout est bousculade, pêle-mêle cosmopolite, improvisation, pour apprécier les valeurs esthétiques et morales des vieux mondes stables, traditionnels de vie collective, pour regretter les beaux accords nuancés que composent, chacun avec lui-même, chacun avec sa terre, les peuples constitués, ceux dont les siècles ont assemblé la personne, modelé la figure et le caractère ». Reste alors, selon une thématique déjà centrale dans un roman "arabophile" des frères Tharaud que cite Chevrillon, La fête arabe (Paris, Emile-Paul éditeurs, 1912) à "fuir" vers le Sud, vers une terre encore mythique, encore africaine, dont on s'efforcera de goûter la beauté avant qu'elle ne se désenchante à son tour dans le vaste mouvement de banalisation du monde dont Chevrillon est, avec Loti et Segalen, l'un des plus attentifs témoins. Le Sud de Chevrillon est en effet, comme celui des Tharaud, une terre de poésie. Chevrillon aimera rêver, avant de les parcourir, à ces vastes espaces qui sont le seuil d'une Afrique saharienne encore mystérieuse, tout en sachant que bientôt le rêve risque d'être interrompu par l'implacable cours de l'histoire. Marrakech le fascine comme une ville lointaine qui « a vécu, huit siècles durant, sa vie à part, farouche, absorbée dans son rêve islamique », mais il constate aussi que « pour la première fois, il y a six mois », l’épée du Roumi" a touché la ville onirique. Il faut donc se presser d'aller la voir, encore inchangée, dans la "forme originale" de sa "beauté qui va périr". Ce sont de telles remarques qui font le prix d'un livre qui n'est pas seulement le récit d'un esthète : Chevrillon a le sentiment aigu d'être le témoin privilégié d'un monde qui va bientôt perdre, pour une large part du moins, sa très ancienne "singularité". De quelle "singularité" s'agit-il? Chevrillon en dégagera les traits dominants dans les passages majeurs de son livre, entre plusieurs descriptions remarquables des choses "qui vont périr" : les gestes de la vie quotidienne, les clameurs de la rue, les danses extatiques et orgiaques, dont la place Djemaa-el-Fna d'aujourd'hui peut suggérer encore l'idée affaiblie. A ses yeux, il y a une opposition, ou une différence, irréductible entre le monde moderne et ce qu'il aime nommer, par une expression américaine, le Vieux Monde, old world. De ce vieux monde il y a des traces en Europe, certes, et surtout en Angleterre. Mais c'est dans les royaumes d'Asie et au Maroc qu'on peut encore en observer les traits inaltérés, en un violent contraste avec la civilisation "mécanique", qui, note l'écrivain, "vient à peine de commencer". Les cultures du vieux monde, bien que dissemblables, ont des points communs qui les opposent toutes aux sociétés "mécaniques" d'aujourd'hui. Il est évident que cette opposition, si centrale dans l'analyse de Chevrillon, doit beaucoup aux lectures romantiques qui furent les siennes, de Herder et Carlyle à Michelet et Hugo. Les cultures du vieux monde sont caractérisées par une stabilité historique, une capacité à se fixer dans un style propre, qui donnent une impression d'immobilité. On peut certes reconnaître dans cette opposition immobilité/mouvement que reprend Chevrillon un simple prolongement de la topique familière de la pensée des Lumières, qui figeait l'Orient dans l'immobile pour mieux réserver à l'Occident le privilège de l'innovation et de la créativité. Mais chez Chevrillon, il y a aussi une incontestable nostalgie de ces « enchantements d'immobilité », pour citer la belle formule de la conclusion de son livre, que nourrit une interrogation souvent inquiète : et si le rapport "occidental" au temps n'était après tout que producteur d'angoisse et d'illusion, dans une quête hallucinée du changement qui prouve surtout la totale incapacité qu'a l'homme moderne de vivre dans des univers intérieurs, autrement dit sa radicale "déspiritualisation", comme le dira dans un autre contexte Georges Bernanos? Dans sa belle méditation sur la « beauté du vieux Maroc » (II, 2), Ghevrillon constate qu'à l'origine du désir de voyage, vers l'Espagne, l'Italie ou l'Orient, il y a la quête purement esthétique, mais essentielle, vitale, de mondes qui ont su "décorer", "animer" le quotidien, "enchanter la matière brute", besoin, pense Ghevrillon, aussi essentiel que celui de la religion. Il s'attestait déjà, remarque-t-il, dans les décors des cavernes. La société industrielle rompt définitivement une harmonie "artisanale" qui, de l'humble poterie à l'architecture des mosquées ou des cathédrales, créait une continuité et une cohérence. L'absence de style du monde moderne est frappante, si on observe l'unité, partout sensible, de la vieille société marocaine. Cette unité établit entre l'intérieur et l'extérieur de constantes harmoniques. Elle suggère que l'aristocrate et le berger, le citadin et le bédouin, malgré de sensibles différences, appartiennent au même monde, et peuvent partager ainsi un style. Telle est le sceau d'une grande culture, comme la signature qu'imprime, sur la laine des tapis comme dans la pierre des mosquées, l'âme collective : « Le style y est partout ; c'est la marque imposée à toute chose humaine, au cours de toutes les générations, par le génie même de la société. On le retrouve dans une pauvre poterie du souk comme dans une précieuse ciselure de poignard, dans un tapis de tente comme dans l'ordonnance d'une grande architecture (...), dans les scènes d'un moussem populaire comme dans l'appareil d'une fastueuse cérémonie cherifienne (...) ». Mais plusieurs pages du Marrakech de Chevrillon prévoient l'inéluctable désagrégation de ce bel univers "organique"'(7), à l'image de ce qu'a connu l'Europe en moins de cent ans : « L'objet même de la conquête ou de la pénétration en pays exotique n'est-il pas d'y apporter et d'y vendre l'article mécanique de la métropole, c'est-à-dire d'en éliminer les vieux instruments indigènes de la vie? » Reste donc, tant que c'est encore possible, à s'enchanter d'un Sud qui, lorsque Chevrillon le découvre, déploie encore toute la beauté de ses "véhéments contrastes" et de ses couleurs minérales, en quête d'un rêve romantique qu'il définit ainsi : « changer d'être, se sentir autre dans un autre monde ». Certes, Chevrillon est trop intellectuel, trop historien aussi, pour aller aussi loin que Loti ou Isabelle Eberhardt dans un désir d'inculturation qui, chez certains, peut conduire à emprunter des costumes, des manières d'être et de sentir, et s'achever par une très sensible transformation individuelle. Dans sa recherche d'une altérité forte, Chevrillon restera toujours lui-même : un homme de ce vieil occident dont il retrouvera quelques traits anciens, par exemple en Bretagne, et qui est séparé du Maroc d'alors moins par une différence religieuse que par les conséquences de la révolution industrielle. À Marrakech, Chevrillon retrouve une civilisation antique, et ce thème sera appelé à devenir par la suite une véritable topique. Devant des poteries aux formes géométriques qui lui rappellent les motifs des artisans d'Ionie et de Chypre, il ne peut pas ne pas s'émerveiller : « Je suis le contemporain de toute l'humanité antique ». Et c'est au même enchantement, à la fois savant et cultivé, mais aussi spontané et naïf, qu'il convie son lecteur, dans un Sud marocain aujourd'hui disparu, et à qui il demande un ressourcement essentiel : comme un retour vers une origine commune, méditerranéenne et africaine, miraculeusement préservée dans la beauté des gestes simples, le drapé des étoffes et les musiques envoûtantes de l'extase.
Jean-François Durand Université de Montpellier
1. Deux rééditions récentes sont à signaler, Un crépuscule d'Islam, éd. EDDIF, Casablanca, 1999, et Terres Mortes, éd. phébus, Paris, "2001 2. Voir Au Maroc (1890), réédité en 1990 et "2000 par Christian Pirot 3. Une excellente synthèse est désormais disponible : Henri Wesseling, Le partage de l'Afrique, folio/histoire, 2002 (1' édition française, Denoël, 1996). Voir la septième partie "Epilogue : le partage du Maroc, 1905-1912". 4. Après son voyage de 1932 avec M. Détaille, photographe et éditeur, Chevrillon publiera un dernier livre, Visions du Maroc. 5. Dans l'Inde, éd. Hachette, 1891 ; Sanctuaires et paysages d'Asie, éd. Hachette, 1905 ; Les puritains du désert, éd. Pion, 1927. Chevrillon publia aussi des études littéraires et historiques, entre autres Études anglaises, éd. Hachette, 1901 ; La pensée de Ruskin, éd. Hachette, 1909 ; L'Angleterre et la guerre, éd. Hachette, 1916 ; La menace alleman de, éd. Pion, 1934 ; Kipling, éd. Pion 1936 et deux essais sur "la Bretagne d'hier", L'enchantement breton et Derniers reflets à l'Occident, éd. Pion, 1925. 6. C'est le titre d'un livre qui fit date de Karl Polanyi, La Grande Transformation,. Aux ori gines politiques et économ,iques de notre temps, éd. Gallimard, Paris, 1983 (!''édition 1944). 7. Chevrillon, comme beaucoup de ses contemporains, comprend mal l'hétérogénéité des cultures, et a tendance à les ramener à un centre, à un principe directeur. Mais dans le contexte colonial, cette manière de penser a le mérite de reconnaître la spécificité du monde arabo-musulman, qui est toujours présenté dans sa grandeur ancienne, quels que soient les avatars du présent. Le Maroc de Ghevrillon est ainsi perçu dans son épaisseur historique, dans des armatures fortes que le contact avec la France ne pourra que vivifier. À l'inverse, cette tendance à "essencifier" les cultures gomme des différences importantes : entre autres, pour ne retenir que cet exemple, entre la culture populaire et la culture des lettrés.
Dernière édition par Pierre AUBREE le Lun 19 Jan - 16:37, édité 2 fois | |
| | | Pierre AUBREE Admin
| Sujet: André CHEVRILLON Jeu 31 Mai - 17:23 | |
| André CHEVRILLON de l'Académie française Un crépuscule d'Islam Au Maroc en 1905 Avant-propos du professeur Jean-François Durand Fameux en son temps par ses récits de voyage, oublié aujourd'hui, André Chevrillon (1864-1957) fut "un véritable explorateur" (Emile Henriot, Le Monde). Il se rendit en 1905, sept ans avant l'établissement du protectorat français, à Fès, où résidait alors le sultan Abdelaziz IV, qu'il rencontra. Il s'entretint aussi avec des vizirs, des juifs fassis, des amateurs de musique andalouse, des simples citoyens. Paysages, couleurs et monuments inspirèrent aussi sa plume lyrique, le tout constituant un tableau certes partiel mais rare et très personnel de l'Empire chérifien, il y a un siècle. PRESENTATION "Une noblesse virile et rêveuse" Le Maroc romantique d'André Chevrillon par Jean-François Durand Le récit que les éditions EDDIF proposent aujourd'hui au lecteur est tombé dans un injuste oubli, tout comme son auteur, André Chevrillon (1864-1957), dont l'œuvre mérite d'être redécouverte. André Chevrillon fut, à l'apogée de l'expansion européenne, un voyageur aux curiosités multiples, armé d'une solide culture classique et historique. Neveu et disciple d'Hippolyte Taine, à qui il consacrera un riche essai, il passa une partie de son enfance en Angleterre et fit ses études à l'Ecole alsacienne, puis à Louis-le-Grand et à la Sorbonne. Agrégé d'anglais en 1887, il soutint en 1894 une thèse de doctorat es lettres sur Sydney Smith et la renaissance des idées libérales en Angleterre au XIXe siècle, en même temps qu'il entreprit, dès 1891, une série de voyages qui lui firent découvrir, entre autres, les Etats-Unis, la Syrie, l'Egypte et la Palestine, les Indes, le Maroc et l'Algérie. Plusieurs livres recueillirent les observations de ce voyageur curieux, ainsi que de nombreux articles parus dans la presse de l'époque : L'Illustration, Le Figaro, La Revue de Paris, Le Journal des Débats et la Revue des Deux Mondes. Elu à l'Académie française en 1921, membre de l'Académie des sciences coloniales, André Chevrillon jouit, à son heure, d'une incontestable notoriété. Un crépuscule d'Islam se présente d'emblée comme un récit à l'écriture romantique, vigoureuse, dont l'ambition n'est pas de dresser, avec un grand luxe de détails documentaires, une reconnaissance du pays. Le livre est beaucoup plus subjectif que celui de Charles de Foucauld, publié en 1888, ou que l'étude contemporaine d'Eugène Aubin Le Maroc d'aujourd'hui remarquablement documentée et précise dans son état des lieux et qui, on le sait, exerça une profonde influence sur la vision que se fit Jean Jaurès du Maroc. L'écriture d'André Chevrillon doit beaucoup, en revanche, à la riche tradition du récit orientaliste, si attentive à la description, au détail étrange et fascinant, et si avide, au fond, de différence et d'altérité. Toutefois, on se tromperait à réduire ce livre à un brillant exercice de style influencé par Fromentin, car il s'en dégage aussi une vision politique et historique très forte, bien que contestable, et que surent méditer Lyautey et les premiers maîtres d'œuvre du protectorat. Le Maroc que découvre André Chevrillon, en ces mois d'avril et de mai 1905, par la route encore dangereuse qui de Tanger à Fès traverse le djebel en partie insoumis, est alors la proie de toutes les convoitises européennes, des rivalités des grandes nations, qui attendent leur heure, alors que le sultan Abdelaziz se voit contesté, menacé de l'intérieur par des sibas nombreuses, guetté par les dissidences des tribus berbères. Cette érosion du pouvoir du Makhzen qu'André Chevrillon souligne tout au long de son livre, sera, quelques années plus tard, l'une des justifications de la protection française. Mais le voyageur est aussi frappé, dès son arrivée à Tanger, par un sentiment qui n'ira que se renforcer durant deux mois d'observations attentives. Contrairement à l'Algérie que décrivait à la même époque Louis Bertrand dans un récit qu'André Chevrillon avait lu, le Maroc présente encore tous les traits d'une forteresse religieuse et tribale. C'est une terre hérissée de zaouias et de mosquées, les villes impériales se claquemurent derrière leurs enceintes fortifiées, et les êtres sont comme les architectures, retranchés et méfiants. Le Maroc d'André Chevrillon est celui d'une altérité forte, radicale, qui oblige le voyageur européen à un incessant dépaysement. Le regard du voyageur s'efforcera de percer le secret des murailles, d'aller au-delà des apparences, pour saisir les ressorts secrets des caractères. En ce sens, et contrairement à Louis Bertrand et à tant de représentants de l'école algé-rianiste, André Chevrillon ne cherche pas à occidentaliser le pays qu'il découvre. Ce qui l'attire (non sans une certaine ambiguïté, faite de fascination et de refus), c'est l'Orient, celui-là même qu'il avait connu à Damas et en Judée, et qu'il retrouve dans les vieux quartiers de Fès. Un crépuscule d'Islam dresse ainsi la cartographie intuitive et poétique d'un Maroc profondément oriental, dans son rapport au temps, à la durée, à la mort, au plaisir, et dans sa tentation d'anéantissement et d'oubli dans l'éternité de Dieu. Là où Louis Bertrand s'acharne à reconnaître la Grèce ou Rome, André Chevrillon fait l'expérience d'une différence irréductible, celle d'une civilisation façonnée et pétrie par son Dieu, et qui, semble-t-il, tourne le dos à l'histoire par fidélité à l'éternel. Cette fascination, il faut le souligner, ne s'arrête pas à ce que Louis Bertrand, dans la préface polémique de son livre dirigée contre les "romanciers ou voyageurs, imbus de préjugés romantiques, affolés d'exotisme, ou uniquement épris de notations pittoresques", appelait avec mépris le "pailletage et le clinquant des mœurs arabes". En effet, au-delà de ce clinquant superficiel, André Chevrillon pressentira la profondeur historique d'une civilisation millénaire, que le voyageur, en 1905, observe dans une période de décadence et de décomposition. André Chevrillon, en lecteur attentif de l'école histo-riciste du XIXe siècle, s'intéresse plus aux intériorités qu'aux décors, enracine le présent dans le passé le plus lointain, et garde toujours à l'esprit les rythmes complexes de la longue durée historique. Il pressent déjà ce que Jacques Berque appellera les intérieurs du Maghreb, ces espaces d'altérité forte et dissonante, que le regard occidental percevra comme sauvages, ingouvernables, et puisant à une logique différente de la sienne. André Chevrillon parlera de "discordance" pour résumer, en un seul mot ce sentiment d'étrangeté. Ici, notera-t-il, "l'Européen ne se retrouve pas chez lui". Tout au long de son voyage, il multipliera les remarques sur l'opacité marocaine, sur les arêtes dures d'une réalité insaisissable, "si loin de notre présent, de notre réalité". Pour Chevrillon, en effet, Occidentaux et Orientaux ne vivent pas la même expérience du monde. De cette différence, il ne déduit aucune supériorité ou infériorité intrinsèque (en dehors de la maîtrise technique), et surtout, il met systématiquement en avant le facteur historique et géographique pour expliquer, en bon lecteur de Taine le cours divergent des civilisations. La différence est toujours métaphysique et historique (comme chez Michelet ou Quinet) et non ethnique ou raciale. A l'évidence, dans cette vision fortement influencée par le mode de pensée des historiens romantiques, l'Orient marocain se caractérise par des profondeurs d'expériences intérieures que l'Occident moderne est désormais incapable d'atteindre : incandescence du temps, intensité de l'instant vécu, loin de toute préoccupation de l'avenir, dans un face-à-face immobile avec Dieu. Car si Louis Bertrand, pour le citer encore comme représentatif de tout un courant, se met à l'abri de toute altérité trop agressive, réduit la différence au clinquant et à la draperie, André Chevrillon s'avoue au contraire fasciné par l'"essentielle différence entre l'Islam et notre monde". Cette fascination le conduira à envisager l'Islam dans sa complexité, sans le réduire à ses formes superstitieuses et décadentes. Les pages très dures contre le mara-boutisme s'équilibrent d'un évident respect pour les sommets de l'islam mystique. Fascination de l'Islam, certes, mais inquiétude aussi, face à un monde impénétrable, une forteresse intérieure inviolable et dangereuse. Dans le récit de Chevrillon, le voyage au cœur du Maroc se présente comme un lent délestage de l'univers connu, au profit d'un monde dont on ne maîtrise pas la langue, dont on ignore bien des architectures intérieures. L'immensité des espaces, le mauvais état des pistes, accentuent encore le sentiment de mystère. Bien des années plus tard, dans Les puritains du désert (1927), Chevrillon parlera avec nostalgie de l'"époque où la terre était grande" et, en une formule saisissante, "des durées se déroulant comme des étendues..." Une fois de plus, la comparaison avec Louis Bertrand est éclairante. Ce dernier insiste sur la lumière éclatante, qui dissipe les monstres, qui irradie le pays et le sculpte dans l'éclat et l'exactitude de ses formes néoclassiques : pas d'arrière-plan, dans un espace que l'on veut réduire à son immédiateté rassurante, mais à travers l'espace c'est peut-être surtout la dimension historique, que, inconsciemment, l'on exorcise. Chevrillon, quant à lui, est sensible à la nuit, au clair-obscur, et au secret. Il en découle une expérience semblable à celle des navigateurs anciens, exposés aux dangers de la "mer des ténèbres" (bahr al-zulumat, comme disaient les voyageurs arabes), en route vers l'inconnu : "Nous sommes un long convoi qui circule très lentement par le pays marocain, le vaste pays sans routes, la simple étendue terrestre qui ne change pas, primitive, toujours, comme la mer, et presque aussi rase". Et comme les antiques navigateurs le voyageur découvrira, au bout de l'étendue océanique, des choses merveilleuses, mirabilia, qui tiennent à la diversité des mœurs et des coutumes, au flamboiement des différences, mais aussi aux univers impénétrables, en retrait, qui tiennent la curiosité à distance, et dressent l'inquiétante figure d'un Orient sombre et crépusculaire : "Un silence qui étonne, qui gêne, impose. Des voix basses, des gestes rares et surveillés, des yeux tournés à terre, et toujours la même pâleur opprimante de reclus confinés en des cryptes et des caves. C'est bien l'Orient le plus sombre que j'aie connu". Or, c'est cet Orient-là qui semble intéresser Chevrillon, et point celui, apprivoisé dans la douce lumière gréco-latine, de Louis Bertrand et de son école. L'"essentielle différence", André Chevrillon la discerne plus particulièrement dans l'opposition entre le temps arabe — ou plutôt musulman - et le temps occidental, ou encore le temps de la contemplation et le temps de la technique. La métaphore de la mort, partout présente dans le récit, et dont la portée politique est évidente, trouve ici une autre signification, plus métaphysique, et elle trace, entre les deux civilisations, une éclatante frontière. L'Islam d'André Chevrillon n'échappe certes pas à certains poncifs orientalistes, il est perçu comme la religion de la soumission et de l'acceptation de la mort. Il est ainsi opposé, en une construction intellectuelle à la portée idéologique transparente, à l'Occident prométhéen, saisi quant à lui dans le tourbillon d'une historicité rapide et novatrice : "C'est que de toutes ces choses d'Islam qui s'inclinent tranquillement dans la mort et que le temps recouvre de sa lente poussière, de ces mosquées muettes qui se délitent parmi les cactus et les fleurs, de ce peuple qui s'engourdit dans une somnolence, un charme de paix et de mélancolie se dégage dont peut s'enchanter un Européen". Chevrillon pressent dans son livre, fût-ce sous une forme populaire et altérée, la pré-gnance d'une expérience-clé de la mystique musulmane, l' extinction, fana, qui anéantit toutes choses dans le pressentiment de Dieu : "Telle est la muette, la perfide suggestion de ces calmes et radieux pays où, parmi des hommes qui ne sont presque plus des vivants, on sent se dénouer les liens, fondre le désir de pouvoir et de vouloir. Quelle tentation, comme ces hommes, de ne plus mesurer la durée...". Face à l'Occident technicien, tendu vers l'avenir, "bâtisseur du temps", pour reprendre l'expression d'Abraham Heschel, voici que se découvre une civilisation du détachement et de l'oubli, où l'on sent "le temps s'immobiliser dans la lumière". Cette expérience du temps immobile, ici exprimée par un regard extérieur, sera confirmée par de grands interprètes de l'Islam, comme Louis Massignon ou Salah Stétié : l'Orient est la "contrée de l'éternel", aux antipodes d'un Occident fiévreux qui, note Chevrillon, "hallucine" le temps, en le précipitant toujours vers le futur. La sérénité face à la mort découle de ce détachement premier, dès l'existence terrestre. Mort orientale, que Chevrillon qualifie de "facile et fraternelle", et qui marque entre les cultures, une invisible frontière. Un lecteur moderne peut, certes, être gêné par un certain passéisme du regard de Chevrillon. Quelques années plus tard, la conclusion de La Bretagne d'hier tracera un parallèle entre la Bretagne rurale et les pays d'Orient "où l'on allait, au temps du romantisme, chercher l'étrange, l'exotique, l'inconnu, et que l'on aime, aujourd'hui, surtout pour le passé, pour les formes ancestrales de vie qui s'y conservent". Mais ce livre, tirant la leçon de plus de vingt ans de voyages, va plus loin qu'Un crépuscule d'Islam dans l'analyse de ce qu'on appellera plus tard la mondialisation des sociétés. Partout se répand et s'impose l'"idée rationaliste, critique et scientifique" en même temps que s'universalise le modèle industriel. Cela signifie, à terme, la disparition des cultures en ce qu'elles ont de particulier et d'irréductible : "Chaque jour nous apporte le craquement d'un monde millénaire". En 1905, le lent processus d'occidentalisation du monde que Chevrillon pressent n'en est qu'à ses débuts. La pénétration des hommes et des marchandises au Maroc, rendue plus facile par la crise de l'autorité du Makhzen, va faire de ce pays, encore si indépendant et si farouche, un terrain d'observation idéal pour un historien obsédé par les transformations du monde moderne. Mais au moment où Chevrillon le découvre, le Maroc est encore, à deux pas de l'Europe, "une civilisation très spéciale", qu'il serait vain d'essayer d'expliquer en la rapprochant d'espaces plus connus des Occidentaux, comme la Grèce ou Rome. A l'opposé de son contemporain Louis Bertrand, André Chevrillon ne retrouve pas, dans les villes marocaines, les vestiges de la romanité. Certes, il lui arrive de noter qu'"au premier coup d'œil, c'est un coin de la vieille Rome impériale". Mais, derrière la façade méditerranéenne, l'observateur attentif perçoit une profondeur historique autrement complexe et fascinante. Ainsi, insensiblement, la proximité se change en distance, le quotidien se dépayse, au rebours de la rusée neutralisation de l'espace arabe que tentera à la même époque Louis Bertrand dans Vers le Sud. Nous ne sommes plus en Grèce ou à Naples ou à Marseille, en quelque province reconnaissable de l'ancien Empire romain, mais dans un Orient culturellement lointain et opaque : "Suis-je bien à l'extrême occident de l'Islam, à cinq ou six cents lieues de Damas et de Constantinople ? J'en retrouve partout des morceaux, surtout aux carrefours qui s'éclairent un peu d'un jour vert sous une épaisseur de feuillage". On pourrait citer de nombreux passages du récit de Chevrillon, qui tous s'efforcent de saisir une spécificité marocaine, y compris dans les types physiques et les comportements : "Je n'ai vu cette noblesse virile et rêveuse que chez certains vieillards de l'Inde, dans les provinces musulmanes du nord-ouest". Chevrillon est partout sensible à ce que Jacques Berque appellera les "contrastes" marocains, l'"amplitude de types", des populations, gage d'une histoire magnifiquement riche et tumultueuse, que ne saurait faire oublier une époque d'apparente stagnation. Quand il parle de l'"incroyable diversité des physionomies et des complexions", c'est un peu pour saluer les réserves d'un peuple que les aléas de l'histoire ont provisoirement réduit à l'immobilité. Il est évident que le récit de Chevrillon trouve sa dynamique propre dans l'incessante confrontation entre les stagnations du présent, et les traces, partout décelables, d'une histoire au long cours, agrandie aux dimensions du monde. A son arrivée à El Qçar l'auteur devine dans la "mourante ville" une "languissante et fragmentaire survivance du grand passé mauresque". Ce passé, il ne cessera d'en déchiffrer les signes, aussi bien dans les restes de la citadelle militaire qui domine El Arach et lui donne un "caractère épique", que dans la "clameur arabe" des souks, d'où se dégage l'impression d'une vie énergique et simple. Ailleurs, il souligne la beauté virile des bédouins, si différente de la "blême, maladive humanité" des villes. Ainsi, le regard attentif découvre partout les traces d'une grandeur oubliée, d'une "ancienne culture arabe" qui désormais s'éteint dans la langueur. Comme il l'affirmera bien plus tard dans son étude sur Taine, ce sont les "façons d'être dominantes" qui distinguent les nations les unes des autres et qui donnent aux peuples leur singularité historique. Comprendre, expliquer, c'est au fond "pénétrer jusqu'à la force centrale et gouvernante" qui régit les peuples, aussi bien que les caractères individuels. Le vocabulaire n'a pas changé depuis le récit de 1905. A Fès, parmi les commerçants industrieux et secrets, Chevrillon pense avoir découvert la source profonde des comportements et des motivations : "Je sens l'action d'une force, un mode social, produit de l'éducation, la prise sur un peuple de certaines idées très simples et déterminantes, celles qui font l'essence et le style d'une civilisation, idées d'origine religieuse, qui décident ce qui convient et ce qui ne convient pas. C'est à la mosquée que ce peuple a pris son type". Les deux grandes mosquées de Fès, les plus anciennes et les plus chargées d'histoire, en constituent le "centre spirituel et mystérieux". Le voyageur historien a le sentiment d'avoir trouvé alors un principe explicatif solide qui rétablit la continuité des siècles, par-delà la décadence partout observable. C'est en effet au coeur de la vraie Fez, Fez Bali, que l'on peut approcher un peuple qui vit la même vie qu'au temps des Almoravides, "seulement plus concentrée sur elle-même, plus lointaine, plus seule et farouche qu'aux siècles glorieux où le Maghreb et l'Espagne ne formaient qu'un seul empire". Parvenu à ce point de son voyage, Chevrillon approche enfin du but qu'il s'était clairement fixé, et qui doit peu à l'attrait du pittoresque et de l'exotisme. Il s'agissait, en effet, de mieux comprendre l'"âme arabe", aussi bien dans l'architecture et l'agencement d'une maison traditionnelle, que dans les odeurs des bazars et des souks. Le Maroc de Chevrillon est profondément sensuel, charnel, tout autant que religieux. Pour poursuivre la comparaison avec le texte contemporain de Louis Bertrand, il suffira de noter une différence essentielle, qui éclaire l'intention profonde des deux auteurs. Quand Chevrillon invoque la longue durée historique pour expliquer le présent, ce n'est pas pour référer celui-ci à l'Antiquité classique, mais à l'Islam classique, en ce qu'il a de spécifique et d'irréductible : "Tout cela, où je n'avais encore senti que du pittoresque plus ou moins disparate, m'apparaissait enfin dans son unité profonde, ancienne, historique (...). A la découvrir, cette foule, dans son centre original, dans le cadre de ses monuments ances-traux, tout près du palais héréditaire et caché de son chef, pour la première fois, depuis que j'étais au Maroc, j'avais la sensation d'être devant un peuple, un vrai peuple, développé par sa civilisation propre, ayant derrière soi les siècles d'un peuple". Nul doute que de telles analyses seront lues attentivement par Lyautey, et fourniront l'un des principes essentiels de la doctrine officielle du protectorat. Lyautey ne cessera d'affirmer, en effet, que la France a trouvé au Maroc un Etat légitime, à la tradition historique pluriséculaire. Certes, cette civilisation marocaine héritière de Grenade traverse, en ce début de siècle, une période difficile, mais elle conserve des traits suffisamment forts pour qu'une renaissance soit possible. Pour cela, la confrontation est inévitable avec les "idées d'origine française, le désir de relèvement et d'émancipation". Chevrillon formulera explicitement ce désir de voir le vieux Maroc reprendre vie au contact de l'étranger, tout en mesurant le prix à payer pour une telle métamorphose : l'enlaidissement industriel et le risque d'acculturation. Les pages centrales du livre condamnent sans équivoque ce que nous appellerions aujourd'hui la tentation fondamentaliste, la revendication crispée de l'açl, des racines. On peut certes rêver que ce pays "demeurât intact, et que là se perpétuât par miracle le Moyen Age musulman, avec sa foi, ses formes originales, le rêve spécial de ses foules, un libre rêve que nulle domination étrangère ne viendrait limiter", mais on risque alors de ne conserver qu'une coquille vide, sans plus aucun dynamisme historique, sans plus aucune capacité d'innovation et de créativité. Ce serait faire le choix définitif de la mort. Reste à penser une authenticité qui affronte l'histoire, et accepte de se transformer pour ne pas périr. André Chevrillon entrevoit le problème, qui est au fond le même que celui auquel sont confrontées les vieilles nations d'Europe prises dans le tourbillon de l'ère industrielle. Ainsi, ce livre complexe et inégal mérite-t-il de trouver au Maghreb une nouvelle génération de lecteurs, tant à cause de ses qualités d'écriture que par l'intérêt de sa vision historique. L'historien des idées y trouvera, jusque dans certains préjugés d'époque, de riches informations sur la vision qu'avait du Maroc un représentant autorisé de l'intelligentsia libérale, à la veille du protectorat. Jean-François Durand, Université Paul-Valéry (Montpellier-III).
AVERTISSEMENT du directeur de la collection BAB Après trois essais de Wacyf Boutros-Ghali, Aly Mazahéri et Raymond Charles, qui ont suscité des échos encourageants, la "Bibliothèque arabo-berbère", ouverte à tous les genres, aborde la littérature de voyage avec Un crépuscule d'Islam de l'académicien André Chevrillon (1864-1957). Rappelons que BAB a été fondée, en 1996, pour fournir à des prix relativement abordables, au public maghrébin francophone, et bien sûr au-delà à tous les autres utilisateurs du français de par le monde, des textes inédits, oubliés ou méconnus sur l'Islam, l'Orient, les Arabes, les Berbères. André Chevrillon eut sa longue heure de gloire durant toute la première partie du XXe siècle, ainsi que le montrent, ci-dessus l'avant-propos du professeur Jean-François Durand et, en annexe, l'"oraison funèbre" publiée dans Le Monde en 1957 par Emile Henriot, collègue de feu Chevrillon à l'Académie française. L'auteur d'Un crépuscule d'Islam et de plusieurs autres œuvres littéraires inspirées par ses pérégrinations en Afrique arabo-berbère et ailleurs, a été redécouvert pas Jean-François Durand. Outre la qualité d'écriture de Chevrillon, qui parle des couleurs, du temps, des paysages un peu à la manière à la fois précise et lyrique d'un peintre comme Fromentin, Un crépuscule d'Islam présente l'avantage d'être un témoignage rare, presque unique, un recueil de "choses vues" à la Victor Hugo, sur l'Empire chérifien au moment où s'installe le piège européen qui, sept ans plus tard, en 1912, aboutira au protectorat français sur le territoire alaouite, et cela jusqu'en 1956. A notre avis, Un crépuscule d'Islam vaut moins pour la description très détaillée de l'itinéraire qui, via Larache et Alcazarquivir, conduit la caravane Chevrillon de la côte jusqu'à Fez, alors résidence du sultan Abdelaziz (1881-1943, régnant de 1894 à 1908), que par les pages nous restituant in vivo, avec la plus extrême minutie, le comportement des vizirs, un banquet maure, les mœurs populaires, les juifs fassis, l'ivresse procurée par la musique andalouse et last not least Sa Majesté chérifienne, en apparition publique ou en audience particulière. Seuls peuvent rivaliser avec Chevrillon, pour ce type de description, les relations sur le Maroc d'avant l'ère Lyautey dues au Père de Foucauld, à Pierre Loti, à Eugène Aubin ou à l'espion-journaliste britannique Walter Harris. Mais peut-être l'académicien français est-il celui qui a su le mieux rendre — et sans condescendance ni curiosité morbide - le mélange sui generis de grandeur et d'incurie, de délabrement et de beauté qu'était alors l'empire marocain. En revanche Chevrillon a peut-être eu, comme beaucoup d'autres observateurs occidentaux en ce temps-là, le regard moins juste en ce qui concerne l'avenir de cet héritage, l'avenir d'une nation et d'une royauté aussi vieilles que Charlemagne et qui paraissaient alors en bout de course. Cet univers, pendant la période française (1912-1956), s'est débarrassé de ses peaux mortes, de graisses paralysantes, de pratiques obsolètes mais il a survécu dans ce qui faisait et continue de faire sa vraie force : foi populaire, solidité familiale, économie agraire, continuité dynastique, spécificité d'une identité ombrageuse mais noble, forgée dans son propre jus depuis plus de mille ans ; une identité concentrée, puissante, épicée, pétrie d'islam certes importé mais à robuste socle berbère indigène ; une identité née des seuls sol et sang marocains, entre océan et sable, à l'abri des influences extérieures. Pour coller à l'esprit de l'époque, à l'atmosphère, aux usages qui prévalaient lorsque Chevrillon arpenta le Maroc septentrional, nous avons non seulement conservé l'orthographe de l'auteur, même quand elle n'a plus cours aujourd'hui (El Arach au lieu de Larache, Mekinez au lieu de Meknes, bernouss au lieu de burnous, m'raboth au lieu de marabout etc.) mais nous avons demandé à Mme Claire Fabre, née Chevrillon, fille de l'auteur, l'autorisation de publier au dos de ce livre une photo inédite de son père dans la force de l'âge, prise à peu près au moment de son circuit dans "ce vaste pays sans route", le Maroc du tout début de ce siècle. Par ailleurs, en couverture nous donnons une vue de Tanger en 1891, grosso modo celle que Chevrillon vit de la cité du Détroit, alors porte de l'Etat alaouite. Il s'agit d'un tableau de Pierre Marius Poujol (1858-1925), peintre provençal orientaliste qui séjourna au Maroc et dans le reste de l'Afrique arabo-berbère durant la décennie 1890. Cet artiste, dont les toiles ne sortent plus depuis des lustres des réserves des musées parisiens, marseillais et méridionaux, est injustement oublié, comme Chevrillon. Ce Tanger en 1891 qui inspira cependant un dessin à Violette Le Quéré dans Le Monde des 23-24 mars 1986, est reproduit avec la permission de sa propriétaire, Mme Gérald Châtelain, de Genève. J.-P. Péroncel-Hugoz Nota : Signalons que les éditions La Croisée des chemins, à Casablanca, viennent de publier Marrakech années 20, petit livre-album comportant des textes de neuf écrivains de cette période dont André Chevrillon pour Marrakech dans les palmes (Calmann-Lévy, Paris, 1919). D'autre part, la recherche universitaire marocaine moderne met à notre disposition un tableau assez complet de la société au Maroc, il y a cent ans et plus, dans Soldats, domestiques et concubines. L'esclavage au Maroc au XIXe siècle, de Mohamed Ennaji (coédition Eddif-Balland, Casablanca, Paris).
Dernière édition par Pierre AUBREE le Dim 31 Mai - 8:45, édité 6 fois | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: Re: NOTES DE LECTURES Sam 19 Mai - 14:01 | |
| UN HOMME, UNE OEUVRE La vie de XAVIER BERNARDpar Victor Boret avec des appendices sur Le MAROC AGRICOLEpar E. BAIILARGE Quelle vie, quelle oeuvre ! Né en 1873 à Saint-Sauvant (86) , huitième enfant d'une famille pauvre, berger à l'âge de 9 ans pour aider sa famille à subvenir à ses besoins, il apprendra dans son Poitou natal tout ce qu'il faut savoir du travail de la terre, des plantes, des graines. Et quand il " monte" à Paris pour gagner un peu mieux sa vie et s'extraire de la misère paysanne il mettra à profit son expérience pratique dans les métiers du marché des grains: employé, géran, et enfin chef d'entreprise il créera une véritable multinationale de la sélection et de la commercialisation des semences. Quand il découvre le Maroc, l'homme, au fait de sa puissance, comprend les possibilités immenses de ce jeune pays et investit dans de nombreux domaines: des Poitevins seront souvent ses contremaîtres dans des organisations où le caractère et les liens humains sont très forts. Une sorte de paternalisme qui peut paraitre un peu désuet aujourd'hui. Mais une générosité à l'égard d'autrui qui force l'admiration; ainsi, il donne à l'état chérifien, en 1947 sa ferme de Fédala ( 692 ha.) pour y créer une ferme expérimentale d'élevage et d'agriculture ! C'est cette épopée que retrace ce livre : la vie d'un homme exemplaire et, en grande partie, le monde agricole du Maroc de cette époque. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: Re: NOTES DE LECTURES Lun 14 Mai - 9:59 | |
| LES ORIGINES DU MAROC FRANCAIS
par G. Saint René Taillandier
aux éditions PLON, 1930 Le ministre de France au Maroc, en poste à Tanger avant les années 1912, était l'observateur privilégié des relations franco-marocaines. Si Monsieur Regnault, en poste de 1906 jusqu'à la signature du traité du Protectorat en 1912 est le plus connu d'entre eux, le rôle de Monsieur Saint-René Taillandier sur la période de Mai 1901 à Juillet 1906 fut capital pour la préservation des amitiés franco-marocaines au moment même où les " grandes nations" de l'époque avaient des visées impérialistes. Aussi, ses souvenirs, en forme de récit autobiographique détaillé, précis et féconds à la fois, sont une source inégalée de l'histoire du pays: économie, les questions des emprunts, relations internationales, problèmes frontaliers, dissidences, entre autres, sont relatés et explicités. Un livre pour les passionnés de l'histoire telle qu'elle s'est vraiment déroulée. Et aussi un livre pour les chercheurs ! | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: Re: NOTES DE LECTURES Ven 23 Mar - 15:30 | |
| DU MAROC TRADITIONNEL AU MAROC MODERNE Le Contrôle civil au Maroc 1912-1956 Par Roger GRUNER. Nouvelles édititions latines, Paris, 1984. L'administration française au Maroc, du temps du Protectorat, est connue sous le nom de "Contrôle Civil"; sous l'autorité du résident général, les hommes du Contrôle civil, dont le corps est créé en juillet 1913, auront pour tâche l'édification du Maroc moderne. Ce livre, écrit par un ancien du "sérail", retrace, en un historique rapide, les principales évolutions de la fonction durant les quarante-quatre années du Protectorat, puis, à l'aide de copies d'anciens rapports ou d'anciennes notes, propose de comprendre ce métier et ses hommes qui vécurent une aventure passionnante. Et comme nous savons que la France est un pays de tradition écrite, on ne s'étonnera donc pas de retrouver, sous leurs plumes et dans leurs notes, l'intégralité de ce fut leur fonction : les extraits , judicieusement choisis par l'auteur, sont des témoignages ponctuels et vivants des rapports entre les deux administrations, chérifienne et française. Des témoignages simples parfois, vrais toujours. Comme ces propos d'un Caïd à qui le Contôleur civil vient faire ses adieux après dix années de collaboration et qui déclare ;..."Nous n'avons pas toujours été d'accord, mais vous m'avez parfois empêché de faire des bétises..." . Ces témoignages constituent un livre d'histoire si l'on admet que l'Histoire est la somme de toutes les histoires... et bien d'autres encore attendent les futurs "thésards" qui auront l'excellent idée de fouiner dans les archives pour le plus grand bien et la réussite de leurs études d'une part, pour permettre une meilleure compréhension de ce que fut cette période complexe et féconde. | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: Re: NOTES DE LECTURES Lun 27 Fév - 9:45 | |
| SELF ISLAM par ABDENNOUR BIDAR, collection « non conforme », éditions du Seuil, environ 12 euros . Le sous-titre de ce livre est éloquent : histoire d’un islam personnel . Ce témoignage est poignant, ce livre est instructif à plus d’un titre. A lire, et à faire lire. La mère d’Abdennour BIDAR, auvergnate, profession toubiba, a épousé un marocain et s’est convertie à l’islam. Ses enfants seront donc musulmans, métissés par cette double culture . L’auteur a été élevé, pour partie, dans les vignes de son grand-père maternel, pour partie, aux accents spirituels élevés de sa mère admiratrice de la culture soufie.... « elle nous donnait tant d’amour, de foi...à travers son modèle spirituel... " Elève brillant , l’un de ses maîtres lui conseille de « monter » faire sa prépa à Henri IV, rien de moins. Et là, premier choc : il nous révèle qu’il est en difficulté face à ses compatriotes qui n’ont pas reçu la même éducation que lui, et sont mieux préparés par leur milieu familial pour intégrer les grandes écoles !... « Rapidement je compris que mon éducation atypique m’avait infligé un lourd handicap... »... Que ceux qui se contentent d’envoyer leurs enfants dans une école coranique lisent ces pages, édifiant ! ! ! L’adolescent a du caractère, sa copine, aussi douée que lui, « montée » à Paris aussi le soutient, il se bat, et réussit au concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure ! Mais l’histoire ne fait que commencer ; il refuse d’intégrer la rue d’Ulm, panthéon du cartésianisme à l’opposé de sa sensibilité orientale et se contente d’un CAPES pour être un simple professeur de lycée. De même sa femme. Mais leur quête spirituelle est bientôt comblée, ils entrent dans l’éminente confrérie soufie du Maroc, la Tariqa Qadiriya Boutchichiya et participent activement à son développement sur le territoire français.... Nous savons tous ce qu’est une tariqa, une zaouïa, une confrérie, mais nous n’en savons rien du fonctionnement interne. Abdennour BIDAR nous le dévoile ! Et, cette fois ce n’est pas édifiant ,c’est décapant...Il met sept ans à comprendre que ce ne sont que des machines destinées à casser l’individu pour en faire une marionnette... « Le soufisme vit encore au Moyen-âge... ». Son éducation occidentale lui permettra de se poser les bonnes questions,... et d’en sortir... Dans quel état ? Abattu. Esseulé. Son épouse et lui se retirent quelque part, dans un coin perdu du centre de la France. Professeurs de philosophie, élevant leurs enfants, ils reprennent leurs études, préparent l’agrégation,...et réussissent . Le temps passe, les événements font que les sujets des monde musulman et occidental se rejoignent, s’entrechoquent, « ... un certain nombre de musulmans européens voudraient se servir des principes démocratiques...contre la démocratie elle-même , en lui faisant tolérer l’intolérable pour elle : le développement en son sein d’une religion sous sa forme la plus figée et archaïque...j’en ai rencontré tellement depuis ma tendre enfance de ces prêcheurs professionnels, malins comme des singes, spécialistes du double langage... »... Le professeur de philosophie décide de témoigner, et, comme il se double d’un penseur, sa démarche innovante nous propose , pour l’Occident, un nouvel islam...Je vous laisse découvrir cette troisième partie , elle aussi passionnante. Futuriste, mais passionnante. L’auteur est jeune et, avec ce livre, prend rang parmi les intellectuels de la pensée islamique dont il sera, à n’en pas douter, le prochain grand philosophe.... Il sera le serviteur de sa lumière (1) , ...« et c’est ainsi qu’Allah est grand ! » (2) (1) Abd = serviteur = عبد et Nour = lumière = نور (2) Très piteusement, je dois avouer avoir copié ici le grand écrivain Alexandre VIALATTE qui publiait chaque semaine une chronique dans « La Montagne » et concluait toujours ainsi ....Et « La Montagne » ...était le journal du grand père d’Abdennour BIDAR . CQFD ! | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: Re: NOTES DE LECTURES Lun 27 Fév - 9:43 | |
| ... LEON L'AFRICAIN.... par Mme Natalie Zemon DAVIS. LEON L'AFRICAIN , un voyageur entre deux mondes, de Natalie Zemon DAVIS, chez Payot et Rivages, 480 pages, 25 euros environ, 2007. Fabuleuse histoire que celle de cet andalou (né vers 1486/1488) , élevé à Fez, ambassadeur de son sultan , voyageur jusqu'au fin fond de l'Afrique subsaharienne, en Tunisie, Egypte, Levant....et qui sera fait prisonnier par un pirate, Don Pero de Cabrera y Bobadilla, lors d'un de ses voyages. "Offert" au Pape, il fréquentera les bibliothèques occidentales , se convertira, et enseignera au sujet de sa langue, sa culture et sa religion d'origine...avant de s'en retourner vivre dans son pays le reste de son âge... Ce pourrait être l'histoire d'un polar à succès à l'image du Da Vinci Code....Ce pourrait être aussi l'histoire d"une manipulation machiavélique des papistes pour prétendre que leurs sources des critiques contre les musulmans , en ces temps de guerres de religions, sont sures et puisées à la meilleure source...Ce pourrait être une histoire vraie... Qu'une érudite américaine se soit "emparée" du sujet est heureux : pas à pas , elle nous fait suivre la vie extraordinaire de Hassan el-Mohammed el Wazzan el-Fassi (c'est le vrai nom de Léon l'Africain devenu en 1520 Giovanni LEONE après son baptême, en l'honneur du Pape Léon X...) et puise dans une documentation riche et austère la sureté de son texte. Ce livre est un voyage entre l'Occident et l'Orient au XVIème siècle, une passerelle entre Islam et Chrétienteté, une histoire du Maroc sur cette courte période certes, mais histoire d'un pays confronté à ses luttes intestines et ses guerres contre les Portugais.. C'est un livre d'une grande érudition dont la lecture n'est pas aisée, car il faut sans cesse se référer aux notes en appendice...Mais quel plaisir de faire ce long et documenté voyage, même si de nombreuses zones d'ombre persistent quant à la véracité du récit originel de notre héros ( Description de l'Afrique de Jean Léon l'Africain) qui sert de base à ce livre de Mme DAVIS..... | |
| | | Paul CASIMIR
| Sujet: NOTES DE LECTURES Lun 27 Fév - 9:39 | |
| Ce MAROC que nous avons fait par Jean d'Esme chez Hachette , première publication en 1955, 316 pages avec 34 illustrations hors-texte en noir. Si vous n'avez pas lu ce livre essayez de le trouver dans une brocante, car, vous l'avez compris, ce livre est tout un programme . Certes, le titre est presque politiquement incorrect aujourd'hui et, sans doute, l'auteur en choisirait un autre en 2010, mais le contenu, en forme de chronologie , retrace la vie de ce pays sur quarante années ( du début du Protectorat à l'Indépendance ) et met en relief les travaux réalisés et les progrès accomplis par la seule présentation temporelle, ou presque. On le suit, pas à pas, au tempo de son sommaire..., "ce Maroc de 1912" , "l'aube de l'ere nouvelle" , "ce Maroc de jadis et de naguère", "Maroc terre de division" , "Maroc terre de révolte" , "l'agonie de makhzen" , "Abd-el-aziz s'en va" , "l'oeuvre de pacification 1912-1936" , "face à la révolte" , "la pacification" , "ce Maroc de 1955" , "la revolution économique" , "les grandes directions de la Résidence générale , "modernisation des institutions marocaines" , etc..... Ce n'est plus de la littérature, c'est un livre d'histoire, l'histoire écrite par nos "anciens"...
Dernière édition par Paul Casimir le Lun 27 Fév - 9:58, édité 1 fois | |
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